1.1.3. Déséquilibre sensori-tonique
Nous l'avons abordé, la motricité de Jamil est
d'abord au service de ses besoins sensoriels. Ses mouvements d'escalade
répondent à une contrainte, une nécessité de
maintenir son environnement stable. Selon Bullinger (2007a), l'équilibre
sensori-tonique est essentiel pour que l'organisme interagisse avec son
environnement et devienne corps. Pour Jamil, l'équilibre sensoriel est
très impacté, et son tonus est généralement
élevé.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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Lorsque je porte Jamil pendant certaines séances, je
remarque que son tonus est peu modifié, ne s'adapte pas dans le dialogue
tonique. Les difficultés d'ajustement tonique sont un des
éléments psychomoteurs que l'on observe dans les TSA et
constituent une première barrière dans le développement
des personnes autistes (Joly, 2010; Paquet, 2019; Réveillé et
al., 2018). Lorsque Jamil se lâche complètement sur la main de la
psychomotricienne alors qu'elle l'aide à descendre de l'espalier, son
tonus s'effondre. Dans les bras, alors qu'il maintient un certain tonus dans
ses jambes pour s'accrocher à nous, il est capable de jeter son buste en
arrière en lâchant tout son poids, son tonus s'effondre. Plus rien
ne tient dans le haut de son corps, c'est à nous de le porter et de le
rassembler.
Nous l'avons mentionné, le milieu humain joue un
rôle important dans la régulation tonique (Bullinger, 2007a). Or,
les troubles dans la relation et la communication sont un des critères
de diagnostic de TSA. Jamil est non verbal, et prend peu en compte les
personnes qui l'entourent au quotidien. L'autre prend alors une place
particulière pour lui, il ne s'appuie pas sur autrui pour mettre un sens
à ce qu'il vit.
L'interaction avec son environnement, quand elle est
présente, est peu adaptée corporellement. Ainsi, la
première étape de connaissance des objets, la connaissance dans
l'interaction (Piaget, 1936, cité par Bullinger, 2007a), est
déjà impactée chez Jamil.
Tandis que la régulation tonique ne se fait pas, le
passage de la boucle archaïque du traitement sensoriel, l'alerte, à
la boucle cognitive, la représentation, ne peut se faire non plus. La
répétition des comportements moteurs d'escalade chez Jamil ne lui
permet pas de les signifier, de s'en détacher. Non
représentés, ces mouvements ne sont perçus que dans leur
effet sensoriel interne, et non dans un effet sur l'extérieur, dans un
effet du geste.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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2. Une psychomotricité en mouvement 2.1. Naissance
d'une intention
Les mouvements stéréotypés de Jamil
semblent évoluer d'une fonction essentiellement sensorielle à une
recherche volontaire d'attention. Le terme de volontaire me paraît ici
important à noter. En effet, les comportements de Jamil appellent
déjà une importante attention sur lui, dans un processus qui
semble inconscient. Lorsque Jamil commence à chercher notre regard,
à attendre notre réaction, la demande d'attention est alors
volontaire. Dans ces regards, cette attente, il y a une intention.
Lorsque Jamil parvient, dans le temps d'accueil, à
donner le ballon à ses camarades, dans un geste dirigé vers lui
et non plus dans un simple « lâcher » du ballon dans sa
direction, c'est un début de conscience de l'autre et de soi.
Quels éléments du suivi psychomoteur ont permis
l'apparition de cette intention ?
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