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La matériauthèque du peintre Claude Yvel, né le 16 aoà»t 1930


par Crescence de Lattaignant
Ecole du Louvre - Master 1 2022
  

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B. Les matériaux Lefranc Bourgeois dans l'atelier parisien de

Claude Yvel

Claude Yvel s'est principalement attaché à retrouver les pigments naturels utilisés par les maîtres anciens. Il en a formé un ensemble de trente-et-un pigments (Fig. 41), qu'il caractérise dans son livre. Cependant, sa collection se compose de nombreux flacons portant la mention L.B. pour Lefranc Bourgeois sur les étiquettes. Une date antérieure à 1965 peut être donnée à certains, grâce aux étiquettes précisant un seul nom (Lefranc ou Bourgeois). A l'intérieur se trouvent des pigments naturels, mais la plupart sont des pigments de synthèse. Ils sont employés par le peintre, car leur réputation de solidité s'ajoute à son histoire plus personnelle avec la marque. Ils sont ici étudiés dans l'ordre des tiroirs du meuble à couverture de granit où ils sont rangés, qui est le même dans le tableau en annexe (Annexes III, Tableau

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148 Seconde Guerre mondiale (1939 - 1945).

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1). Chaque pigment cité a été retrouvé dans le catalogue149 de matériaux Lefranc de 1934 conservé par Claude Yvel, attestant de leur ancienneté sur le marché. Quelques exceptions sont relevées concernant le bleu azural, le bleu d'Orient, le blanc de fresque et le blanc couvrant de fresque, le noir de mars, le bleu de paon et le jaune batavia. Leur cas sera donc davantage détaillé, selon les informations retrouvées, à la suite.

1. Pigments bleu et vert

Ces pigments sont tous des pigments inorganiques de synthèse. Leurs noms reportés sur les étiquettes sont tous connus et reconnus. Chez Lefranc Bourgeois, nous avons le bleu azural, bleu cæruleum, bleu cobalt, Outremer clair, vert de chrome et vert émeraude. De Lefranc, le bleu d'Orient et de Bourgeois, la Cendre d'Outremer.

Deux d'entre eux ne figuraient pas dans le catalogue Lefranc de 1934. Il s'agit du bleu azural et du bleu d'Orient. Le premier désigne le bleu de manganèse, «il figure au catalogue d'octobre 1938 de la maison Lefranc comme une nouveauté sous le nom de bleu Azural»150. Le baryum et le manganèse présents dans sa composition, bien qu'en faible quantité, le rendent toxique. Sa toxicité devait être mentionnée sur son contenant d'origine. Le second, bleu d'Orient, serait un des nombreux noms commerciaux attribués à un dérivé développé à partir du pigment PB15. Ainsi, les noms retranscrits sur les étiquettes ne sont pas toujours ceux donnés officiellement par leur créateur. Ils sont parfois le reflet d'une tradition orale, une appellation courante à une certaine époque. De plus, les contenants ayant été changés depuis dans des flacons de verre, les avertissements sur la toxicité des produits sont absents.

149 Lefranc, Couleurs fines et matériel pour la peinture à l'huile, Paris, Lefranc, 1934, p.20-23. Le catalogue a été récupéré par Claude Yvel avant la destruction de l'usine Lefranc à Issy-les-Moulineaux.

150 PEREGO, 2005, p.113.

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De manière générale, ces pigments bleu de synthèse ont été développés au XIXème siècle, mais leur usage s'est perdu progressivement dans les années 1970, pour le vert de chrome, ou 1980, pour le vert émeraude. Ils ont été remplacés par des produits moins coûteux, comme le vert de phtalocyanine.

2. Pigments noir et blanc

Ces pigments de Lefranc Bourgeois se composent des blanc fresque et blanc couvrant fresque, dénominations qui ne se retrouvent pas dans le catalogue Lefranc ni dans le Dictionnaire des matériaux du peintre151. Pour les noirs, la collection comprend un pigment minéral, la terre d'ombre brûlée, des noirs de carbone, noir d'ivoire et noir de vigne, et deux pigments qui ne figurent pas dans le catalogue Lefranc de 1934, le noir de Mars et le bleu de paon.

Le noir de Mars est un pigment à base d'oxyde de fer noir, contrairement aux autres noirs de carbone. Il a une teinte qui tire un peu sur le rouge, opaque et à haut pouvoir colorant. C'est un pigment inorganique naturel ou de synthèse, d'utilisation assez récente. En effet, les auteurs du XIXème siècle n'en parlent pas, et Jean-Georges Vibert non plus au début du XXème siècle, alors même qu'il appréciait les autres couleurs de Mars.

Le bleu de paon, serait un dérivé du bleu de phtalocyanine, pigment organique de synthèse. Mais ce nom n'apparaît pas dans les synonymes répertoriés dans le Dictionnaire des matériaux du peintre152. Il se retrouve cité dans une partie qui ne correspond pas à sa teinte, car ce travail reprend l'ordre et le rangement mis en place par Claude Yvel.

3. Pigments jaune et ocres

151 PEREGO, 2005.

152 Ibidem.

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En provenance de Lefranc Bourgeois, nous trouvons trois jaunes de cadmium différents : les teintes citron, clair, moyen. Ce sont des pigments inorganiques de synthèse, apparus chez Lefranc en 1855 en deux tons. Ils étaient alors très coûteux. Puis, l'ocre jaune et la terre de Sienne naturelle, qui sont des pigments minéraux d'origine, mais remplacés par des oxydes de fer synthétique au XXème siècle dans l'industrie de la couleur. C'est probablement sous cette forme qu'ils sont conservés.

La marque Lefranc est représenté par deux pigments : le jaune de Naples et le jaune batavia en deux flacons. Le jaune de Naples est un pigment inorganique de synthèse, très réputé pour sa qualité chez Lefranc. Dans une lettre adressée à Alexandre Lefranc le 28 septembre 1874, Jean-François Millet s'exclame : «J'ai retrouvé mon jaune de Naples !»153. Lefranc proposait une version ancienne de ce pigment contenant du plomb et de l'antimoine, toxiques, alors même que depuis les années 1850 le jaune de Naples était peu à peu abandonné et remplacé par les jaunes de cadmium. Au début des années 1970, les fabricants le suppriment de leurs catalogues. Lefranc l'a donc produit sous sa forme d'autrefois, de manière presque exclusive au XXème siècle compris, puisqu'il est présent dans le catalogue de 1934. Sa célébrité se confirme par sa présence dans la collection du Straus Center (Fig. 70). Le jaune batavia n'est pas un nom de pigment mentionné chez Lefranc, ni chez les autres fabricants de couleurs, ce qui explique son absence dans le Dictionnaire des matériaux du peintre. Il pourrait être relié au jaune de chrome, dont les appellations sont si nombreuses, que la liste donnée n'est pas exhaustive.

Bourgeois est cité sur le flacon de l'orpiment, pigment sous forme minérale, et synthétique majoritairement au XIXème siècle. Sa toxicité est bien connue à cause de l'arsenic contenue. Mais selon Claude Yvel, sa toxicité est encore plus dangereuse lorsque ce pigment est sous sa forme synthétisée du XIXème siècle.

4. Pigments orange et rouge

153 PEREGO, 2005, p.419.

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Lefranc Bourgeois est encore largement représenté dans la gamme des rouge et orange. Le rouge de cadmium est en quatre teintes : clair, foncé, pourpre et orange. La gamme est complétée par le jaune de cadmium orange. Les cadmiums sont des pigments inorganiques de synthèse, allant du jaune pâle au rouge pourpre. Selon Claude Yvel, ces pigments modernes ont «fait leurs preuves»154, puisqu'ils sont stables et couvrants. Les rouges et verts de cadmiums ont vu le jour la même année chez Lefranc entre 1913 et 1922.

A ces couleurs de synthèse s'ajoutent une ocre rouge naturelle, phénomène assez rare pour être souligné, le rouge de Pouzzoles, et un pigment minéral, la Terre de Sienne brûlée. Le rouge indien, oxyde de fer rouge, peut se trouver sous forme naturelle, minérale ou de synthèse.

L'un des pigments les plus rares et précieux de la matériauthèque, est la garance foncée de Lefranc. Cette laque de garance a une histoire bien particulière, puisqu'il s'agit d'un pigment de synthèse dont la recette a été découverte par madame Gobert155. Cette recette de garance a obtenu la médaille d'or de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale156 en 1840. Les frères Lefranc font partie du jury de la Société depuis 1839. C'est à eux que madame Gobert a confié sa recette pour en assurer la production. Cependant, lors de la Seconde Guerre mondiale, un pavillon de l'usine Lefranc à Issy-les-Moulineaux a été bombardé, à cause de sa proximité avec les usines Renault qui étaient visées à l'origine. La recette était conservée dans ce pavillon, avec beaucoup d'autres, et a ainsi été perdue. Lefranc ne conservait plus qu'une boîte de cette garance, qui a été récupérée par madame Soutumier157. Cette dernière a offert le reste de cette boîte à Claude Yvel. Le peintre conserve la boîte originale dans son atelier à Beauchamps, tandis qu'à Paris la garance se trouve en faible quantité dans le flacon de verre nommé Garance foncée ou bien dans la petite boîte en plastique ronde et plate, à couvercle noir, dont l'étiquette mentionne simplement garance. Ce pigment est la

154 YVEL, 2003, p.110.

155 Dans Mémoires de l'Académie des sciences et de l'Institut de France, p.211-212, madame Gobert est citée pour la création de sept types de garance.

156 La Société d'encouragement pour l'industrie nationale est une association fondée en 1801, toujours en activité aujourd'hui, pour soutenir le service de l'industrie et les innovations technologiques en France.

157 Suzanne Soutumier (Paris, 1910 - Biéville, 2000), restauratrice et artiste peintre.

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plus belle garance jamais réalisée selon Claude Yvel. Il m'a transmis le témoignage de monsieur Kremer qui, l'ayant vue et comparée avec sa propre garance, a affirmé que celle de madame Gobert était meilleure.

5. Gommes et résines

Sur l'étagère sous l'escalier de l'atelier, dans des bocaux en verre, est présentée une collection de gommes et résines (Annexes III, Tableau 4). Au nombre de quinze, elles ont été récupérées par Claude Yvel dans les années 1960 dans l'entrepôt de Bourgeois. Dans leur lieu d'origine comme celui actuel, elles ont été exposées à la lumière directe du jour. Elles ont donc jauni ou bruni, selon le phénomène d'oxydation propre à chacune.

La difficulté vient, là encore, de déterminer leur provenance et leur nature. Les étiquettes mentionnent souvent un lieu, qui correspond selon l'usage au port d'exportation du produit, bien que sa provenance originale en soit très éloignée. A ceci s'ajoute l'emploi global du mot gomme, qui peut désigner une gomme ou une résine.

Parmi les gommes, nous pouvons citer la gomme Bombay surfine blanche, la gomme coquilles surfine blanche, la gomme Sierra Leone surfine, la gomme Sydney fine granée, la gomme Zanzibar surfine et enfin la gomme adragante de Syrie. Les gommes de Sierra Leone et de Zanzibar pourraient être des gommes arabiques, puisque ce sont des régions proches du Sénégal et du Soudan, toutes deux réputées pour cette production. La gomme adragante de Syrie s'avère être la gomme la plus coûteuse, avec sa haute viscosité elle sert d'agglutinant pour les pastels ou de liant pour les gouaches.

Les résines seraient donc bien plus nombreuses dans la collection, puisque sous le terme de gomme se cache souvent des gommes laques. La gomme Manille friable et la gomme Calcutta grosse blanche sont des gommes laques, soit des résines naturelles. De même que la gomme laque cerise feuilles claires qui est une résine laque sécrétée par des cochenilles du genre Kerria, donnant ce liant d'origine

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naturelle. Le Sticklac est une laque en bâton, sécrétée par les insectes laque de la famille des Kerriidae, incrustée sur des brindilles. La laque est retirée des brindilles, et ensuite purifiée pour donner une gomme laque liquide ou solide naturelle.

Les résines d'origine végétale sont la colophane blanche, la sandaraque lavée extra fine et le mastic en larmes. Sous sa forme industrielle et moins coûteuse, la colophane est une résine extraite d'une vieille souche de pin, distillée puis décolorée. Autrement, il s'agit d'un «résidu de distillation de la gemme dans la production de l'essence de térébenthine (colophane de gemme)»158. Le mastic en larmes est le suc du lentisque. Exposé aussi longtemps que les autres gommes et résines à la même lumière, il a peu jauni. C'est la résine utilisée par Claude Yvel pour sa recette de vernis car le mastic forme un film que ne pénètre pas l'humidité, facilement retiré il n'endommage pas la peinture, rend une surface plane avec des qualités optiques très recherchées par le peintre, grâce à sa pureté.

Le karabé jaune lavé et l'ambre jaune succin sont des résines naturelles fossiles. L'ambre est un matériau coûteux qui a donc été vendu en diverses qualités sous ce nom. Son usage se retrouve beaucoup en peinture à l'huile pour les médiums.

Cette collection de gommes et résines lui a été très utile dans ses travaux. Elles sont exposées comme des modèles dans son atelier. Les gommes, souvent plus utilisées dans les arts graphiques, ont été étudiées pour son livre sur les techniques à l'eau. De même les résines, et en particulier le mastic en larmes, ont abouti à la formulation d'une recette de vernis aujourd'hui commercialisée par Kremer.

Grâce à la bonne réputation et sa collaboration avec la marque, ses liens et connaissances avec des chimistes travaillant dans ces usines, Lefranc, Bourgeois et Lefranc Bourgeois sont très présents dans la collection de matériaux de Claude Yvel. Si ce travail se concentre principalement sur les pigments, les gommes et les résines, la marque est aussi inscrite sur les outils et d'autres matériels anciens,

158 PEREGO, 2005, p.221.

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comme une louche bleue pour remuer la couleur dans la fabrication des pastels, un sabre, des couteaux et truelles (Annexes III, Tableau 5). Cette grande quantité de matériaux provenant de Lefranc Bourgeois ou de A la Momie, est un des marqueurs qui donnent le caractère exceptionnel de cette matériauthèque.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery