Révolutionner le séjour des sourds dans les hôtels avec l'outil numérique de communication interne dématérialisée (ONCID)par Fatemeh Sadat LAVASSANI Université Paul Valéry Montpellier 3 - Master Tourisme et Développement Durable des Territoires 2020 |
3.1. Maturité sociale et métamorphose du regard normatifIl est à noter que l'accessibilité touristique dans sa globalité est une approche socio-environnementale qui prend en compte la nécessité de transformer l'environ- nement en fonction des caractéristiques de l'individu. Autrement dit, l'accessibilité est une métamorphose de la vision de la collec- tivité - c'est-à-dire la vision déficitaire - sur autrui, pour ensuite adopter une trans- formation de l'environnement afin de s'adapter aux différences. Selon Reichhart et Lomo Myazhiom c'est à partir de cela que les politiques d'inclusion prennent du sens : « De ce changement de paradigme va émerger un concept qui va se démocratiser : l'accessibilité. A présent, ce n'est pas à l'individu de s'adapter à l'environnement mais à l'environne- ment de se transformer en fonction des caractéristiques de l'individu. L'inclusion et les politiques inclusives sont en marche. En parallèle avec cette évolution conceptuelle qui 25 marque le passage d'une vision individuelle a une vision éco- logique du handicap, on assiste à l'émergence d'une dimen- sion politique ; la personne handicapée devient sujet de droit et revendique les mêmes droits que tous [É] » (Reichhart et al., 2013) Aussi, la mise en accessibilité touristique pour les sourds en tant qu'enjeu social représente une belle occasion de mutation sociale. Pour F. Liarge, avoir accès aux infrastructures touristiques, tel que les héber- gements, dans notre société moderne favorise l'épanouissement de la société : « L'aspiration légitime des personnes en situation de handicap de vivre pleinement leurs vacances dans l'offre généraliste est le meilleur moteur d'une réelle intégration sociale car les va- cances, la découverte, l'ouverture aux autres contribuent à [une] éveil [de notre société] sur la différence. » (Liagre, 2003) Autrement dit, la participation sociale des personnes sourdes et par extension leur accessibilité aux pratiques touristiques est un signe des avancées sociales et donc par la suite un signe de la démocratisation de la société. De même, si la participation aux activités touristiques est considérée comme « un marqueur du social », le tourisme adapté peut être considéré comme un analy- seur de cette progression de la société, étant donné que le rapport de chaque société à la surdité est révélateur de la place qu'elle donne aux personnes différentes : « Partir en vacances est donc devenu la règle. Ne pas partir un problème, symptôme d'une position marginale ou pré- misses d'une exclusion. Les vacances et les voyages apparais- sent aujourd'hui comme les repères stables qui rythment notre temporalité collective et ressoudent, dans nos vies privées, des modes de vie de plus en plus fragilisés. » (Viard, 2000) 26 La pensé éthique du tourisme dans son approche sociale, ne dit pas le con- traire. 3.1.1. Initiative éthique Être éthique, agir éthique ou bien prendre des initiatives selon les principes éthiques philosophiques, c'est savoir avant tout si l'offre touristique proposée à la clientèle sourde est bien conforme à leurs attentes et à leurs besoins (Éric Well, 2002, cité par Schéou, 2009). Autrement dit, il est important de savoir si les mesures entreprises Ð à la suite des obligations légales ou de la sensibilisation engagée par la marque nationale Tou- risme et Handicap (T&H) Ð sont toutes en accord avec les valeurs reconnues par la communauté sourde. Savoir s'ils aident à l'élimination de la vision déficitaire envers la surdité ou à l'amélioration de la place des sourds en tant que clients dans un hôtel. Savoir s'ils optimisent le service inégalitaire de séjour. Selon Schéou (2006) quand il s'agit de l'intention éthique, nous parlons de deux pôles : « Je » et « Tu » et la liberté qui les dépose. Alors, « cette liberté se manifeste par la possibilité de s'opposer à ce qui existe déjà, par la possibilité d'agir » (Schéou, 2006, p. 20). En revanche, nous sommes dans l'éthique quand « Je » reconnait « Tu » comme son semblable et donc ils veulent une liberté réciproque. Ces deux libertés peuvent s'affronter et s'opposer dans l'action. C'est là que le troisième pôle Ð la jus- tice, les valeurs, l'égalité Ð joue le rôle médiateur entre la liberté du pôle « Je » et du pôle « Tu ». Alors en ce qui concerne la nouvelle identité clientèle touristique créée, c'est- à-dire la clientèle sourde, il semble que les acteurs de tourisme jouent le rôle du pôle « nous dominant » face au public sourd en tant que pôle « tu dominé » avec un pôle médiateur qui est « l'accessibilité » Ð ou par exemple dans son sens figuré la marque nationale T&H Ð pour équilibrer l'échange. Cependant, étant donné que « [É] l'intention éthique se greffe donc sur une structure préexistante [É] » et que « La règle est une institution [qui] préexiste à tout nouveaux choix [É] » (Schéou, 2006, p. 20), la relation entre la clientèle sourde et les acteurs du service touristique reste encore très loin d'une relation équitable. En effet, les règles imposées - comme par exemple l'Agenda d'Accessibilité Programmée (Ad'AP1) pour rendre accessible les établissements recevant du public (ERP) ou les critères incontournables de la marque nationale T&H pour son acquisi- tion - par le pôle médiateur sont partielles et même non-éthiques2. Alors, c'est pourquoi il est également intéressant de réfléchir sur la nécessité d'améliorer certains facteurs de la marque nationale Tourisme et Handicap, notam- ment ses critères incontournables, en tant que la structure ou l'institution préexis- tante. Sachant que : « [...] s'il me préexiste, cela ne signifie pas [...] qu'il n'est pas possible de la charger de significations nouvelles. » (Schéou, 2006) Le tourisme accessible pour les sourds définit donc la maturité sociale et alors, c'est de là que le droit aux vacances et l'accès aux pratiques touristiques pour toutes les catégories de populations de différentes classes sociales prennent de l'im- portance. 27 1 Le dispositif Ad'AP, a été institué par l'article 3 de l'ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 et est relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Depuis le 31 mars 2019, il n'est plus possible de déposer d'Ad'AP, sauf pour le département Mayotte. « [ceci] se poursuit cependant avec la mise en oeuvre des travaux [...] et le suivi des agendas de plus de trois ans. ». (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2020). Ceci n'empêchera pas toutefois, de prolonger la durée de la mise en accessibilité des sites ou la retarder. 2 Selon les créateurs de la marque nationale Tourisme et Handicap, un hôtel peut acquérir le label de la surdité si uniquement il met en place le système de sécurité en flash et l'outil d'amplification du son qui est utilisé uniquement par les malentendants appareillés. La connaissance de la LSF et les dispositifs domestiques - sonnette avec flashs lumineux sur la porte ou système de tchat interne etc. - ne sont donc pas obligatoires. Cela n'étant pas conforme aux réelle attentes de l'ensemble des sourds et ne pouvant pas alors être destiné à toute la population sourde, n'est donc pas éthique. En bref, acquérir cette marque ne veut pas forcément dire que l'établissement possède toutes les meilleures mesures d'accessibilité ou que les personnels ont les connaissances indispensables de la langue et de la culture sourde. Pour en savoir plus voir : http://www.tourisme-handicaps.org . 28 |
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