PARTIE THÉORICO-CLINIQUE
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
PARTIE THÉORICO-CLINIQUE
Nous l'avons vu, les conduites de Jamil au départ
très envahies par l'aspect sensoriel ont pu évoluer vers des
gestes plus habités. Ainsi, nous pouvons nous demander comment
l'approche psychomotrice peut-elle permettre à un enfant avec TSA
s'enfermant dans des autostimulations sensorielles de retrouver une
intentionnalité dans le mouvement ?
Par le biais des références théoriques
abordées en première partie, et en lien avec ma clinique
auprès de Jamil, je vais tenter de répondre à ce
questionnement.
1. Une motricité subie
« L'acte effectué sous la contrainte, que celle-ci
soit externe ou interne, perd ses qualités inhérentes aux gestes,
pour ne demeurer qu'une simple manifestation motrice » (Obéji,
2020, p. 65)
1.1. Instabilité
1.1.1. Un monde instable, et recherche de
stabilité
Le traitement des sens chez Jamil est grandement
impacté, comme le montre son profil sensoriel. Avec des
difficultés à filtrer et sélectionner les informations
sensorielles pertinentes, Jamil ne peut les réguler efficacement. Comme
l'explique Bogdashina (2012/2020), pour les personnes autistes, un même
objet ou une même personne peuvent être identifiés par un
seul détail. Si celui-ci disparaît, l'objet n'est plus le
même. Le monde extérieur en devient alors très changeant,
non fiable. Pour Jamil, les sens de la vue, de l'ouïe, du toucher, de
l'odorat et du goût peuvent tous être source de confusion. Il a
besoin de compenser chaque modalité sensorielle par les autres, qui ne
sont pas toujours fiables elles aussi.
Nous l'avons abordé, une stabilité
sensori-tonique est nécessaire à l'élaboration du
mouvement (Bullinger, 2007a; Obéji, 2020). Or, l'équilibre
sensoriel chez Jamil n'est pas atteint, ce qui peut impacter son
équilibre tonique. Mais alors, comment trouver la stabilité
nécessaire à l'appropriation de sa motricité ?
Livoir-Petersen (2008) explique que dans son
développement, lorsque l'environnement interne ou externe est trop
instable, le bébé se repose sur une source sensorielle
extérieure prévisible ou sur son environnement corporel interne.
Pour Jamil, le recours à des
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stimulations proprioceptives et vestibulaires, qui sont des
sensations internes, aurait cette fonction stabilisante. Cependant, pour
l'enfant « l'agrippement à des sources sensorielles le laisse
dépendant de celles-ci » (Livoir-Petersen, 2008, p. 53). Jamil
semble en effet très dépendant de ses explorations sensorielles,
il ne peut réprimer son besoin d'aller escalader, chercher de la hauteur
et de l'instabilité corporelle. Son incapacité à se
stabiliser sur le plan moteur, ou ce que j'ai pu nommer comme étant de
l'agitation, fait écho à l'instabilité du monde qu'il
perçoit. Il est d'ailleurs paradoxal que Jamil stabilise son vécu
du monde en cherchant des positions d'équilibre instable.
Selon Bullinger (2007a), la recherche de stimuli sensoriels a
pour fonction de maintenir l'image du corps, lorsque celle-ci n'est pas stable.
Pour Jamil, quelle image de lui-même peut-il construire quand il doit
constamment être en alerte et gérer l'instabilité du monde
qui l'entoure ? Ces manifestations motrices d'escalade seraient alors un moyen
de maintenir une perception corporelle pour Jamil. De plus, le sentiment de
vigilance que provoque Jamil chez l'autre en se plaçant dans des
positions dangereuses pourrait être un moyen de maintenir cette image de
lui-même au travers du regard de l'autre. En effet, l'attention que je
lui porte durant les séances fait que je l'investis beaucoup
psychiquement, il semble prendre une place plus importante que d'autres enfants
plus discrets dans le groupe.
De plus, Jamil a grandi dans un environnement familial
instable, ce qui a pu perturber l'élaboration d'un sentiment de
sécurité interne lié à l'attachement à ses
figures parentales (Dugravier & Barbey-Mintz, 2015). Son besoin de
s'accrocher à des ressources sensorielles internes peut être en
lien avec un besoin de garder une sécurité interne qu'il ne
trouve pas dans la relation.
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