La chose contrefaite( Télécharger le fichier original )par Nicolas Monteil Université Paris I Panthéon - Sorbonne - Master 2 Droit Patrimonial approfondi 2010 |
Conclusion généraleBIBLIOGRAPHIE4 PRINCIPALES ABREVIATIONS Act. Actualité ACTA. Anti-Counterfeiting Trade Agreement Al. Alinéa Art. Article CA. Cour d'appel C.ass. Code des assurances Cass.ass.plén. Assemblée plénière Cass.1re Civ. Cour de cassation, première chambre civile Cass.2e Civ. Cour de cassation, deuxième chambre civile Cass.3e Civ. Cour de cassation, troisième chambre civil Cass.Com Cour de cassation, chambre commerciale. C.civ. Code civil C.cons. Code de la consommation Cf. Confère ch. Chambre Chap. Chapitre chron. Chronique coll. Collection comp. Comparer CPI. Code de la propriété intellectuelle D. Recueil Dalloz déf. définition Defrénois. Répertoire du notariat Defrénois éd. édition. Gaz. Pal. Gazette du Palais JO. Journal officiel Pré. Précité Rappr. Rapprocher. Rec. Recueil Rev. Revue RTD.civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD.com. Revue trimestrielle de droit commercial somm. sommaire V. voir 5 Introduction1.- Statut particulier de la chose contrefaite et économie - En augmentation constante depuis la fin du XX ème siècle, la contrefaçon représente aujourd'hui environ 10% du commerce mondial. D'une ampleur économique considérable, les marchandises contrefaisantes suscitent de nombreuses incertitudes sur le plan juridique. Récemment considérées comme hors du commerce par la Cour de cassation en matière de vente1 , elles ne semblent pas pour autant échapper à toute activité juridique. Au même titre que les marchandises authentiques, les marchandises contrefaisantes font l'objet d'actes juridiques dont le contexte, bien souvent international, complexifie l'analyse. Les marchandises contrefaites se sont répandues de manière spectaculaire au cours de ces dernières années. Parallèlement, les moyens de lutte contre la contrefaçon se sont intensifiés sans vraiment parvenir à endiguer le phénomène2. La contrefaçon est aujourd'hui un fléau mondial qui a un coût incommensurable et difficilement estimable pour les économies3. D'un phénomène local et artisanal, touchant d'abord les industries du luxe, le domaine de la contrefaçon s'est étendu depuis le milieu des années quatre-vingt-dix pour devenir un phénomène de fraude global, n'épargnant aucun secteur de l'économie, ni aucun produit et utilisant toutes les voies d'acheminement possibles, dont internet. La contrefaçon représente un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de milliards d'euros, qui la place au deuxième rang des fléaux criminels, juste après le trafic de drogue4.
La contrefaçon de médicaments10, est une illustration récente de la diversité de l'industrie contrefaisante. Le médicament fait l'objet d'un intérêt croissant de la part des criminels. Les experts considèrent que le faux médicament présente moins de risques pour les
7 criminels que le trafic de stupéfiants, tout en étant plus rentable. On estime ainsi qu'un kilogramme d'héroïne rapporte 200% de profit, tandis qu'un kilo de principe actif de « Viagra » acheté en Inde permet d'effectuer plus de 2000% de profit.
Une approche compréhensive de la catégorie des choses hors commerce permet ainsi de voir en son sein une extraordinaire diversité d'objets. On y trouve des objets proches de la personne humaine dont la circulation porterait gravement atteinte à sa dignité comme à sa liberté, tels que les produits et les éléments de son corps, le nom patronymique17, les tombeaux ou les sépultures, les souvenirs de familles et, de manière plus générale les droits de la personnalité. Par extension, la catégorie des choses hors du commerce absorbe aussi tous les objets dont la circulation porterait une atteinte grave aux principes fondamentaux d'une
8 société démocratique, comme les mandats électifs ou au bien public comme la cession des offices ministériels. De surcroît, la catégorie des choses hors du commerce accueille aujourd'hui des objets que l'on retire de la circulation juridique pour les soustraire du marché en raison du danger qu'ils représentent. L'article L.221-1 du Code de la consommation, à travers le principe général de la sécurité des produits et des services offerts aux consommateurs, ouvre un champ pratiquement illimité à cette catégorie juridique18. Outre la nécessité de soustraire du marché les produits contrefaisants en raison de l'illicéité fondamentale qui les frappe, l'entrée des marchandises contrefaisantes dans la catégorie des choses hors commerce ne surprend pas au regard de cette dernière hypothèse: les marchandises contrefaisantes, notamment les médicaments, sont sources de risques importants19. 6.- Évolution de la catégorie des choses hors du commerce - Historiquement la chose hors commerce a une origine romaine20. Le droit civil ne pouvait concerner que les choses dans le commerce. La notion avait un caractère religieux: res divini juris (sacrae, religiosae, sanctae). Cette catégorie de choses était soustraite au pouvoir des hommes, car elles étaient soumises à celui des dieux (par exemple, les temples , les sépultures, les limites de Rome et des champs). Elle ne pouvait, de manière absolue, faire l'objet d'actes juridiques21. Le contenu du commerce juridique évolue avec le temps. Dans l'Antiquité romaine, certaines personnes pouvaient faire l'objet de conventions au même titre que les choses. Aujourd'hui la notion de commerce juridique permet de mettre en oeuvre une véritable politique économique en sanctionnant par une nullité absolue les conventions relatives à certains objets. Alors que la notion de sacré est en recul, et même en voie de quasi-disparition, au bénéfice de réalités économiques, s'ajoutent à la catégorie de nouvelles choses mises hors du commerce, comme les immeubles comportant de l'amiante dans les faux plafonds parce qu'est en cause la santé des personnes. La marchandise contrefaite fait également partie des nouveaux entrants dans la catégorie des choses hors du commerce.
10 D'un point de vue dogmatique, il y a extracommercialité seulement lorsque aucun acte juridique n'est autorisé sur la chose. Mais les différentes études démontrent que, en réalité, les choses qui sont recouvertes par la notion précitée se définissent essentiellement par une impossibilité de circuler selon les moyens contractuels26 ou même pour un auteur, la commercialité de l'article 1128 du Code civil doit être réservée à la circulation d'un élément patrimonial entre deux patrimoines27. Dans tous les autres cas, la chose n'est que partiellement hors commerce. L'immense majorité des choses se trouvent dans une situation intermédiaire. L'examen du droit positif nous enseigne plutôt que la spécificité de ces choses, liée par exemple à leur dangerosité comme les médicaments et autres produits stupéfiants, commande seulement de soumettre les conventions s'y rapportant à des règles particulières. 9.- Une exception au principe de la liberté des opérations juridiques sur toute espèce de choses - La chose contrefaite entre dans la catégorie des exceptions au principe de la liberté des opérations juridiques sur toute espèce de choses. Valeur économique jugée centrale, le principe de libre circulation des biens est posé par le Code civil. Celui-ci protège le commerce juridique et la commercialité des biens en posant le principe de la libre disposition des biens appartenant aux personnes de droit privé28. C'est pourquoi il est nécessaire d'appréhender les choses hors du commerce comme des exceptions, lesquelles ne cessent de diminuer dans une époque aspirant à la liberté des échanges29. Le cas de la sortie des clientèles civiles de la catégorie des choses hors du commerce illustre cette tendance. La cession de celles-ci n'est pas illicite à condition que soit sauvegardée la liberté de choix du client30.
11 10.- La chose contrefaite n'est pas un sanctuaire de non-droit31 - Il est difficile d'imaginer que des marchandises contrefaisantes ont une extracommercialité totale. D'une part, parce que la notion d'extracommercialité est élastique32 et laisse souvent la place à certains actes juridiques valables. D'autre part, parce que l'aspect économique de la chose contrefaite, l'isole au sein de la catégorie classique des choses hors du commerce. En effet, la chose contrefaite a pour singularité d'avoir une réalité économique, et d'être le plus souvent identique à la chose authentique. Ces marchandises sont peu ou prou des biens comme les autres, elles sont physiquement appropriables, elles ont une valeur, une utilité, elles ne se distinguent en rien de celles qu'elles contrefont. La chose contrefaite ne nous semble pas bannie du champ du droit, contrairement à ce que pourraient laisser entendre les règles visées par les magistrats de la Cour de cassation dans l'arrêt de principe précité. Loin de constituer un sanctuaire du non-droit, les marchandises contrefaisantes semblent pouvoir faire l'objet de certaines conventions. Certes, la chose contrefaite semble avoir été boutée de la sphère de la commercialité par la jurisprudence; pour autant, il n'est pas certain que la marchandise contrefaisante échappe à toute activité juridique. Bien que hors du commerce, la chose contrefaite peut par exemple, faire l'objet d'une saisie contrefaçon33. Il nous semble évident que, tout comme la limite relative à la personne humaine, les exceptions à l'extracommercialité sont nombreuses ou du moins existent. En effet, d'une part, un auteur a souligné l'incertitude concernant la question de la validité des contrats portant sur une chose contrefaisante qui ne réalisent pas de mutation patrimoniale34. D'autre part, une partie importante de la doctrine refuse de réduire l'extracommercialité à l'inappropriabilité35. 31.CARBONNIER, Flexible droit, 10e éd., LGDJ., Paris 2004 Chap2. L'hypothèse du NON-DROIT, p.2 Le non-droit est l'absence du droit dans un certain nombre de rapports humains où le droit aurait eu vocation à être présent. Il ne désigne pas le vide absolu de droit, mais une baisse plus ou moins considérable de la pression juridique.
12 En l'absence de décisions sur ces questions en droit positif, les solutions sont incertaines et discutées. Il ressort néanmoins de ces analyses doctrinales et de la jurisprudence que la chose contrefaite a, sans nul doute, un statut particulier. Afin de rendre compte pleinement de cette singularité, il conviendra d'envisager la portée de l'extracommercialité de la chose contrefaite au regard du droit des contrats (chapitre I), avant d'envisager sa patrimonialité et ses implications au regard du droit des biens (chapitre II). 13 Chapitre I. L'extracommercialité de la chose contrefaite et ses incidences au regard du droit des contrats
Section 1. Le principe: la nullité
14 qualification de chose hors du commerce de la chose contrefaite en raisonnant, d'une part, à partir de l'article 1598 du Code civil et d'autre part, en s'appuyant sur l'analyse doctrinale des choses hors du commerce.38 Ce n'est pas pour autant que la sanction de la nullité du contrat est écartée. Celle-ci peut être fondée sur les lois particulières envisagées à l'article 1598 du Code civil qui prohibent l'aliénation de la chose qui se trouve dans le commerce. La majorité de la doctrine a considéré, rarement avec réserve, que la Haute juridiction avait fait une utilisation contemporaine de la catégorie des choses hors commerce, pour y inclure les marchandises contrefaisantes. Le contrat de vente n'est pas valable en vertu de l'extracommercialité de son objet, lequel est de surcroît illicite39. Ainsi, la catégorie des choses hors du commerce permet de mettre en oeuvre une véritable politique économique en sanctionnant par la nullité absolue les conventions relatives à certains objets. A. Fondement: l'illicéité de l'objet comme inaptitude à la commercialisation 14.- Le fondement de la nullité du contrat de vente: l'illicéité de l'objet- Le caractère contrefaisant suffit en soi à justifier l'anéantissement du contrat. Il n'est pas nécessaire, d'après l'arrêt, de prouver s'être trompé ou avoir été trompé par le vendeur sur la légalité de la chose. L'acquéreur qui agit en nullité de la vente est fondé à obtenir en conséquence la restitution du prix versé. La chambre commerciale fonde la sanction de nullité sur l'illicéité de l'objet du contrat de vente. La Cour de cassation rend sa solution au visa de l'article 1128 du Code civil qui dispose: « il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions ». D'où il convient déduire que les marchandises contrefaites sont hors du commerce. Afin d'asseoir cette motivation de droit commun des contrats sur un texte spécifique à la vente, la Cour utilise 1598 du Code civil qui, non sans redondance, précise que « tout ce qui est dans le commerce peut être vendu » . Il en résulte que les contrefaçons sont insusceptibles d'être vendues, ce qui entraîne la nullité du contrat. L'illicéité qui imprègne la marchandise contrefaite interdit sa circulation. Cette solution civiliste n'est pas nouvelle en droit de la propriété intellectuelle. En effet, cette discipline a toujours interdit la circulation des contrefaçons.
15 B. La sanction: la nullité absolue 15.- La nature de la nullité: une nullité absolue- Les choses hors du commerce représentent à strictement parler un interdit infranchissable, une source certaine de sanction judiciaire. La nature de cette nullité de la chose contrefaite semble être absolue, c'est-à-dire, invocable par tout intéressé. La majeure partie de la doctrine souligne que les contrats portant sur des marchandises contrefaites sont nuls en raison d'une illicéité objective40. L'objet du contrat apparaît comme une source d'illicéité certaine qui fait l'objet d'une appréciation in abstracto. Autrement dit, toute convention portant sur une telle chose, quelles qu'en soient les circonstances, quelle que soit la cause qui a guidé le consentement des parties ou quelle que soit la manière avec laquelle ce consentement a été obtenue, est nulle. L'atteinte à l'ordre public justifie pour ces auteurs la sanction de nullité. En effet, l'objet du contrat doit être conforme à l'ordre public41. Or la contrefaçon est un délit pénal et la Cour de cassation juge que l'existence de sanctions pénales prévues en cas de violation de la règle confirme son caractère de règle d'ordre public42. Néanmoins, une partie de la doctrine43 estime qu'il s'agit d'une nullité relative qui peut donc être couverte par l'assentiment à l'acte du titulaire des droits intellectuels initialement bafoués. Ainsi, l'extracommercialité des marchandises contrefaites, permet d'atteindre le contrat lui même indépendamment de la bonne ou de la mauvaise foi des contractants. En pratique, le débiteur condamné n'a pas d'action récursoire contre son propre fournisseur, lorsqu'il est lui-même de mauvaise foi car il connaissait le caractère contrefaisant des objets acquis. Désormais la voie de l'annulation lui est ouverte sans que sa bonne ou mauvaise foi soit à considérer44 16.- Une sanction dans la continuité de la jurisprudence antérieure- La Cour de cassation avait déjà considéré comme illicite la vente de procédés permettant d'établir des copies non protégées d'un logiciel original dès lors qu'une copie de sauvegarde avait été fournie45. En outre, la solution énoncée ici s'induit déjà nécessairement d'un arrêt de la Chambre commerciale du 26 octobre 1999 déniant au détenteur de telles marchandises la
42.V. par ex. Cass. 1re civ. 30 juill. 1994, Bull.civ. I, n°261, p.190; RTD civ. 1995,p.101,obs. MESTRE 43. GALLOUX (J-C.), Action en contrefaçon: questions de procédure, RTD Com. 2004 p.304 44.V. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284 arrêt 24 septembre 2003; 45. V.not. Com. 22 mai 1991, JCP 1992. II, n°21792, note HUET 16 faculté d'invoquer un quelconque droit de rétention sur celles-ci, « dès lors que leur caractère illicite interdit leur commercialisation ». Cet arrêt est important car il lie clairement l'illicéité de la chose et son inaptitude à la commercialisation. On savait que son caractère illicite interdisait qu'elle fasse l'objet d'une sûreté réelle. C. L'efficience du droit commun des contrats17.- L'instrumentalisation de la catégorie des choses hors du commerce - La doctrine a souligné à plusieurs reprises que la catégorie des chose hors du commerce était étendue depuis longtemps par la jurisprudence au-delà de son champ naturel. Initialement le champ des choses hors du commerce était déterminé par la protection des aspects essentiels à la défense de la personne humaine, de la famille et du domaine public46. Il a été élargi par la prise en compte de toutes sortes de choses qui ne sont pas, par nature hors du commerce, mais dont la négociabilité est restreinte ou interdite ponctuellement. Comme ont pu le relever Planiol et Ripert, « la notion de choses hors du commerce absorbe tout le champ des conventions à objets illicites »47: Or l'article 1128 du Code civil implique que les choses hors du commerce ne peuvent être l'objet de celles-ci. Ainsi un auteur souligne que l'article 1128 du Code civil est une règle de police des échanges48. En effet, cette disposition est le moyen de faire peser dans le champ de l'objet, et au gré de certaines choses spécifiquement envisagées, des considérations tenant à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. La règle de l'extracommercialité sert à mettre des choses à l'écart des autres choses lorsqu'il est jugé nécessaire pour des raisons d'ordre social ou moral que sa circulation soit empêchée. En réalité, cette entrée dans la catégorie des choses hors du commerce semble répondre à des objectifs politiques et économiques. La décision adoptée par la Haute juridiction est importante, elle prouve que le droit commun des contrats et le droit de la vente peuvent contribuer efficacement à la lutte contre la contrefaçon indépendamment du droit de la propriété intellectuelle49. 46. th.pré., MOINE (I.) 47.Traité de droit civil, t. VI (1930), par Esnein , n°224 ,cité par M. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284 arrêt 24 septembre 2003 48.LOISEAU (G.), La contrefaçon est hors commerce, PLA, 12 févier 2009 n°31, p. 69 49. D 2003 p. 2683 note. CARON (C.), les marchandises contrefaites sont hors du commerce. 17 |
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