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La matériauthèque du peintre Claude Yvel, né le 16 aoà»t 1930


par Crescence de Lattaignant
Ecole du Louvre - Master 1 2022
  

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2. Lefranc Bourgeois et les artistes : la collaboration avec Claude Yvel

Ce lien avec les artistes constitue l'une des particularités de la politique commerciale innovante de Lefranc. L'entreprise suit la tradition ancienne qui combine le marchand et fabricant de couleurs à l'activité de marchand d'art. Elle fait tout pour accompagner les artistes dans tous les aspects pratiques de leur carrière, et ceci grâce à l'édition, la domiciliation lors des Salons, ou encore l'organisation d'expositions. Lefranc publie des ouvrages pour les artistes et les amateurs, dont la revue trimestrielle Memento Lefranc de 1909 à 1939, devenue L'Art de la couleur. Cette revue permet aux spécialistes des couleurs, critiques d'art et autres personnalités de s'exprimer sur les sujets pour en faire part à un public de spécialistes ou d'amateurs. De plus, Lefranc loge les artistes provinciaux lors des Salons, dans la boutique Lefranc dans les années 1840 jusqu'à la fin du XIXème siècle environ. Ces activités se complètent par l'organisation d'expositions, qui ont lieu dans une salle dédiée au plafond vitré, au sein du siège de la société rue de la Ville-l'Evêque (Fig. 61). C'est la galerie Alexandre Lefranc, mise à la disposition des artistes pendant plusieurs décennies.

Alors que Lefranc est devenue une marque de fabrication de couleurs à l'échelle mondiale, la production industrielle en grande quantité soulève la méfiance des artistes. Pour conserver la confiance et le lien avec les artistes, Lefranc initie les collaborations avec des peintres, aboutissant à la création et la vente de nouveaux produits, depuis les années 1880. Cette démarche permettant aux artistes de partager leurs recherches avec des professionnels, se retrouve pourtant dès l'origine de la marque Lefranc en 1720. En effet, c'est ce travail commun entre le marchand de pigments et d'épices à la fois apothicaire, Charles Laclef et le peintre Chardin qui initie cette démarche et fait naître cette industrie des beaux-arts. La fonction de Laclef est d'abord de remplacer les élèves pour le broyage des pigments et l'élaboration des liants.

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Mais la première collaboration de Lefranc à proprement parler, se fait dans les années 1880 avec le peintre Jean-Georges Vibert116. Vibert est davantage connu pour ses activités de chimiste et la création de ses produits, que pour ses oeuvres peintes. Il s'attache à la reconstitution de procédés anciens par ses recherches sur le vernis pour la peinture à l'huile et les recettes d'anciens procédés de couleurs de la peinture à l'oeuf. Ce qui permet à Lefranc de publier en 1890 la Notice sur les vernis au pétrole employés pour la peinture à l'huile tiré de son Extrait du cours à l'Ecole des beaux-Arts sur les procédés matériels de la peinture. La gamme de produits Vibert est fabriquée en collaboration avec Lefranc&Cie, et le vernis à retoucher surfin de Vibert porte toujours son nom et est encore en vente dans le magasin Lefranc Bourgeois. Par cette collaboration, Vibert montre que l'usine fournit toutes les garanties pour une bonne fabrication de ses produits. Ce premier essai devient un modèle pour les autres artistes, car son succès ne se dément pas encore aujourd'hui. Ces collaborations favorisent tout autant les peintres que le fabricant. Pour les peintres, leurs recherches ont cette possibilité d'être matérialisées pour améliorer leurs procédés. Pour le fabricant «l'invention et la création de nouveaux produits sont à l'origine de formidables expansions"117.

L'histoire de la collaboration de Raoul Dufy118 avec la maison Bourgeois est remarquable pour le développement de la marque. Elle prend place dans le contexte de la commande à Raoul Dufy d'une décoration murale pour la paroi courbée du hall du Palais de la lumière et de l'électricité119, pour l'Exposition internationale120 de Paris en 1937. Raoul Dufy réussit une innovation technique spectaculaire dans son oeuvre la Fée Électricité121. Cette dernière fait 600m2, et a été réalisée grâce à une peinture spécialement mise au point pour cette occasion. Il s'agit d'une peinture légère, proche de la gouache, qui sèche rapidement. La matière picturale donne un rendu transparent comme l'aquarelle, permet une superposition des couches encore fraîches et un séchage de l'ensemble. La création de cette peinture a sollicité

116 Jean-Georges Vibert (Paris, 1840 - Paris, 1902), peintre et dramaturge français.

117 Clotilde Roth-Meyer, Les marchands de couleurs à Paris au XIXème siècle, Paris IV, 2004, p. 133.

118 Raoul Dufy (Havre, 1877 - Forcalquier, 1953), peintre, dessinateur, graveur, illustrateur français.

119 Palais de la Lumière et de l'Electricité : commande de la Compagnie Parisienne de Distribution de l'Électricité à l'architecte Robert Mallet-Stevens (Paris, 1886 - Paris, 1945), sur le Champs de Mars.

120 Exposition internationale à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937.

121 Raoul Dufy, Fée Electricité, 1937, Paris, Musée d'Art Moderne de Paris.

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l'expertise de Jacques Maroger122 pour son médium mis au point avec Marc Havel123. Le principe de ce mélange est une émulsion de «colle de peau allongée dans l'eau, en émulsion avec la couleur à l'huile plus 10% de gomme Dammar»124. Cette peinture est la base de l'inspiration qui mènera au développement de la Flashe, première peinture vinylique mise au point par Bourgeois Aîné en 1954. Cette gamme de couleur Flashe est encore à ce jour une icône de la maison Lefranc Bourgeois. Elle est née de cette première collaboration, mais en 1980 un autre artiste, Victor Vasarely125, a participé à son développement. Aujourd'hui, Flashe est disponible en soixante-seize couleurs, six couleurs fluorescentes et douze teintes iridescentes. La réussite d'une telle icône dans la création artistique s'avère être liée à ce travail d'échange entre des artistes et un fabricant spécialisé.

Cette réussite amène d'autres fabricants à proposer aux artistes des collaborations. Ceux-ci auraient donc pu se tourner vers d'autres entreprises, le choix étant ouvert. Cependant, dans la seconde moitié du XXème siècle, Claude Yvel a lui aussi effectué une collaboration avec Lefranc Bourgeois. Il est vrai que la longue histoire des collaborations donne une certaine garantie aux artistes quant au succès de la création de leurs produits. Lefranc Bourgeois est devenu à travers les années un gage de qualité et de réussite. De plus, nous l'avons vu, depuis Alexandre Lefranc, c'est une tradition de la marque de s'intéresser aux procédés anciens. Cet intérêt se retrouve dès la première collaboration de Lefranc avec le peintre Vibert. C'est précisément la démarche que suit Claude Yvel, dont les recherches l'ont mené à redécouvrir les techniques de la peinture à l'huile des maîtres anciens du XVIème au XVIIIème siècles. En collaboration avec Lefranc Bourgeois, Claude Yvel a créé quatre produits : l'huile noire, le vernis gel, les imprimeures rouge et grise (Annexes III, Tableau 3). Ces produits ne sont désormais plus commercialisés par cette marque à cause du plomb présent dans l'huile noire et présentant un danger pour la santé des artistes, aspect qui se trouve contraire à l'esprit de l'entreprise Lefranc

122 Jacques Maroger (Paris, 1884 - Baltimore, 1962), peintre, restaurateur d'oeuvres d'art, chercheur, directeur du laboratoire du musée du Louvre.

123 Marc Havel (France, 1901- ?), chimiste chez Bourgeois aîné puis Lefranc Bourgeois. Il a travaillé à la création de la Flashe, gamme de peinture iconique de Lefranc Bourgeois, dans les années 1950.

124 Pratique des Arts, Lefranc Bourgeois - Histoire de marque, France, Diverti Editions, Hors-série août 2020, p.27.

125 Victor Vasarely (Pécs, 1906 - Paris, 1997), plasticien hongrois naturalisé français, chef de file de l'art optique.

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depuis Charles Laclef au XVIIIème siècle. Mais ils font l'objet d'une fabrication exclusive de la part du fabricant Kremer, mis à part les imprimeures.

L'histoire de la collaboration de Claude Yvel avec les usines Lefranc Bourgeois est aussi celle d'une amitié entre un peintre et un chimiste, Marc Havel. Celle-ci intervient dans un contexte où Lefranc Bourgeois essayait de vendre de nouveaux produits. Ils faisaient donc tester leurs nouvelles gammes par les peintres, pour en assurer l'approbation et la promotion. Les chimistes de l'entreprise venaient apporter les produits à la Cité fleurie, boulevard Arago, dans l'atelier d'Henri Cadiou où Claude Yvel travaillait. C'est là que Marc Havel est venu apporter une première version du vernis-gel, qui sera le point clé de leur collaboration future. La véritable rencontre entre Marc Havel et Claude Yvel prend place lors d'une exposition au Musée des Arts Décoratifs, où monsieur Havel présentait ce gel de Lefranc Bourgeois.

Les recherches de Marc Havel se sont fondées sur les livres de Mérimée126 et de Maroger (Annexes II, Histoire des recherches sur le vernis-gel). Elles ont ainsi abouti à une première version du vernis-gel, qu'il nomme médium flamand. La recette est exposée dans son livre La technique du tableau127, préfacé par Gérald van der Kemp128. Celui-ci le considère comme une mise au point des recherches menées depuis soixante-dix ans par Maroger, Anquetin129 et Paulet. Marc Havel note que «presque toutes les recettes des manuscrits comportent de la litharge (céruse calcinée). L'idée est sans doute venue de la médecine, car ces huiles au plomb s'appellent emplastiques»130. Elles ont été reprises par Claude Yvel pour la suite. Marc Havel avait trouvé la preuve visuelle de l'emploi de ce gel dans la peinture flamande, dans le détail de la palette tenue par saint Luc, du tableau Saint Luc peignant la Vierge de Maarten van Heemskerck. Claude Yvel poursuit ce travail sur

126 Jean-François-Léonor Mérimée (Chambrais (Broglie), 1757 - Paris, 1836), père de Prosper Mérimée (Paris, 1803 - Cannes, 1870), élève de David, Gabriel-François Doyen (Paris, 1726 - Saint-Pétersbourg, 1806) et François-André Vincent (Paris, 1746 - Paris, 1816), ami de Jean-Antoine Chaptal (Badaroux, 1756 - Paris, 1832), directeur de l'Ecole des Beaux-Arts et cofondateur de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale.

127 HAVEL, 1979.

128 Gérald Auffret Van der Kemp (Charenton-le-Pont, 1912 - Neuilly-sur-Seine, 2001), conservateur de musée français.

129 Louis Emile Anquetin (Etrépagny, 1861 - Paris, 1932), peintre français.

130 HAVEL, 1979, p.46.

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Mérimée en complétant la recherche via les écrits d'un manuel Roret131, de Théodore Turquet de Mayerne, M.F.H. Thorps, Eastlake132 et Georges Halphen133. Eastlake relève une recette du gel attribuée à Van Dyck134, dans un manuscrit du XVIIème siècle aujourd'hui perdu. Les incertitudes sont donc nombreuses autour de l'authenticité de cette recette et sa provenance. Néanmoins, elle mentionne que la composition du vernis-gel comprend deux éléments qui doivent être mélangés à volume égal : une huile cuite avec de la litharge et un vernis au mastic. La recette attribuée à Van Dyck emploie le blanc de plomb comme agent siccatif, qui a été remplacé par la litharge chez Claude Yvel. Les propriétés siccatives de cette dernière sont très importantes, car c'est un «oxyde naturel de plomb»135, ou bien du «protoxyde de plomb fondu puis cristallisé en lames»136. Au contact de cette matière métallique qui est le plomb, l'huile devient plus siccative. Cette réaction est possible avec du plomb seul, mais la litharge étant un protoxyde de plomb, l'oxygène contenu dans ce produit donne un «effet plus énergique»137 selon A. Romain138. D'après les expériences comparant plusieurs matières métalliques, dont le minium, la céruse, l'acétate de manganèse et la litharge, Thorps en déduit que la meilleure est la litharge pour son temps de séchage plus court, la faible proportion nécessaire pour un effet satisfaisant, une apparence presque incolore. Dans son livre, Claude Yvel donne la recette avec toutes les étapes de préparation imagées et des conseils pour garantir la bonne qualité de cette gelée transparente. Les deux préparations citées dans la recette attribuée à Van Dyck, sont mélangées à volume égal, et cinq à dix minutes après, ce mélange prend en gelée, qui doit être conservée dans un tube métallique si possible. Pour un résultat limpide et clair, il faut laisser le temps aux deux préparations de décanter et de vieillir à l'abri de l'air.

131 Nouveau manuel complet du fabricant de vernis de toute espèce, Paris, 1977.

132 Sir Charles Lock Eastlake (Plymouth, 1793 - Pise, 1865), peintre et historien d'art britannique, président de l'Académie royale de Grande-Bretagne.

133 Georges Halphen (France, 18XX - 19XX), ingénieur chimiste, chimiste au laboratoire de Ministère du commerce.

134 Antoon van Dyck (Anvers, 1599 - Blackfriars, 1641), peintre et graveur flamand.

135 Définition de la litharge, premier sens, Dictionnaire de l'Académie française.

136 Idem, second sens, employé comme tel par Claude Yvel.

137 A. Romain, Manuels-Roret, Nouveau manuel complet du fabricant de vernis de toute espèce, Paris, 1977, p.390-391.

138 A. Romain (18XX - 19XX), ingénieur, ancien élève de l'Ecole Polytechnique.

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Le vernis-gel de Claude Yvel a été mis au point et confié à un chimiste139 de Lefranc. Un tube de la préparation et sa recette sont restés chez Lefranc pendant un temps sans nouvelles, car le chimiste, en fin de carrière, les avait laissés et quitté l'entreprise sans s'en occuper. Cependant, l'histoire se poursuit lorsqu'un autre chimiste du nom de des Roseaux140, le contacte pour lancer la fabrication de ce produit en collaboration avec Lefranc Bourgeois. C'est alors le début de cet échange fructueux entre l'artiste et ce chimiste, qui va conduire à la fabrication du vernis-gel, de l'huile noire et des imprimeures rouge et grise.

L'huile noire est une préparation nécessaire pour obtenir le vernis-gel. Ce liant a été l'objet des recherches de Mérimée, Maroger, Marc Havel, avant d'aboutir avec Claude Yvel. Le premier, Mérimée a pris conscience de la présence de la litharge comme ingrédient principal des médiums anciens puisque «c'est aussi l'oxyde de plomb qui a le plus d'action sur l'huile»141. Pour obtenir une huile siccative incolore, il conseille d'employer de l'huile de lin ou de noix et de la mélanger avec de la litharge. La litharge doit se trouver sous forme de poudre très fine pour favoriser sa dissolution dans l'huile lors de la cuisson. Après cette étape, la surface de l'huile se recouvre d'une mince pellicule si elle est suffisamment siccative. Sa couleur est brune mais transparente après un temps de repos. Dès 1830, Mérimée souligne que la combinaison huile-litharge peut donner deux sortes de préparations : l'huile noire siccative dont nous venons de parler, et une sorte de matière emplastique dite savon, dont il tirera le vernis des Anglais. Il avait aussi compris l'avantage de mettre du plomb dans l'huile pour favoriser la ductilité du liant et maintenir la structure de la touche.

Selon Maroger, cette huile noire a été inventée par Giorgione, et «était la base de la technique des Italiens de la haute Renaissance et de leurs successeurs jusqu'au début du XIXe»142. La composition peut se trouver avec de la céruse (carbonate basique), de la céruse calcinée (protoxyde de plomb) ou de la litharge

139 Chimiste dont le nom reste inconnu après interrogations auprès de Claude Yvel et des archives de Colart.

140 Mention d'un B. des Roseaux (peintures Lefranc Bourgeois), dans Naoko Sonoda, Jean-Paul Rioux, Alain René Duval, Studies in Conservation, Identification des matériaux synthétiques dans les peintures modernes. II. Pigments organiques et matière picturale, Taylor & Francis Group, 1993, p.125.

141 MERIMEE, 1830, p.58.

142 MAROGER, 1986, p.104.

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(oxyde de plomb). Il en donne toutes les étapes en précisant les proportions des ingrédients et les degrés de cuisson à respecter. Maroger souligne aussi les qualités supérieures de la litharge par rapport aux autres matières métalliques, car le plomb contenu n'est pas hydraté donc ne forme pas d'écume lors de la cuisson, de plus «l'huile faite avec de la litharge est plus épaisse et siccative»143. Il tire la recette des traités de Watin et de Mayerne, qui conseillent tous deux d'attendre que le plomb en suspension soit déposé au fond de la bouteille d'huile, avant d'en faire usage. L'utilisation est aussi précédée d'une étape de filtrage et décantation dans une autre bouteille. Le filtrage améliore les propriété siccative et donne un rendu plus limpide. Pour contrôler les coulures dues à sa consistance savonneuse et très fluide, Maroger conseille d'y ajouter de la cire comme les Italiens.

Claude Yvel en a formulé une recette retrouvée d'après des traités anciens, dans le manuel Roret, qui est consultable dans toutes les étapes dans son livre sur les techniques à l'huile. Ainsi, l'huile noire se compose d'huile de noix chauffée avec une once de litharge. La cuisson dure deux heures à une température autour de 105°C à 110°C. La couleur de l'huile évolue de l'orangé vers le brun clair après cuisson. Sa conservation est très bonne à l'abri de l'air, mais à la lumière du jour elle se décolore. Le plomb ajouté à l'huile, a la propriété de donner de la souplesse à la peinture. Claude Yvel l'utilise lors du broyage des pigments. Le plomb minéral contenu dans cette huile est séparé du plomb liquide, lors du filtrage. Ce jaune de plomb est ainsi stabilisé, comme le massicot. Cependant, les produits vendus portent la mention poison sur l'étiquette comme l'exige la loi.

Dans l'atelier, des rouleaux de toiles préparées sont suspendus au plafond. Ce sont les témoins de la collaboration du peintre avec Lefranc Bourgeois pour les imprimeures rouge et grise. Ces dernières étaient commercialisées sous forme de pots. L'idée de préparer ce produit lui vient de l'observation des tons différents des carnations de Velasquez. Elles sont tantôt argentées si le fond est gris, tantôt dorées, si la préparation est rouge. La recette est présente dans le traité de Watin, qui conseille d'employer du brun rouge mélangé à de l'huile de noix cuite avec de la litharge. Cette préparation obtient ainsi une couleur assez épaisse pour être étendue

143 Idem, p.105.

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sur la toile avec un couteau. Le brun rouge peut être un pigment naturel ou artificiel, obtenu par la calcination de plusieurs types d'ocres jaunes. Elle a été employée comme couleur unique, ou bien comme une première couche préparatoire avant d'être recouverte d'un gris composé de céruse et de noir de charbon. Cette couche grise est constituée avec un mélange d'huile de noix et d'huile de lin, plus siccative que la première. Cette double couche de préparation rouge et grise est ce qui caractérise les oeuvres des XVIIème et XVIIIème siècles. Claude Yvel a donc retrouvé ces recettes, pour appliquer ces principes anciens de superposition de couches hétérogènes et d'utilisation de la litharge pour améliorer la siccativité. Ces informations ont été, cette fois encore, retrouvées dans le livre de Mérimée. Celui-ci précise que le problème de grains apparents à la surface de la couche picturale, comme Rey144 l'a soulevé, est due aux grains de litharge, mais n'aurait pas lieu si ce matériau était parfaitement broyé. Mérimée a pu beaucoup approfondir cette question de préparation des toiles à peindre. En effet, il était membre du jury central et secrétaire du jury de l'Exposition industrielle de 1819, où apparaissent les toiles à peindre innovantes de Rey. De plus, il participe aux recherches sur les toiles à peindre de Vallé145, qui ont reçu un rapport élogieux de Péligot146 en 1842. Mais d'après ses propres expériences, Claude Yvel recommande cette double préparation de rouge et de gris, reprenant aussi le discours d'Oudry147 à l'académie de peinture en 1752. Oudry se défendait d'employer une imprimeure blanche car, selon lui, elle gênait lors de la mise en place des valeurs, provoquait un phénomène d'opalescence suivant lequel les couleurs claires se réchauffent. Selon une remarque de Claude Yvel, cette double couche d'ocre puis de gris est une tradition présente dans la carrosserie automobile, avant de peindre la couche colorée, même si celle-ci est blanche.

Ces médiums étaient des secrets d'atelier, détenus par les maîtres anciens. Ils étaient un élément essentiel pour caractériser leur manière. Le gel employé par Rubens est ce qui lui permit de maintenir sa touche vive, conservant les empreintes

144 Etienne Rey (Lyon, 1789 - Lyon, 1867), peintre, graveur, membre de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon.

145 Pierre-Auguste Vallé (1801 - 1845), marchand de couleurs et restaurateur de tableaux, élève et successeur du peintre Michel Belot (1768 - 1824).

146 Eugène-Melchior Péligot (1811-1890), chimiste, professeur au Conservatoire des arts et métiers.

147 Jean-Baptiste Oudry (Paris, 1686 - Beauvais, 1755), peintre et graveur français.

des gestes des brosses et pinceaux, permettant une exécution rapide et de qualité, ce qui a fortement contribué à sa réputation internationale de son vivant comme à travers les siècles. Cependant, avec les siècles, la transmission dans les ateliers a disparu. Cette perte des médiums anciens a intéressé des chercheurs depuis Mérimée, et a connu un fort engouement après la Seconde Guerre mondiale148 lors de la création du premier gel par Maroger. Ces recherches ont mobilisé un grand nombre d'artistes, scientifiques et restaurateurs que nous avons cités plus haut, avant d'aboutir avec Claude Yvel à une production en collaboration avec l'entreprise Lefranc Bourgeois. Ces médiums ont été employés par les peintres en France dès leur première formulation par Maroger qui transmettait ses recherches à Marc Havel au-delà de l'Atlantique. Mais leur succès s'est étendu grâce à la diffusion via Lefranc Bourgeois, qui a permis leur utilisation par un plus grand nombre. Aujourd'hui la collaboration avec Lefranc Bourgeois a cessé, et c'est Kremer qui en a repris la création. Kremer met à disposition de ses clients la gamme Claude Yvel qui comprend l'huile noire, le vernis-gel à peindre, le vernis mastic, et le vernis mastic avec baume du Canada.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway