2. Un futur partagé entre la
conservation-restauration et l'exposition dans un musée
Ces caractères de rareté et d'unicité n'ont
pas échappé aux professionnels du RMF qui travaillent sur le
projet CoRef. La matériauthèque de Claude Yvel présente un
fort intérêt pour le domaine de la conservation-restauration, car
son référencement permet de compléter les bases de
données pour mieux caractériser les matériaux en lien avec
les oeuvres. Son application est donc directement liée à la
restauration, comme l'a prouvé l'exemple du Harvard Mural
Triptych vu plus haut. La connaissance des pigments est aussi celle des
techniques artistiques, et leur histoire aide à la datation ou
l'authentification des oeuvres, ainsi que l'a prouvé l'exemple sur le
faux tableau de Jackson Pollock étudié par le Straus Center. Pour
revenir au projet CoRef, il se spécialise davantage sur les
échantillons d'oeuvres. Cependant, il concerne aussi les
échantillons de pigments en poudre, dont certaines marques sont
similaires à celles vues dans l'atelier de Claude Yvel : Lefranc,
Lefranc Bourgeois, Maimeri, Kremer, entre autres.
Claude Yvel et le RMF étant d'accord, des
prélèvements pourraient être réalisés sous
peu dans les matériaux de l'atelier. Ils pourraient être
directement liés au projet CoRef, ou constituer une boîte
d'artiste, comme c'est déjà le cas pour son ami peintre Jürg
Kreienbühl. Ceci est une particularité du projet qui concerne des
matériaux rassemblés selon le fond de l'atelier ou de l'artiste
duquel ils proviennent. Cette organisation a l'avantage de conserver,
intègre, l'aspect original de la collection de matériaux dudit
artiste ou atelier. Cette partie ne s'avère être qu'une
supposition sur l'avenir de cette matériauthèque. Il reste en
effet de nombreuses incertitudes autour de ce sujet. Le contact et les
prélèvements auprès du peintre ne sont pas encore
effectués ; si cette action est menée, il reste plusieurs
possibilités
183 « Hyperréel : l'art du trompe-l'oeil »,
Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, 16 mars 2022 - 22 mai 2022. A cette
occasion, Claude Yvel a fait une conférence sur l'art du
trompe-l'oeil.
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pour leur intégration à CoRef, suivant l'importance
de ces échantillons ; les boîtes d'artiste sont à part dans
le projet CoRef et n'ont pas encore de statut.
Le futur de la matériauthèque de Claude Yvel
pourrait concerner un tout autre domaine. Lors des entretiens dans son atelier,
Claude Yvel a évoqué plusieurs fois le souhait de constituer une
sorte de musée de la couleur pour exposer les techniques anciennes de la
peinture à l'huile. Ce projet revient à ses fils quant à
sa réalisation, puisque de son vivant le peintre a la volonté de
toujours continuer à peindre, à la suite d'Henri Cadiou son
maître. Présenter ses matériaux dans un musée serait
une manière de prolonger son enseignement sur les techniques anciennes
en peinture à l'huile. Cette forme s'apparente donc à une
matériau-technothèque, soit un espace de médiation
présentant les matériaux dans toute leur diversité pour
mieux aborder les questions des techniques de création dans la peinture
à l'huile.
Claude Yvel prend exemple sur un musée en
Belgique184 qui présenterait les techniques en peinture. Plus
directement, il a eu l'expérience de la présentation des
matériaux des peintres à la suite de sa participation à la
restauration du retable de Konrad Witz à Genève. Lui-même
n'était pas intervenu sur les panneaux peints, mais il avait
enseigné certaines techniques de peinture aux restaurateurs. A la suite
de la restauration, l'équipe a monté une vitrine exposant les
outils et couleurs qui avaient servi pour la restauration. Il s'agit donc d'un
outil pédagogique pour expliquer les techniques de peinture anciennes et
les procédés de restauration en relation avec le retable. C'est
peut-être d'après un tel modèle que l'idée de
musée des matériaux de la peinture à l'huile est
née chez Claude Yvel.
Le lieu idéal pour son musée serait en Suisse,
où vivent ses plus grands collectionneurs. Son attachement pour ce pays
s'explique aussi par l'amitié qu'il a nouée avec le peintre
suisse Jürg Kreienbühl, les nombreuses biennales auxquelles il a
participé à Bâle, et à ses origines familiales
établies longtemps à Berne. Ce serait donc cette ville qui serait
privilégiée pour réaliser ce projet.
184 Claude Yvel ne m'a pas donné de nom, et il n'existe
pas de musée de la couleur à proprement parlé en
Belgique.
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La matériauthèque de Claude Yvel est un sujet qui
s'insère dans un contexte actuel qui cherche beaucoup à
développer ce domaine. Ce dernier a d'ailleurs une ampleur
internationale. Cependant, nous pouvons y trouver deux tendances principales,
l'une n'excluant pas l'autre au sein de la même
matériauthèque. Il en est ainsi pour la collection de pigments
Forbes au Straus Center qui conserve les matériaux en priorité
pour la recherche avec le laboratoire auquel il est lié, mais qui tend
à exposer ses collections au public en disposant dans le musée
une vitrine de pigments selon une sélection rotative. La
matériauthèque est aussi un dispositif de médiation
à part entière. Les matériaux permettent de mieux guider
les publics vers la compréhension des techniques anciennes de
création. C'est ce dernier aspect qui semble avoir touché Claude
Yvel pour sa matériauthèque, puisqu'il envisage d'en faire une
sorte de musée de la peinture à l'huile.
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