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L’humanitaire entre urgence et permanence. Les activités de médecins transfrontière et de Caritas en Afrique Subsaharienne.


par Yannick Stéphane MANGA AWOA
Institut des relations internationales du Cameroun -  Master en relations Internationales 2015
  

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PARAGRAPHE II : LE TEMOIGNAGE EN CAS DE SITUATIONS HUMANITAIRES : UNE REACTION URGENTE

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Dans un article scientifique intitule «Speaking out or remaining silent in humanitarian work », Jakob Kellenberger311 revient sur une question au nom de la neutralité : faut-il garder silence face aux atrocités et aux douloureuses réalités rencontrées sur les théâtres humanitaires ? Il y a donc ce que l'auteur appelle « Tension between action and testimony » ? Pour MSF, dans une mission humanitaire, la parole est fondamentale, elle fait partie d'une réaction humanitaire urgente. Il faut agir et faire agir. Cette logique du « témoignage humanitaire » est une preuve de la manifestation de la dimension urgente des interventions. Elle a à notre sens deux objectifs complémentaires à savoir montrer l'indignation de l'acteur humanitaire face à la crise humanitaire et dénoncer les abus observés contre les normes de droit international humanitaire. L'intérêt de ce témoignage a été résumé par James Obinski, ancien président de MSF à l'occasion du discours de la remise du prix Nobel de la paix 1999. « Le silence a souvent été confondu avec la neutralité, il a souvent été présenté comme une condition nécessaire pour mener des actions 1`humanitaires. MSF s'est construit en réfutant cette hypothèse. Car si nous ne sommes pas sûrs que la parole peut sauver, nous savons que le silence tue. »312

A. LA RHETORIQUE VEHEMENTE DE L'INDIGNATION

La logique de l'indignation vise à favoriser la mobilisation de la communauté internationale et toute la communauté humanitaire. En plus, l'indignation vise à alerter les acteurs en conflit pour soit faciliter le travail humanitaire, soit réduire l'intensité des conflits. Pour Bernard Kouchner, c'est un enjeu moral, une parole agissante et un appel à la mobilisation.

Ainsi, se trouvent mobilisées la communauté internationale et la communauté humanitaire. La communauté internationale interpellée signifie que, l'action humanitaire n'est pas une affaire privée ou un jeu de complice mais un service universel, un service pour le bien-être de l'humanité. L'humanité a le droit de savoir et MSF le devoir de parler. L'humanitaire en urgence serait donc un système de communication313 entre l'acteur humanitaire sur le terrain et les spectateurs loin du conflit et entre l'acteur humanitaire et les Etats de la planète. Pour

311 J.Kellenberger, « Speaking out or remaining silent in humanitarian work », RICR Septembre IRRC September 2004 Vol. 86 No 855,Pp. 593-609.

312 Discours prononcé par Monsieur James Orbinski. Oslo 10 décembre 1999, Pp.1-2.

313 P.Sylvain, La représentation humanitaire en question, la crise du Darfour au quotidien à Médecins Sans Frontière, mémoire, institut d'études de Toulouse, 2004-2005, p.12.

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Perron Sylvain, il y a un passage de la représentation humanitaire de la victime à la représentation de la victime humanitaire. Cette politique de mobilisation de la communauté internationale a été expérimentée par MSF lors de la crise du Darfour en 2004. Comptée parmi les ouvriers de la première heure au Darfour, MSF interpelle le monde entier par le service des médias. Les communiqués de presse, les publications, les rapports sont autant de mécanismes que MSF utilise pour mobiliser la communauté internationale derrière la cause humanitaire survenue étrangement. Le 15 janvier 2004, MSF « réveille » le monde avec son communiqué de presse sur la crise du Darfour. Le contenu du communiqué de presse décrit une situation considérée comme une crise humanitaire sans précédent. « Soudan-Darfour, suite à la fermeture forcée des camps de Nyala par les autorités soudanaises, MSF s`inquiète du sort des populations », « ces personnes arrivent à Nyala les mains vides, après avoir subi des violences et vu leurs villages et leurs récoltes pillées et brûlées, dans l`espoir de trouver enfin un asile sûr et une aide vitale » ...

MSF va communiquer au monde le premier bilan humanitaire314 de la situation dans la sous-région. Le communiqué de l'association va susciter l'émotion et les réactions urgentes. Les besoins de la crise vont augmenter au fur et à mesure que la crise évolue. Qui dit besoin, parle de finances et de matériel utile pour la logistique humanitaire. Au Darfour cette mobilisation a favorisé l'implication des bailleurs de fonds traditionnels à l'instar des Etats-Unis ou encore de l'Union européenne. Pour le cas de l'UE, elle a soutenu la mission d'observation de l'Union Africaine pour son extension dans le conflit. Officiellement, l'instrument financier pour la paix en Afrique a mis une enveloppe de 80 millions d'euro315 à la disposition de l'UA.

L'indignation de MSF a aussi pour objectif de susciter la mission et les interventions des autres acteurs humanitaires. Sur le terrain humanitaire, le paradigme partenariat est fondamental pour la réalisation de la mission. L'ampleur de la crise humanitaire implique que les acteurs se mettent ensemble pour apporter une réponse efficace et proportionnée. Au Darfour, MSF est restée leader d'opinion demandant aux acteurs un engagement réel et supplémentaire face à la crise humanitaire. Le 10 mars 2004316 dans un communiqué de presse, MSF relève le chao nutritionnel qui menace les populations déplacées. Le

314 Un taux de mortalité de 6 décès pour 10 00 personnes par jour pour les enfants de moins de cinq ans.

315 ECHO est présenté comme le premier bailleur de fonds en matière humanitaire.

316 Médecins Sans Frontières, Communiqué de presse du 10 mars 2004 publié à Paris.

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communiqué du mois d'avril de la même année est une main tendue de l'association aux autres acteurs humanitaires. Elle révèle les problèmes de malnutrition, de santé et la fin du communiqué montre que nous sommes en situation d'urgence, « il y a urgence à agir » lira-t-on.

Dans le rapport moral publié en mai 2004, on enregistre pour cette année, un nombre impressionnant de 90 communiqués de presse.317 Cela a un grand impact pour la mobilisation selon Fabrice Weissman318 qui indique que la crise du Darfour a mis en scène près de 13 000 travailleurs humanitaires, soit 900 travailleurs internationaux, 80 ONG et 12 agences des Nations-Unies.

Enfin, cette indignation est une forme d'interpellation des auteurs du conflit ou des responsables politiques. En effet, MSF comme tout autre acteur humanitaire a le devoir de communiquer avec les autorités, dans le cas de la guerre civile, entre les acteurs en conflits. L'intérêt de ce rapport vise à légitimer l'intervention et d'envisager les arrêts des conflits. MSF a lors de ces interventions évité la complicité avec les autorités, complicité qui dans le cadre de certains conflits a entraîné le détournement de l'aide ou l'usage stratégique de l'aide. La mission humanitaire demande aux acteurs de rester fidèles à certains principes déontologiques. L'illustration de cette action d'alerte des autorités nationales permet de revenir sur un évènement majeur qu'a connu l'Ethiopie, la famine de 1984. C'est à l'occasion de cet évènement que MSF a su et a pu montrer l'impact de la parole publique malgré l'expulsion de sa branche française. Nous n'allons pas revenir sur le récit complet de la situation mais sur le rôle de taon, acteur humanitaire major qu'a joué MSF.

C'est une situation des années 1983, période marquée par une famine causée par la sécheresse. Les régions du Nord, de l'Est et de l'Ouest du pays sont touchées et le pays est dirigé par le régime autoritaire du colonel Mengistu Haïlé Mariam. Ayant pour objectif d'améliorer le niveau de vie des éthiopiens, le régime institua Relief and rehabilitation commission (RRC)319 qui avait l'immense responsabilité de procéder à la coordination et à la

317 Rapport moral du 16 mai 2004, p.8.

318 F.Weissman, « Point de vue humanitaire sur les réactions internationales à la crise du Darfour », Crash, 2005, p.5. Extrait de son Intervention à l'Université de Columbia dans le cadre de la conférence Sudan Divided, The Challenge to Humanitarian action, 22 février 2007.

319 Commission gouvernementale d'aide et de réhabilitation.

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distribution de l'aide nationale et internationale et à la réinstallation des sinistrés dans d'autres zones. En Avril 1984, les volontaires de MSF France s'installent au camp de Korem avec une dizaine de milliers de personnes. Ce camp est non loin de la zone contrôlée par un groupe de rebelles contre le gouvernement en place, le Front de libération tigréen. A cette époque, MSF n'exerce que les activités médicales, les activités nutritionnelles sont menées par Save the Children Fund (SCF).

Les personnes âgées sont affectées doublement par les maladies et la malnutrition. Malgré les soins de santé fournis aux déplacés, les populations sont affamés. Pendant que le régime prépare le dixième anniversaire de la révolution, les statistiques de mortalité et de victimes de famine augmentent mais l'ordre est donné de ne pas voir diffuser ou publier les informations relatives à la situation de la famine. Le témoignage de Brigitte Vasset lors d'une visite du responsable du PAM à Korem traduit le contexte politique : « On avait très peu de visites extérieures mais un représentant du PAM est passé à Korem. Je lui ai dit : « famine » et quinze jours à trois semaines après, Tamrate le représentant de la RRC (Commission éthiopienne de secours et de réhabilitation) me dit : « le grand chef veut te parler, parce que tu as dit famine ». Je descends à Addis et je vois le commissaire de la RRC, qui me dit « il ne faut pas parler de famine. Il n`y a que des problèmes de disette, des problèmes de malnutrition. Attention, il n`y a pas de famine ici ». Il ne faut pas oublier qu`à cette époque, ils préparent le 10e anniversaire de la révolution. »320.

MSF doit négocier avec les autorités pour pouvoir exercer dans certaines localités. Mais la difficulté survient lorsqu'après la reconnaissance officielle de la famine, le Colonel Mengistu prend la décision du transfert d'un million et demi d'habitants des provinces du Nord vers les terres fertiles du Sud et de l'Ouest.321 Cela a suscité de vives critiques et de nombreuses interrogations sur l'usage de l'aide.

320 B.Vasset, coordinatrice médicale MSF France à Korem d'avril 1984 à mai 1985 puis responsable de programme Ethiopie MSF France, témoignage que nous avons retrouvé dans la publication de MSF , Famine et transferts forcés de populations en Ethiopie 1984-1986, p.15.

321 ibid, p.18.

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En même temps, la mobilisation de la générosité pour cette cause va connaitre une plus grande ampleur mais la famine continuait de faire des ravages dans les zones qui n'étaient pas contrôlées par le régime. « En octobre 1985, après avoir essuyé plusieurs refus d`autorisation pour l`ouverture d`un centre de nutrition thérapeutique à Kelala, qui aurait évité la mort de plusieurs milliers d`enfants, MSF France dénonce publiquement ce refus, l`utilisation de l`aide internationale pour les transferts forcés de population et les conditions désastreuses dans lesquelles se déroulent ces derniers. »322. En décembre 1985, MSF-France est expulsée. Son départ a permis de découvrir d'autres dérapages humanitaires. Son activité de dénonciation a des conséquences pour la protection et le témoignage judiciaire.

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