PARTIE I :
Sourds, accessibilité touristique,
communication
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1. Les sourds dans la société
De nos jours, la surdité est une appellation globalement
adoptée pour toute
perte d'audition (Faveur, 2014). Néanmoins, on dissocie
une surdité légère, notam-
ment d'une seule oreille, d'une surdité profonde qui
touchent les deux oreilles. Celle-
ci a comme conséquence une limite d'accès à
l'information (Repessé, 2011). La sur-
dité totale, quant à elle, peut paralyser
l'ensemble des échanges de la vie quotidienne
chez l'individu.
Ce défaut d'échanges répandu entre les
personnes sourdes et les personnes
entendantes peut s'étendre aux activités sociales
de l'individu et provoquer une limi-
tation de la réalisation des pratiques culturelles et par
conséquence touristiques.
Les croyances normatives de notre société
vis-à-vis de la surdité, combinées
au manque de connaissances que les entendants ont de la culture
sourde, déterminent
« [les] schèmes cognitifs, comme les
représentations mentales ou psychiques [É] »
ou bien les clichées et les préjugés sociaux
(Mannoni, 2016, p.36).
Ainsi les visions normatives et culturelles de l'ensemble de la
société impri-
ment la représentation de la population sourde. Selon D.
Jodelet :
« [Les représentations sociales renvoient
à] une forme de con-
naissance, socialement élaborée et
partagée, ayant une visée
pratique et concourant à la construction d'une
réalité com-
mune à un ensemble social. »
(Jodelet, 1989, p. 36)
En d'autres termes, de nos jours la place sociale des personnes
sourdes est
associée à leur représentation sociale ainsi
qu'à la position de leur langue et de leur
culture dans la collectivité. Par ailleurs, quel est le
regard normatif et culturel de
l'ensemble de la société actuelle sur la
surdité ?
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1.1. Vision normative et culturelle
En premier lieu notre société juge la
surdité avant tout comme un handicap à
réparer à l'aide des appareillages, dans le cas
où le niveau de celle-ci le permet. C'est
donc ainsi que la vision déficitaire portée sur la
population sourde est créée. Selon
Andrea Benvenuto, ce regard déficitaire trouve son origine
dans les traits histo-
riques :
« [c'est] la pensée médicale dominante
développée dans les
institutions de sourds au XIXe siècle [qui] a
alimenté l'idée
que la surdité est une anormalité à
corriger car elle empêche
l'acquisition de la langue orale, la langue de la
pensée et de
l'intelligence. »
(Benvenuto, 2011)
Dans la vision déficitaire de la surdité,
l'individu - jugé selon une échelle
purement médicale - possède une réduction
partielle ou totale de sa capacité fonc-
tionnelle physique, donc d'audition. Pour la
société alors, la personne sourde est pla-
cée dans une déficience biologique qui la distingue
des autres êtres de la collectivité
sociale qui eux répondent favorablement aux
critères médicaux.
« Longtemps, le ` marqueur' principal du handicap, [...]
dé-
coulait d'une approche à la fois bio-fonctionnelle,
défectolo-
gique et déficitaire. [...] La déficience [...]
concerne les diffé-
rentes fonctions des parties du corps de l'individu. Elle
ren-
voie à des dysfonctionnements organiques ou psychiques
qui
entrainent une incapacité, c'est-à-dire une
réduction [...] par-
tielle ou totale de la capacité d'accomplir une
activité d'une
façon, ou dans des limites considérées
comme normales pour
un être humain. »
(Reichhart et al., 2013)
De ce fait, de la vision déficitaire découlent deux
autres termes qui sont sou-
vent utilisés pour décrire des populations
particulières telle que la population sourde
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avec une culture différente. Les deux expressions de
« personne valide » et « per-
sonne invalide », forts dans le sens de discrimination,
semblent trouver leur origine
dans la perspective triptyque du « handicap », le terme
issu de l'échelle purement
biologique. Cette distinction strictement biologique engendre en
deuxième lieu la vi-
sion discriminative envers les populations autrement capables
dont les sourds.
Selon la Classification Internationale du Handicap (CIH) «
le triptyque défi-
cience - incapacité - désavantage social »
est la perspective qui définit les caracté-
ristiques des populations nommées « handicapés
». La surdité - considérée comme
une déficience - en tant que « perte de substance
ou altération d'une fonction ou
d'une structuration psychologique, physiologique ou
anatomique » et le désavantage
social est défini comme un « préjudice qui
résulte de la déficience ou de l'incapacité
et qui limite ou interdit l'accomplissement d'un rôle
social considéré comme normal
compte-tenu de l'âge, du sexe, et des facteurs
socioculturels. » (CTNERHI, 1988)
La représentation normative des sourds dans la
société paralyse au final, les
interventions sociales, car selon Mottez, la surdité est
avant tout un rapport social :
« [É] au lieu de chercher à trancher sur
ce que sont les
sourds, sur ce qu'ils devraient être, sur ce que l'on
pourrait
faire d'eux et pour eux, les entendants commenceront à
s'in-
terroger plus simplement sur la gêne qu'ils
éprouvent dans
leurs relations avec eux, sur la nature bien
particulière des
comportements qu'ils adoptent lorsqu'ils sont avec eux et
sur
les raison de ces comportements, en bref sur la façon
dont ils
se débrouillent avec eux, un pas décisif sera
fait permettant
d'analyser le rapport de surdité. »
(Mottez, 1981, p.5)
Cependant, que ces regards déficitaire et discriminatoire
jaillissent de l'his-
toire collective, des préjugés collectifs ou autre,
l'ensemble de la société attend une
« normalisation » des sourds par une implantation
cochléaire ou par l'oralisation. La
société reste ainsi rigide à l'égard
de la singularité de la langue et la culture des
sourds, ce qui freine leur vie normale (Kerbourc'h, 2010).
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C'est à partir de la vision discriminative et
déficitaire de la surdité qu'une
limitation d'activités sociales et de rôles sociaux
apparaît :
« En effet, le couple
déficience/incapacité va se répercuter au
niveau de la réalisation d'activités sociales,
culturelles, spor-
tives, professionnelles, touristiques. Ainsi, un lien se
tisse entre
la fonction biologique et la fonction socio-symbolique :
une
personne handicapée ne peut pas avoir des loisirs,
elle ne peut
pas faire du sport ou partir en vacances. »
(Reichhart et al.,2013)
En bref, ces visions soulèvent une méconnaissance
de la singularité de la po-
pulation sourde. C'est-à-dire que l'individu et son
originalité de culture et de langue
méconnue deviennent une identité sociale à
part entière pour l'exclure de possibles
pratiques socioculturelles y compris le tourisme.
Autrement dit l'originalité culturelle et linguistique des
sourds reste propre-
ment ignorée et inexploitée, dans ses
réelles capacités, par la société (Delaporte,
2002). Alors qu'une connaissance précise de cette
population a une importance ma-
jeure :
« Caractériser la population des personnes
handicapées sup-
pose que l'on soit capable d'identifier les individus qui la
com-
posent. Or cette identification est sujette à des
variations selon
que l'on privilégie telle ou telle conception du
handicap. »
(Letourmy et Ravaud, 2005)
En d'autres termes, connaître les besoins et la culture
composante des sourds
est primordiale afin de promouvoir l'accessibilité et donc
par la suite de développer
un tourisme adapté dans la société.
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2. La surdité selon les chiffres
L'intérêt des données chiffrées de la
surdité ne se limite pas au nombre des
personnes touchées mais également son fardeau
économique en France, afin de pou-
voir mieux réfléchir sur l'importance qu'a une mise
en place de mesures facilitant
l'intégration socioculturelle des sourds, y compris leur
accessibilité dans les do-
maines du tourisme et de l'hôtellerie.
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