2.2. Contexte du soin
Il n'y avait précédemment pas de
psychomotricienne sur l'IME, Jamil ne disposait donc pas de suivi psychomoteur.
La psychomotricienne arrive en novembre et j'arrive deux semaines après
elle sur l'établissement.
Une éducatrice organise un groupe moteur avec quatre
enfants de son unité, elle se trouve en difficulté à le
mener et demande l'aide de la psychomotricienne. Cette dernière et
moi-même nous sommes donc intégrées au groupe à sa
demande afin de le coanimer. Ce
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groupe n'avait jusqu'alors pas d'objectifs formulés, ni
de structure particulière, les enfants avaient accès libre au
matériel qu'ils préféraient. La psychomotricienne observe
deux séances du groupe avant mon arrivée afin de
déterminer des objectifs et une structuration de séance. Notre
arrivée marque alors un changement, la séance est
structurée en différents temps : temps d'accueil,
échauffements par des déplacements dans la pièce, parcours
psychomoteur, temps sensoriel libre puis temps calme. Ces temps sont
signifiés sur un schéma avec des pictogrammes.
Durant les séances de psychomotricité, je prends
rapidement une place active dans l'accompagnement des jeunes sur les
activités.
2.3. Première rencontre
Je rencontre Jamil pour la première fois au sein de son
unité à l'IME, sur le temps d'accueil puis sur un temps de
goûter juste avant de descendre en séance de
psychomotricité. Jamil est un enfant d'origine arabe, il a le teint
hâlé et les yeux marrons, ses cheveux sont sombres et
légèrement bouclés. Il est plutôt fin, et a les
traits du visage assez doux. Jamil semble plein d'énergie et difficile
à poser. Il ne parle pas, mais peut produire des sons comme des cris
lorsqu'il s'ennuie ou qu'il est dans l'excitation.
Jamil comprend bien le langage oral lorsque les phrases sont
simples, il ne présente pas de déficience intellectuelle
marquée. Il dispose d'un classeur avec différents pictogrammes
qu'il peut prendre et montrer aux professionnels pour formuler des demandes.
Jamil se saisit bien de cet outil pendant les temps de repas par exemple,
où il est capable de demander un fruit ou du pain.
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3. Les séances de psychomotricité
3.1. Une agitation psychomotrice marquée
3.1.1. Première séance :
incapacité à rester immobile
Lors de la première séance où j'assiste
au groupe, nous expliquons aux enfants la nouvelle structuration de la
séance et plaçons le schéma au mur. À chaque
étape nous prenons le temps de montrer le pictogramme qui correspond.
Le premier pictogramme correspond à l'action de retirer
ces chaussures. C'est une action qui était déjà
réalisée en début de groupe, elle est donc bien
intégrée par Jamil et les autres enfants.
Après avoir retiré ses chaussures, Jamil se
dirige seul vers le placard pour aller chercher la balançoire. Il avait
pour habitude d'utiliser cette balançoire sur le temps de groupe lorsque
la monitrice-éducatrice l'animait seule. Nous lui indiquons que non, ce
n'est pas encore le moment pour la balançoire, mais qu'il pourra l'avoir
plus tard en fin de séance, comme récompense. Il accepte de ne
pas avoir la balançoire, mais ne parviens pas à rester en place.
Il court dans la pièce, avec un tonus élevé et grimpe sur
l'espalier. Son agilité me surprend, il semble réaliser les
mouvements de manière automatique, avec une bonne dissociation des
membres et une maîtrise de son équilibre. Cependant, il ne semble
pas réellement présent à ce qu'il fait. Lorsqu'il
redescend, il saute, se jette presque au sol. Cela me surprend encore une fois,
et j'éprouve une volonté d'aller le rattraper, comme s'il allait
se faire mal. Il se réceptionne pourtant correctement sur ses deux
jambes, malgré un impact assez fort qui le pousse à les plier.
Tout cela se déroule très rapidement, Jamil me semble plein
d'énergie et je me sens presque dépassée par sa
vitesse.
Le temps suivant est un temps d'accueil, où nous nous
passons une balle les uns aux autres en nous disant bonjour. Jamil a du mal
à se calmer sur ce temps, son agitation est très présente
: il court dans la pièce, sautille et escalade des agrès. Son
tonus est encore une fois très élevé, dans ce qui semble
un trop plein d'énergie. Il pousse aussi quelques cris d'excitation.
Lorsqu'il a la balle dans les mains et qu'on lui demande de la donner à
un autre enfant, il la lui jette sans vraiment regarder la direction de son
geste. Son regard est porté sur son objectif suivant : l'espalier, vers
lequel il se dirige au moment même où il lâche le ballon.
Puis nous entamons des échauffements, qui consistent en
des déplacements dans la pièce : course, quatre pattes, ramper...
Courir avec Jamil est possible et amène encore une fois de
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l'excitation, qui est ensuite difficile à contenir. Il
va s'échapper alors que je suis avec lui pour l'accompagner et filer
très vite à l'autre bout de la pièce, vers l'espalier,
qu'il escalade encore une fois. Je lui dis de descendre, et le ramène
assez aisément à l'activité en cours. Les
déplacements au sol sont plus difficiles à réaliser,
j'essaie de lui montrer, de le guider au sol, mais il ne le fait pas. Je me
demande alors si c'est une question de compréhension ou d'envie,
d'intérêt qu'il ne trouve pas dans le fait d'aller au sol.
À ce moment, Jamil s'échappe à nouveau pour aller grimper
sur les agrès, chercher à nouveau de la hauteur. Il me
paraît alors insaisissable, comme s'il me « glissait » entre
les mains, qu'il était impossible de le garder présent avec
nous.
Nous prenons ensuite le temps d'installer un parcours
psychomoteur. Ce temps de transition permet à Jamil de grimper à
sa guise, sous notre surveillance. Je ressens cependant le besoin de toujours
le surveiller. En effet, il est capable de se mettre en danger en escaladant
les agrès, dans des positions de déséquilibre. Ce besoin
d'être toujours vigilante à ce qu'il fait est présent
durant toute la séance, alors que je le rencontre à peine.
Il vient ensuite s'intéresser au matériel que
nous sortons et nous aider à l'installer. Nous installons une poutre en
mousse, des barres à enjamber, des plaques sensorielles au sol, un
tunnel ainsi qu'une planche d'équilibre. Jamil semble aimer nous aider
à installer le matériel. Je porte alors sur lui un autre regard,
son agitation laisse place à un enfant curieux. Il aide à placer
les barres dans les plots, mais se trouve en difficulté pour les placer
correctement dans les trous, car son regard n'est pas fixé sur ce qu'il
fait. Cependant, pour la première fois de la séance je me sens
« avec » lui, et non plus « autour » de lui.
Il est difficile de faire suivre le parcours à Jamil,
il va commencer puis partir au milieu du parcours pour aller grimper sur
l'espalier à nouveau. Nous le ramenons au parcours, pour qu'il le
finisse, et aussitôt finit il retourne escalader les agrès.
J'observe à chaque fois que lorsqu'il doit redescendre il ne prête
pas attention à la présence d'un autre objet, d'une personne en
dessous de lui, il se lâche afin de retrouver le sol.
Durant le parcours, Jamil parvient à aller au sol dans
le tunnel, et s'y déplace à quatre pattes. Je suis
étonnée, lui qui ne va pas au sol lors des déplacements
accepte de le faire quand l'objectif est de traverser le tunnel. Je me
questionne alors, la nature contenante du tunnel a-t-elle aidée à
ce qu'il accepte de se déplacer au sol, ce qu'il n'a pas l'habitude de
faire ? Ou la présence d'un but, traverser, le motive-t-elle à
accepter un déplacement qui n'a d'habitude pas de sens, d'utilité
pour lui ?
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Nous rangeons ensuite le matériel du parcours et
sortons des éléments pour le temps sensoriel libre. Jamil nous
aide encore une fois à ranger le matériel et montre de bonnes
capacités de mémorisation : il est capable de replacer les objets
dans le placard au bon endroit, sans que nous ayons à le lui indiquer.
Sur ce temps sensoriel, Jamil demande à utiliser la balançoire,
il la prend par lui-même et la place en dessous de la fixation, puis
essaie de la soulever pour l'accrocher, mais n'atteint pas la hauteur de la
fixation. C'est une balançoire à assise circulaire en tissu
épais avec trois points d'attache qui se rejoignent en une fixation en
haut. Une fois la balançoire attachée, j'observe Jamil se jeter
dedans sans aucune considération pour son environnement ou du danger
possible pour lui-même ou les autres. Il se balance très fort,
très haut et ferme les yeux et place sa tête en arrière.
Ses comportements d'escalade que j'ai observés pendant
la séance, mis en lien avec ce balancement durant le temps sensoriel, me
questionnent sur un éventuel besoin de sensations vestibulaires chez
Jamil. Il semble apprécier et rechercher les stimulations vestibulaires
fortes.
Nous éteignons ensuite les lumières et jouons
une comptine sur un téléphone afin de proposer aux enfants un
temps calme. La comptine offre une enveloppe sonore et la baisse de
luminosité permet de réduire les stimulations visuelles, offrant
un espace d'apaisement sensoriel. La psychomotricienne, la
monitrice-éducatrice et moi-même restons très disponibles
durant ce moment. Nous offrons des stimulations tactiles avec des balles
à picots ou un appui dos pour les enfants qui le veulent. Jamil
apprécie la baisse de luminosité, mais il ne se pose pas dans cet
espace, même avec les stimulations tactiles qui lui sont
proposées. Il continue ses comportements d'escalade, de course et pousse
même des cris qui semblent liés à une excitation.
À l'issue de cette séance, je m'interroge sur
l'agitation que j'observe chez Jamil. Il me semble que l'immobilité lui
est très difficile à atteindre, et que dans son mouvement il
recherche une certaine hauteur et des éléments sensoriels
vestibulaires. Son tonus axial est élevé, comme dans une
recherche de grandissement et peut-être de sensations proprioceptives.
Revenir au sol est difficile pour lui, malgré nos encouragements et nos
démonstrations. Je fais l'hypothèse que revenir au sol n'apporte
pas les sensations proprioceptives et vestibulaires que Jamil recherche, il n'y
trouve donc pas d'intérêt. En effet, Jamil semble apprécier
le déséquilibre, ce qu'un déplacement au sol apporte
peu.
Ces comportements d'escalade et de course semblent le couper
du monde et des conséquences de ses actions, Jamil est peu
présent au groupe et aux activités qu'il réalise. Je
l'observe, mais nos regards ne se croisent pas, il est absorbé par ses
sensations. La relation avec Jamil ne semble pas trouver d'attache.
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Il est malgré tout relativement aisé de le
ramener à l'action présente, lorsqu'on lui donne la consigne de
descendre il le fait. Néanmoins, son besoin d'escalader revient
rapidement et nous le « perdons » à nouveau. Ces conduites me
paraissent très envahissantes au cours de la séance.
Je me demande alors si cette agitation est influencée
par le changement que nous apportons au groupe, autant par la présence
de deux nouveaux adultes que par le changement du dispositif. Cette agitation,
proche d'une hyperactivité, me pose aussi une question sur
l'éventuelle présence d'un TDAH associé. Après
vérification auprès de la psychomotricienne, le diagnostic de
Jamil n'inclut pas de TDAH.
L'aspect sensoriel me paraît dès le début
assez présent dans le fonctionnement de Jamil et me questionne. Un
profil sensoriel serait pour moi important à réaliser pour tenter
de comprendre ce qu'il se joue pour lui.
Je me questionne aussi sur l'état de vigilance qu'il me
fait vivre, mon attention semble accaparée par Jamil. Est-ce alors un
moyen pour lui d'attirer, de maintenir l'attention sur lui ?
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