3.1.2. Les espaces du mouvement
La question des espaces est cruciale dans le
développement du geste (Obéji, 2020). On distingue plusieurs
notions d'espace au cours du développement. Au départ, c'est
l'espace des déplacements qui se construit, c'est-à-dire
l'organisation générale de l'espace, se situer dans celui-ci et
pouvoir l'explorer.
Cette exploration est conditionnée par
l'intérêt que va porter l'enfant aux objets : « Il est
nécessaire de donner l'envie, la sécurité, de partager
l'expérience, afin que l'enfant oriente ses perceptions sur ces objets
parce qu'investi par d'autres. » (Obéji, 2020, p. 57)
L'exploration dépend aussi du sentiment de
sécurité interne de l'enfant (Dugravier & Barbey-Mintz,
2015). Il se construit par le biais du système d'attachement à un
adulte, créé par l'accumulation d'interactions avec celui-ci.
Plus le lien d'attachement est sécure, plus l'enfant ose explorer un
environnement inconnu. Les réactions émotionnelles
provoquées par le milieu seront aussi mieux maîtrisées.
Puis l'espace des objets se développe, avec un
repérage des différents objets du milieu (Obéji, 2020). La
visualisation d'un espace nécessite de s'appuyer sur sa mémoire
sensori-motrice, sur les mouvements du corps nécessaires pour s'y
rendre, et implique donc d'avoir déjà pu l'explorer
(Poincaré, 1917, cité par Obéji, 2020).
Enfin, l'espace des limites est maîtrisé,
l'enfant fait la différence entre l'intérieur et
l'extérieur, le soi et le non-soi (Obéji, 2020). Penser les
espaces dans le geste, c'est aussi penser à celui du corps. Plusieurs
noms existent pour représenter cet espace, comme le schéma
corporel, l'image du corps, l'espace corporel, espace du soi... La construction
de cet espace se fait par l'exploration sensorielle, par la perception de
stimuli internes et externes. L'image du corps se construit alors que la
perception sensorielle passe d'un fonctionnement monomodal à multimodal,
et permet de délimiter l'intérieur et l'extérieur de
celui-ci.
Le dialogue tonique participe à l'intégration du
corps comme unité différenciée de son environnement
(Livoir-Petersen, 2008). Le processus de construction de l'espace du corps est
permis par le milieu humain ainsi que par la répétition des
expériences (Obéji, 2020).
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Si l'image du corps n'est pas stable, les mouvements vont
avoir pour rôle un maintien constant de celle-ci, allant à
l'encontre de l'instrumentation du geste (Bullinger, 2007a).
3.2. Les processus de représentation 3.2.1. Tout
commence dans l'interaction
Les processus de représentation commencent dans
l'interaction entre l'organisme et son milieu (Bullinger, 2007a). Les
caractéristiques stables de l'organisme et celles de l'environnement
permettent une cohérence dans leurs échanges. Ainsi,
l'équilibre sensori-tonique de l'organisme est indispensable à
l'interaction. Cette cohérence et cet équilibre sont essentiels
pour que les échanges entre l'organisme et son milieu donnent lieu
à l'activité psychique. En effet, ils sont ce qui permet
d'interagir sans se désorganiser et à terme de modifier ses
conduites.
Piaget, en 1936, décrit trois niveaux de connaissance
des objets (cité par Bullinger, 2007a). Le premier correspond à
une connaissance dans l'interaction, et permet l'habituation à des
signaux sensoriels perçus dans cette interaction.
Le second niveau de connaissance des objets correspond
à la connaissance du geste sensori-moteur, dans ses aspects de vitesse,
de force, qui peut alors être anticipé et
répété. La représentation est alors centrée
sur le mouvement et ses caractéristiques.
Enfin, ce sont les objets et l'espace qui sont
représentés grâce à la trace du geste, à ses
effets. La représentation ne dépend plus du mouvement, elle est
déplacée sur l'effet de celui-ci. Le geste peut alors être
planifié dans une perspective de modification du milieu et devenir
action instrumentale.
L'activité psychique se construit grâce à
la répétition et à la régularité des
expériences sensorielles (Bullinger, 2007a). Au départ, le
traitement des signaux sensoriels se fait sur la base du tout ou rien, d'alerte
et d'orientation dans ce qu'on appelle la boucle archaïque. Le
développement de la perception, développé
précédemment, donne accès à une instrumentalisation
progressive du geste.
La répétition des expériences
sensorielles permet de les mémoriser et de les comparer, et à
terme de les symboliser. Pour Obéji (2020), mémoriser et comparer
les expériences implique que celles-ci aient fait trace et qu'elles
trouvent un écho entre elles, qu'elles se généralisent et
ne dépendent plus d'un contexte strict. D'un geste réalisé
uniquement en réponse à l'environnement, le sujet va pouvoir
passer à un geste d'instrumentation actif. L'anticipation repose alors
sur la stabilisation des processus d'activation et d'inhibition musculaire,
mais aussi sur la capacité à mémoriser et comparer les
expériences entre elles.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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3.2.2. Appropriation du corps
Un équilibre psychocorporel est essentiel dans les
processus d'élaboration des représentations (Obéji, 2020).
Passer d'un mouvement purement sensori-moteur à une action symbolique
nécessite en effet de pouvoir se sentir maître de son corps
(Orjubin, 2022). Ce sentiment constitue la première étape au
développement de l'autonomie. Maîtriser son corps, c'est se le
représenter comme un objet à part entière de
l'environnement, être soi-même acteur dans son milieu.
La seconde étape à la constitution de
l'autonomie est l'appropriation de ses capacités psychomotrices en les
adaptant au contexte temporel, spatial et social.
Le milieu humain joue un rôle crucial dans le passage de
la boucle archaïque, système d'alerte aux stimuli, à la
boucle cognitive (Bullinger, 2007a). Effectivement, grâce au dialogue
tonique, le milieu humain donne accès à une régulation des
états toniques engendrés par la perception des flux sensoriels.
Livoir-Petersen (2008) décrit trois rôles du milieu humain dans la
réorganisation tonico-émotionnelle du bébé. Ceux-ci
sont de faire cesser ce qui a désorganisé le bébé,
de le rassurer en lui apportant des éléments familiers et de
montrer de l'empathie par le biais du dialogue tonique.
L'équilibre tonique nécessaire à
l'interaction est alors maintenu et prend du sens dans celle-ci (Bullinger,
2007a). La boucle cognitive est constituée par l'apparition des
représentations. Celles-ci offrent de nouveaux moyens de
régulation tonique, d'anticipation et de compréhension du monde,
et permettent de se détacher de l'environnement immédiat
(Bullinger, 2007b).
Ainsi, de nouveaux gestes peuvent être mis en place, les
conduites sont transformées.
LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)
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