C. La place et le potentiel de cette
matériauthèque
Cette bipolarité se retrouve dans le cas de la
matériauthèque de Claude Yvel. Dans les problématiques
rencontrées, elle rejoint certaines matériauthèques
déjà élaborées, cependant son fond
révèle un potentiel unique. Son futur pose alors de nombreuses
questions, car elle intéresse des domaines multiples grâce
à ses matériaux divers.
1. Des problématiques communes et distinctes des
autres matériauthèques
Les matériauthèques étudiées
précédemment soulèvent des problématiques communes
à la matériauthèque de Claude Yvel. La collection de
pigments, par nature, se rapproche beaucoup de la collection Forbes au Straus
Center. Il s'agit dans les deux cas d'une collection de pigments anciens et
contemporains, collectés par une personne, dans un but d'étude la
plus exhaustive possible des techniques anciennes de peinture. Les contenants
sont parfois similaires, soit des piluliers ou bocaux de verre avec bouchon en
liège. Nous pouvons établir une correspondance avec les marques
laissés sur les étiquettes : Blockx, Kremer Pigments, Lefranc
& Cie, Fezandie & Sperrle INC., Winsor & Newton, ainsi que des
indications géographiques pour la Chine et le Japon. Certains pigments
font la fierté et le prestige de la collection Forbes. Ils sont
nommés dans l'introduction de la monographie qui leur est
dédiée et dans les entretiens, réalisés par
Narayan
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Khandekar. Ce sont des couleurs rares ou historiquement
marquantes qui se trouvent aussi dans la collection de Claude Yvel. Nous
parlons ici de l'Outremer synthétique, du bois de Brésil, du
Lapis Lazuli, du Sandragon, de la Cochenille, du jaune de cadmium, du vert
émeraude, du brun Van Dyck, du jaune indien extrait de l'urine de vaches
nourries exclusivement de feuilles de manguier, du vermillon de Chine, et la
liste pourrait encore s'allonger. Le noyau le plus précieux de la
collection Forbes est aussi contenu dans l'atelier de Claude Yvel.
A la suite du projet du Munch Museum, la
matériauthèque de Claude Yvel est concernée par la
problématique des matériaux inconnus. Dans les deux cas, ils sont
nombreux et constituent donc un potentiel pour la recherche. Cette question est
liée à la recherche qui reste à faire sur les provenances
des matériaux. Les noms des marques ou des lieux sont absents de
manière récurrente à propos des matériaux
référencés, ce qui ôte des informations à
propos de leur histoire, de leurs dates, de leurs fabrications, entre autres.
Cette remarque a été faite dans la première partie de ce
travail, et elle constitue une partie majeure du projet du Lens Media Lab.
Sa particularité réside néanmoins dans le
fait que l'ensemble des matériaux est l'oeuvre d'un collectionneur
à la fois inventeur. L'approfondissement autour des matériaux
Lefranc Bourgeois de l'atelier a permis de mettre en valeur ces deux axes. Ce
sont donc des pigments qui retracent l'histoire des matériaux des
peintres, et témoignent de l'évolution et des découvertes
dans le domaine de la couleur. Mais ce sont aussi des produits
créés et développés par un peintre en collaboration
avec une marque à la renommée internationale, qui sont
directement reliés à leur lieu de production et aux archives de
leur inventeur. Pour aller au-delà de la marque Lefranc Bourgeois, il
s'agit d'un lieu où sont conservés des matériaux et
archives issus des usines Lefranc et Bourgeois avant leur destruction dans les
années 1960, mais aussi des marchands de couleurs parisiens avant la
disparition de leur réseau dans la capitale. Ces pigments et ustensiles
sont donc uniques. Ceci amène à dire que la
matériauthèque de Claude Yvel se distingue avant tout par son
histoire et le témoignage qu'elle constitue sur le mouvement des
peintres réalistes d'après-guerre. Ce groupe de peintres
formé autour d'Henri Cadiou est peu connu des publics, surtout en
France. Cependant les peintres réalistes et hyperréalistes ont
connu du succès chaque fois qu'ils ont été mis en
lumière à l'étranger, que ce soit New York, la
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Suisse, la Chine et en ce moment à l'exposition
«Hyperréel : l'art du trompe-l'oeil»183 au Museo
Nacional Thyssen-Bornemisza, en Espagne.
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