1. LA THESE DE L'HOMO HOMINI DEUS
La thèse de l`homo homini Deus n'est pas
à proprement parler opposer à la thèse l`homo homini
lupus. L'homme est un loup pour l'homme au nom de la rivalité, de
la méfiance et de la fierté. La société prend
l'allure envisagée par cette formule classique, « bellum omnium
contra omnes », traduite en français, « la guerre de
chacun contre chacun » bien exprimée par Thomas Hobbes dans
le Leviathan . Mais au-delà de ce visage animal de l'homme, il
a paradoxalement un visage humain, raisonnable. D'où la thèse de
l`homo homini deus défendue par Baruch de Spinoza. Elle
consiste à reconnaître que l'homme est un dieu pour l'homme. Il
est capable de porter secours et assistance à l'autre qui en a besoin.
Il pose des gestes humanitaires par ce qu'il est éclairé par la
raison. « Dans la mesure seulement où les hommes vivent sous la
conduite de la raison, ils s`accordent toujours nécessairement en
nature... L`expérience même atteste chaque jour par des
témoignages si clairs presque tous répètent : l`homme est
un Dieu pour l`homme »172. L'homme comme être de
raison ne peut tolérer les souffrances quotidiennes, il va agir. Et
cette action, c'est l'action humanitaire.
Cette action devient du fait de la raison en activité
un devoir moral. Emmanuel Kant qualifie cela : « l`indissociable
sociabilité des hommes, c`est-à-dire leur inclination à
entrer en société »173. La personne humaine,
lorsqu'elle souffre au nom de son identité et du règne de la
souveraine raison doit toujours être traitée avec humanité.
C'est l'occasion de dire que si l'humanisme est un esprit, il est
concrétisé par l'action, l'action humanitaire permanente.
L'expression de la raison se trouve donc dans la loi morale. Il y a un
impératif de moralité. « Il y a un impératif qui
nous ordonne immédiatement une certaine conduite
»174 . En clair l'action humanitaire a un fondement moral,
elle est morale parce que l'homme agit selon la puissance de la raison. C'est
la raison qui agit dans cette thèse de l' homo homini deus mais
pour d'autres auteurs , c'est le coeur qui motive l'action humanitaire.
172Spinoza, Ethique, 4e partie,
prop.35, et scolie du corol.2de la prop, 1677, 35, p.249.
173E. Kant, Idée d`une histoire
universelle au point de vue cosmopolitique, in philosophie de
l`histoire, Aubier, 1947. pp.64-65.
174 E.Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs,
Ladrange, 1785, p.20.
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L'HUMANITAIRE ENTRE URGENCE ET PERMANENCE : LES ACTIVITES
DE MEDECINS SANS-FRONTIERE ET DE CARITAS EN AFRIQUE SUBSAHERIENNE
2. LA LOI DU COEUR
Souvent considéré comme l'instrument,
l'expression de la sensibilité, le coeur est un élément
fondamental dans l'action humanitaire quotidienne. Les actes, les dons, les
facilités viennent mettre en actes une sensibilité, une
émotivité, une subjectivité intérieure à
l'homme. Malgré quelques objections, l'action humanitaire
véritable est une affaire de coeur. La faiblesse, l'impuissance, le
malheur et les souffrances suffisent à susciter l'affection de celui qui
aide. Aller à la rencontre des hommes en souffrance demande un minimum
de sensibilité, il faut le faire en accord avec ses sentiments. Rousseau
confirme cette logique du coeur : « Exister pour nous, c`est sentir ;
notre sensibilité est incontestablement antérieure à notre
intelligence, et nous avons eu des sentiments avant les idées. Quelle
que soit la cause de notre être, elle a pourvu à notre
conservation en l`amour de soi, la crainte de la douleur, l`horreur de la mort,
le désir du bien-être »175.
Cette humanitaire en permanence se confond à la
bienfaisance et à la charité quotidienne. C'est le monde sensible
et non le monde intelligible. Il faut faire le bien sans jamais se lasser. La
sensibilité fait partir du monde. Si la sensibilité n'est plus,
le monde cesse et l'action humanitaire n'a plus droit de citer. Kant permet de
voir le rapprochement entre l'humanitaire en permanence et la bienfaisance.
« Etre bienfaisant, lorsqu`on le peut, est un devoir, et, de plus, il
y a certaines âmes si naturellement portées à la sympathie
que, sans aucun motif de vanité ou d`intérêt, elles
trouvent une satisfaction intérieure à répandre la joie
autour d`elles, et jouissent du bonheur d`autrui en tant qu`il est leur ouvrage
»176. Kant ne s'arrête pas là dans son texte,
il imagine des hommes bienfaisants sans un moindre chagrin pour les malheurs
d'autrui et s'abstiennent de voler à leurs secours, cela sera immoral et
dangereux. On retient que c'est la loi du coeur, une loi naturelle qui favorise
cette humanitaire en permanence qui apparait dans les écrits de Kant
comme l'ouvrage qui garantit le bonheur d'autrui. Cette loi du coeur est aussi
exprimée dans les doctrines religieuses.
B. AU PLAN RELIGIEUX
Loin d'une prière ou l'expression d'un sentiment
religieux, on peut démontrer que l'action humanitaire de tous les jours
a un fondement religieux. Les écrits bibliques et la doctrine de
175 Rousseau, Emile ou de l`éducation, Naigeon,
p.315.
176 Kant, Fondements de la métaphysique des
moeurs, op.cit, p.45.
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DE MEDECINS SANS-FRONTIERE ET DE CARITAS EN AFRIQUE SUBSAHERIENNE
l'église catholique romaine inspirent l'action
humanitaire de type permanent. Deux logiques guident cette action : la logique
du prochain et la place de la charité dans la doctrine. Ces deux
logiques sont interprétées selon l'action humanitaire de
permanence.
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