B. La place des matériaux dans l'atelier :
organisation et description des fonds
De quoi se compose une collection de matériaux d'un
artiste contemporain pratiquant la peinture à l'huile à la
manière des maîtres anciens ? Matthias Frehner qualifie l'atelier
de Claude Yvel de «musée de la peinture à l'huile». En
effet, pour pratiquer la technique de la peinture à l'huile comme au
XVIIème siècle, cela demande d'effectuer des tâches qui ont
été reprises ensuite par d'autres corps de métiers. Par
là nous voulons parler du broyage des couleurs et de la
préparation de la toile. Ceci pour avancer que les matériaux
présents dans l'atelier du peintre concernent toute la chaîne de
production d'une peinture, de la pince la plus simple au pigment le plus rare
et précieux.
88 Claude Yvel, Imprimeur de toile, 1989,
lieu de conservation inconnu. Voir Annexes 1, Les oeuvres de Claude Yvel, Fig.
7.
89 Jürg Kreienbühl (Bâle, 1932 -
Cormeilles-en-Parisis, 2007), peintre et graveur suisse et français.
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La collection de Claude Yvel se répartit sur deux ateliers
: Paris et Beauchamps, en Normandie. Ce travail se concentrera sur celui de
Paris. Mais il est nécessaire de rappeler que les matériaux
cités dans ce mémoire, ont leur équivalent, voire le
double, en termes de quantité dans l'atelier normand. Claude Yvel me
disait qu'il était bien plus grand que celui de Paris.
A Paris, les matériaux du peintre occupent presque tout
l'espace. Au plafond, sont suspendues des rouleaux de toiles imprimées
(Fig. 31). Aux murs, certaines de ses oeuvres sont accrochées (Fig. 29).
Les meubles prennent toute la partie basse des murs, et se complètent
par des étagères. Une table se trouve au centre, avec un petit
meuble dont la surface porte une dalle de granit. Chaque rangement du mur de
droite à l'entrée (Fig. 22) porte son étiquette
imprimée par la typographie à laquelle il a été
formé via la méthode Freinet, pour indiquer son contenu. Une
partie y est réservée aux documents, qui sont ses archives, ses
dessins, et ses livres, qui sont ceux qu'il a écrit, ceux sur son
oeuvre, des manuels référençant des pigments et autres
matériaux pour la peinture ou encore des traités sur la peinture.
Les étagères en face de l'entrée (Fig. 27) portent en haut
de grands conteneurs en verre avec des bouchons en liège : les pigments
s'y trouvant sont en grande quantité. Aux deuxième et
troisième étages, nous pouvons y voir des bocaux plus petits en
verre, avec des bouchons en liège, contenant les gommes et les
résines venant directement de l'usine Bourgeois, avant sa destruction au
début des années 1970. Sur le côté se trouvent des
boîtes en fer (Fig. 26) contenant des tests de pigments et vernis, faits
sur des toiles préparées en 1953, et annotés. Une autre
boîte en métal porte l'étiquette «Pigments Rares-
anciens-» (Fig. 39). Les pigments s'y trouvant ont été
relevés (Tableau 2). Ceux-ci sont contenus dans de très petits
bocaux en verre, avec un bouchon vissé dans la même
matière. Chaque bocal porte le nom du pigment contenu, mais rares sont
ceux indiquant la provenance. Une dernière boîte en métal
que Claude Yvel a pu me montrer est celle avec l'étiquette «Blanc
de plomb de Klagenfurt en pain» (Fig. 42) complétée par la
mention Poison accompagnée d'une tête de mort. A
l'intérieur se trouve neuf pains de ce blanc de plomb encore entiers
dans leur emballage en papier marqué par l'aigle bicéphale
autrichien. Derrière l'escalier se trouve une étagère
(Fig. 32 et 33) présentant toutes sortes de matériaux
utilisés anciennement lors de la préparation des couleurs. Nous
pouvons y voir des molettes très larges en granit ; des molettes en
verre aux côtés du pot d'Ocre de
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Rhue à l'huile donné par monsieur Touvron ; des
coquilles de moule, des petits récipients en porcelaine blanche et des
vessies de porc avec ou sans peinture, pour retrouver l'aspect historique de la
conservation des couleurs avant l'invention des tubes en métal ; des
blocs d'aquarelle Bourgeois dont le peintre conserve le moule en métal
pour imprimer la marque en relief sur la surface ; des flacons, fioles et tubes
à essai en verre. Le mur à gauche de l'escalier (Fig. 28) porte
une petite étagère en bois suspendue, avec les vingt-quatre
pigments anciens, dans des bocaux de verre à bouchons en liège. A
ses côtés, figurent des palettes de toutes tailles, des sabres
pour imprimer les toiles, un miroir convexe. En dessous de la baie
vitrée (Fig. 30) sont rangées les huiles, colles et les pinceaux
à sécher. L'ensemble de l'atelier est visible dans la
vidéo de Hiam El Ali, Usage retrouvé d'une technique
perdue, faite en 1990. L'intérieur en 2021-2022 a cependant un peu
changé.
Le meuble (Fig. 34) qui a fait l'objet d'une plus longue
étude de notre part, est celui recouvert de granit et monté sur
des roulettes. Il porte souvent des pinceaux fins. Ce meuble se divise en
quatre demi-tiroirs (Fig. 40) en haut, dont deux ont des étiquettes
«broyage» et «couleurs». Puis quatre tiroirs dont les
étiquettes sont en couleurs et répartis ainsi, de haut en bas :
bleu-vert, noir-blanc, jaune-beige, rouge-orange (Fig. 35 à 38). Chaque
grand tiroir a fait l'objet d'un inventaire minutieux avec des photographies
pour chaque élément (Tableau 1). Dans ces tiroirs sont donc
contenus les pigments, le plus souvent dans les bocaux en verre avec bouchons
en liège, comme ceux de l'étagère en bois avec les
pigments anciens. Chaque bocal porte une étiquette manuscrite indiquant
le nom du pigment, et souvent sa provenance. Ces étiquettes sont en
papier collées sur la face en verre, ou plus rarement sur le bouchon en
liège. Nous devons préciser qu'il s'agit là d'une
description valable pour le plus grand nombre des pigments. Il y a toutefois
des exceptions car certains pigments sont contenus dans des flacons de
plastique, ou encore dans leur conteneur d'origine lors de leur achat, et
d'autres encore n'ont pas d'étiquettes permettant de connaître
leur nature ou leur provenance.
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