1. Dans le domaine de la conservation-restauration
La conservation, la numérisation et la recherche sur les
pigments peuvent aboutir à la réalisation de projets
scientifiques novateurs concernant la restauration des oeuvres. Ce fait a
été observé pour la restauration du Harvard Mural
Triptych166 peint par Mark Rothko167. Ce triptyque
avait été exposé longtemps dans la salle de
réception du Holyoke Center. Il souffrait d'un grave problème de
décoloration des pigments, dû à une trop forte
luminosité à cause du plafond percé à jour de la
salle, mais aussi à l'utilisation du pigment instable Lithol Red et de
sa surface délicate car non vernie. Le triptyque a fait l'objet
d'études de la part du Straus Center for Conservation and Technical
Studies. Khandekar explique qu'une restauration physique aurait aggravé
son état, entraînant un endommagement irréversible de la
touche de l'artiste. Cela étant contraire aux principes fondamentaux de
la conservation-restauration, il a été décidé de ne
pas intervenir matériellement sur l'oeuvre, mais d'envisager une
restauration numérique168. A cette intention, le Straus
Center a travaillé avec le Media Lab du Massachusetts Institute of
Technology et celui de l'Université de Bâle. Cette collaboration a
abouti à l'utilisation de la technique du mapping. Jens Stenger,
scientifique en conservation du Straus Center, a conçu une carte
numérique d'après les couleurs actuelles et celles sur les photos
de l'aspect original du triptyque. Cette carte de couleurs prend en compte la
dégradation hétérogène selon les parties de la
peinture, d'après les différences de leurs expositions à
la lumière. Ces données ont formulé une image de
compensation
166 Mark Rothko, Panel Two (Harvard Mural
Triptych), 1962, Harvard Art Museum. Voir Annexes I, Le Straus Center for
Conservation and Technical Studies, Fig. 71.
167 Mark Rothko (Dvinsk, 1903 - New York, 1970), peintre
américain.
168 Les sources insistent sur la restauration de l'apparence des
peintures. Il est question de restauration virtuelle pour mettre en avant la
puissance sensible renvoyée par l'état non conservé des
oeuvres, lorsque la projection est éteinte. Nous n'avons donc pas
d'informations concernant la sauvegarde matérielle des peintures.
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qui a été ensuite projetée sur l'oeuvre
(Fig. 72). Ce système a été présenté lors de
l'exposition Mark Rothko's Harvard Murals, au Harvard Art Museums, du 16
novembre 2014 au 26 juillet 2015. Selon un article du New Yorker, les
projections de Stenger restituaient l'aspect des couleurs d'origine et
aboutissaient à une véritable révélation. Le mode
d'exposition permettait aussi aux visiteurs de voir l'état de
dégradation des peintures lorsque la projection était
éteinte. La connaissance avancée du Straus Center dans le domaine
des pigments et de la couleur en général a servi à la
réalisation d'un tel projet.
La collection de matériaux du Straus Center sert aussi
dans l'identification des pigments sur les oeuvres d'après les
échantillons analysés dans le laboratoire. Ainsi en 2007,
l'équipe de Khandekar s'est penchée sur le problème
d'authentification de trois oeuvres de Jackson Pollock169. Les
analyses ont révélé la présence d'un pigment jaune
PY 151, développé en 1969, et d'un pigment rouge
mélangé dans une peinture brune développée en 1974.
Or, Pollock étant décédé en 1956, l'identification
de ces pigments a permis de prouver scientifiquement que ces oeuvres
étaient des faux.
Concernant le RMF, les échantillons de
référence ont joué un rôle primordial pour
l'étude menée sur la présence de peinture de la marque
Ripolin170 dans les peintures du début du XXème
siècle, notamment les oeuvres de Picasso171 et
Picabia172. L'étude (Annexes II, Le projet Ripolin) a
été menée avec l'Art Institute of Chicago qui conserve une
collection d'échantillons de référence des peintures
Ripolin, produits en France de 1890 à 1950. L'Art Institute of Chicago a
mené ses recherches en 2013 pour détecter la présence de
peinture Ripolin dans deux oeuvres de Picasso Nature
Morte173 et Le fauteuil rouge174. En 2016,
le RMF a analysé deux tableaux de Picabia, Déclaration
d'amour175 et Symbole176, et un chevalet de
Picabia conservé par le Comité Francis Picabia. La
difficulté majeure, dans les deux
169 Jackson Pollock (Cody, 1912 - Springs, 1956), peintre
américain du mouvement expressionnisme abstrait.
170 Ripolin : marque française de peinture de
bâtiment.
171 Pablo Picasso (Malaga, 1881 - Mougins, 1973), peintre,
dessinateur, sculpteur, graveur, espagnol.
172 Francis-Marie Martinez de Picabia (Paris, 1879 - Paris,
1953), peintre français.
173 Pablo Picasso, Nature Morte, 1922, Chicago, Art
Institute of Chicago.
174 Pablo Picasso, Le fauteuil rouge, 1931, Chicago, Art
Institute of Chicago.
175 Francis Picabia, Déclaration d'amour, 1949,
Alès, Musée Pierre André Benoît.
176 Francis Picabia, Symbole, 1950, Alès,
Musée Pierre André Benoît.
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cas, était de distinguer les peintures de Ripolin de
celles des artistes. Ces études ont amené un réel apport
dans la distinction entre les peintures oléorésineuses Ripolin et
les peintures d'artiste, par la connaissance de leur composition et grâce
aux échantillons de référence conservés dans les
collections de l'Art Institute of Chicago et du RMF.
La matériauthèque du RMF a servi dans
l'élaboration de nombreux projets concernant l'identification des
pigments. La collection d'échantillons a été
sollicitée notamment pour le projet Zinc Oxide from Micro To Macro
(ZOoMM) de la doctorante Nicoletta Palladino. Il s'agit d`une étude sur
les propriétés du blanc de zinc utilisé par les peintres
aux XIXème et XXème siècles, avant l'apparition du blanc
de titane au début du XXème siècle. La doctorante a donc
utilisé des microéchantillons issus d'oeuvres, conservés
au RMF et à l'Art Institute of Chicago. Étudier ces
échantillons lui a permis d'identifier le type de blanc de zinc
employé, d'»évaluer les conséquences sur le
comportement des peintures lors de leur emploi et
vieillissement»177, pour une ouverture vers une application
possible dans l'authentification des peintures.
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