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L’humanitaire entre urgence et permanence. Les activités de médecins transfrontière et de Caritas en Afrique Subsaharienne.


par Yannick Stéphane MANGA AWOA
Institut des relations internationales du Cameroun -  Master en relations Internationales 2015
  

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3- ANALYSE TERMINOLOGIQUE DES CONCEPTS

Gaston Bachelard établit le rapport entre la science et l'opinion. « On doit rien fonder sur l`opinion ( ...) l`esprit scientifique nous interdit d`avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement ». Cette formulation passe par les définitions des concepts. Le professeur KAMTO précise que la définition est « la traduction en prédicats ou attributs qui prétend cerner l`essence de la chose »27. Plusieurs concepts seront présentés en accord avec les définitions conventionnelles, lexicales, doctrinales et selon notre appréhension propre. La terminologie relative à l'action humanitaire en général est ainsi abordée avant de l'appréhension de l'humanitaire dans les formes urgente et permanente. Des précisions portant sur MSF ET CARITAS ne peuvent être négligées.

a) La notion d'action humanitaire

L'essai de clarification du concept action humanitaire se fera en deux grandes phases : la première phase directe avec trois critères d'appréhension de la définition et la seconde

27 M. Kamto , La volonte de l`Etat en droit international, Maurice , Cours dispensé à la Haye en 2009, p. 24.

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phase indirecte avec deux concepts affluents à celui de l'action humanitaire. Il faut dire que les définitions reprises et commentées ici viennent de la doctrine et des milieux institutionnels. Le sujet sera analysé sous l'influence de ces labels. L'objectif étant de faire de l'action humanitaire un concept qui sort de la pénombre, « galvaudant sans cesse le mot, on le dévalorise »28.

? Pour le concept action humanitaire :

Le premier critère ici est global. Ainsi le CICR précise que : « l`action comprend toute entreprise en vue d`aider des êtres humains en état de souffrance physique et morale, en particulier lors des désastres, que ceux-ci soit d`origine humaine, naturelle ou technologique, mais surtout en période des conflits quelle qu`en soit la nature. »29. Ce cadre général de l'action humanitaire est affirmé par la doctrine. D'abord le Professeur De Senarclens pour lequel l'humanitaire s'affirme « comme un cadre de référence pour l`identification des grands problèmes contemporains et une formule pour leur solution »30. Ensuite, l'image utilisée par Alain Destexhe est fort saisissante. Pour lui, l'humanitaire « c`est une pépite dans le limon des problèmes internationaux et le filon est loin d`être épuisé »31 . On est tenté de s'inscrire dans cette logique imagée en considérant que l'action humanitaire est un parapluie qui met les victimes à l'abri des torrents et des grondements de la souffrance et du sang issus du conflit et de la misère sociale.

Le deuxième critère est à la fois moral et juridique, l'action humanitaire est considérée comme un système de normes et d'obligations morales. C'est un impératif catégorique soutenu par les exigences juridiques qui encadrent toute mission humanitaire. Il serait illusoire de parler de l'action humanitaire en oubliant l'élément moral même lorsqu'il y a des dérives dans l'humanitaire, c'est la morale que l'on pleure. Brigitte Tison fait une emphase sur l'élément moral en qualifiant l'action humanitaire « d`engagement volontaire d`assistance auprès d`autrui »32, ce qui fait ressortir la logique altruiste à la base de toute action

28 .A Destexhe, op. cit. , p.138.

29 M.P. Chevalier, « l'humanitaire : ses exigences et ses enjeux », Med trop n0 62, 2002, p.34.

30 P.de Senarclens , L`humanitaire en catastrophe, op.cit., p.65

31 A. Destexhe , op.cit., p.204

32 BR. Tison, Partir en mission humanitaire, Lyon, Chronique sociale, juin 2008, p. 36

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humanitaire. Pour la dimension juridique, il faut dire que l'action humanitaire est influencée par un régime juridique notamment le droit international humanitaire. Le Professeur Olinga Alain Didier va plus loin dans l'analyse juridique de l'action humanitaire, il précise que « l`initiative humanitaire est une créance au profit des organisations humanitaires et de tous ceux qui offrent des secours ; les débiteurs en sont les Etats »33. L'expression est utilisée, un contrat, qui suppose qu'il y a des parties et des obligations (l'élément juridique) et l'exécution des contrats se fait de bonne foi (l'élément moral). L'action humanitaire est donc une jonction objective entre l'élément moral et l'élément juridique.

Le dernier élément est lié à la finalité. Deux théoriciens et praticiens de la question sont ainsi convoqués, Rony Brauman et Phillipe Ryfman . Pour le premier :« L`action humanitaire est celle qui vise sans aucune discrimination et avec les moyens pacifiques à préserver la vie, le respect et la dignité, à restaurer l`homme dans ces capacités de choix »34.Pour le second : « l`action humanitaire est une assistance fournie par un seul ou une conjecture d`acteurs s`inscrivant à des niveaux variés dans un dispositif international de l`aide régie par un certain nombre de principes et manoeuvre au profit des populations dont les conditions d`existence (...) sont bouleversées et l`intégrité atteinte, voir la survie compromise »35. On ne peut passer sans un bref commentaire en affirmant que ces définitions sont essentielles. La seconde amène à s'interroger sur le pourquoi d'un dispositif international de l'aide et l'omission de son caractère national comme si ce qui tombe du ciel ne trouve pas ce qui est sur la terre. La Résolution des Nations Unies sur le nouvel ordre humanitaire indique que l'Etat est le premier responsable de la prise en charge des victimes des catastrophes naturelles et des situations d'urgence. Il est à noter que l'humanitaire n'est pas l`humanitarisme, l`intervention d`humanité, l`intervention militaire... Pour reprendre Brigitte Tison : « c`est le refus du sacrifice humain »36.

La définition qui influence l'esprit de cette analyse est celle de la Cour Internationale de Justice dans l'un de ces arrêts de principe : « Savoir prévenir et alléger la souffrance des

33 A.D, OLINGA, Contribution à l`étude du droit d`ingérence.( l`assistance humanitaire et la protection des droits de l`homme face au principe de non-intervention en droit international contemporain), thèse, université de Montpelier I, 1993, p.91.

34 R.Brauman, L`action humanitaire, Paris, Flammarion, 2000.

35 P.Ryfman, La question humanitaire, Paris, éd Ellipses, 1999, p.17

36 BR.Tison, Partir en mission humanitaire, op.cit., p.13.

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hommes et protéger la vie et la santé et faire respecter la personne humaine, elle doit aussi, et surtout, être prodiguée sans discrimination »37 . Cet arrêt est pertinent met en avant l'idée du savoir-faire dans l'humanitaire et dépasse le cadre des circonstances, quand il y a souffrance humaine flagrante et immense, l'humanitaire est appelé à entrer enjeu. L'humanitaire, c'est l'art de donner et de recevoir du soin et du pain. « C`est un geste signifiant, conséquent et lucide de fraternité humaine, geste qui existe, semblable, depuis que l`humanité se pense elle »38. Quand une personne souffre, primum non nocere ( D'abord , ne pas nuire), il faut avoir l'esprit à l'ouvrage, furor sanandi ( la passion du soin). La définition de l'action humanitaire la rapproche de l'assistance et de l'aide humanitaire. Comment concevoir un homme sans tête et sans coeur ?

? définition de l'action humanitaire à partir de deux concepts affluents :

Pour le cas de l'aide humanitaire, on peut reprendre la législation européenne qui dispose que : « l`aide a pour objet d`assister, dans les pays tiers, les populations victimes de catastrophes naturelles (séisme, inondations, sécheresses, tempêtes) de catastrophes d`origine humaine (guerres, conflits, combats) ... Elle se concentre sur la fourniture de biens et de services (par exemple aliments, médicaments, vaccins, eaux, soutien psychologique ...) »39. Les auteurs la présentent à partir de sa nature et sa forme : « l`aide humanitaire se veut apolitique et neutre. Il s`agit d`une aide inconditionnelle et désintéressée pour les personnes dans le besoin, apportée dans le monde entier sans distinction sociale, politique ou culturelle »40. Pour Caritas41, on parle de l'aide lorsqu'il y a quatre critères : la détresse existentielle (personne menacée), besoin d'être secouru (besoin en denrées de base), bénévolat (désintéressement) et l'institutionnalisation (intervention d'organisme). Le dictionnaire de droit international public définit l'assistance comme une « Opération menée par un ou plusieurs Etats, organisations intergouvernementales ou ONG, tendant à procurer, dans le respect du principe de non-discrimination, des secours aux victimes, principalement civiles, des conflits armés internationaux ou non internationaux, de catastrophes naturelles ou de situations d`urgence du même

37 CIJ, arrêt du 27 juin 1986, affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec. CIJ 1986§43.

38 A.Destexhe, L`humanitaire impossible ou deux siècles d`ambigüité, op. cit. , p.211.

39 Règlement n° 1257 /96 du conseil du 20 juin 1996.

40 R. Philippe, M. Jonas, M. Antoine, Les limites de l'aide humanitaire, op cit ., p.6.

41 Cette analyse est présentée dans le rapport écrit par Philippe et autres p.7.

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ordre... »42. Il est vrai que nous reviendrons sur les éléments évoqués par Jean Salmon à la fin de la définition, éléments non repris préalablement. Un autre théoricien du droit international, le Professeur Olinga, fera une autre présentation de ce concept : « L`assistance humanitaire peut être considérée comme un droit, pour les personnes qui souffrent et qui ne peuvent trouver assistance auprès des pouvoirs publics, de demander et de recevoir une telle assistance de la part des secouristes extérieurs, quelle que soit leur nature... Le droit à l`assistance serait alors un droit erga omnes qui appelle, éventuellement, un devoir d`ingérence »43.

Dans ces appréhensions du concept assistance humanitaire, deux logiques sont ainsi analysées. La première qui présente l'assistance humanitaire dans un contexte d'urgence conflit, catastrophes mais on omet de dire qu'il existe des situations en Afrique au Sud du Sahara, en campagne comme en zone urbaine, qui appellent cette assistance humanitaire. Prenons le cas d'une structure qui accompagne des handicapés visuels et moteurs, c'est une assistance humanitaire de tous les jours. La seconde logique est liée aux débiteurs de l'assistance, on parle des secours extérieurs en cas d'impuissance des pouvoirs publics. Cela est vrai pour les situations d'urgence, mais dans les souffrances quotidiennes, l'assistance humanitaire peut venir des initiatives privées du pays. C'est l'occasion de saluer les campagnes humanitaires du médecin camerounais, Bwelle44, qui, une année durant, apporte de l'assistance humanitaire aux populations camerounaises vulnérables malades et ayant des plaies graves.

L'action humanitaire est donc une jonction de l'aide et de l'assistance humanitaires. C'est à se demander s'il y a confusion entre l'aide humanitaire et l'assistance humanitaire. Le dictionnaire de droit international y voit une confusion : « l'assistance humanitaire consiste en la fourniture des denrées alimentaires, de vêtements, d'abris, de médicaments, de soins médicaux et toute aide similaire...» 45 . Cette logique est épousée par Lavigne 46 et Lestienne. Pour eux, l'assistance humanitaire est proche de l'aide même si elle entraîne la passivité de celui qui en bénéficie. Il semble que si la complémentarité est forte entre ces deux concepts, leur identité est indubitable. Pour le justifier, on peut utiliser l'image de la bouteille. L'action humanitaire serait une bouteille offerte

42 J.Salmon , Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 2001. p.98.

43 A.D.Olinga, op. cit., p.68.

44 Ce médecin est le fondateur de l'ONG ASCOVIM qui effectue chaque mois, au Cameroun des interventions chirurgicales dans tout le pays auprès des personnes atteintes de plaies et de déformations incapables de prendre soin de leur santé du fait de leur précarité.

45 J.salmon, op. cit., p.98.

46 j-c, lavigne, b.lestienne, construire une éthique de la coopération, Lyon, chronique sociale, 2000, p.16.

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gracieusement à la victime, ainsi le contenant de l'action humanitaire serait l'assistance humanitaire et le contenu l'aide humanitaire. Une assistance sans aide n'est pas possible et une aide sans assistance reste lettre morte. L'assistance humanitaire est le conducteur de l'action humanitaire et l'aide humanitaire l'élément conduit. En cas d'urgence ou de manière permanente, on besoin de l'aide et de l'assistance humanitaire.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand