3- ANALYSE TERMINOLOGIQUE DES CONCEPTS
Gaston Bachelard établit le rapport entre la science et
l'opinion. « On doit rien fonder sur l`opinion ( ...) l`esprit
scientifique nous interdit d`avoir une opinion sur des questions que nous ne
comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement
». Cette formulation passe par les définitions des concepts.
Le professeur KAMTO précise que la définition est « la
traduction en prédicats ou attributs qui prétend cerner l`essence
de la chose »27. Plusieurs concepts
seront présentés en accord avec les définitions
conventionnelles, lexicales, doctrinales et selon notre appréhension
propre. La terminologie relative à l'action humanitaire en
général est ainsi abordée avant de l'appréhension
de l'humanitaire dans les formes urgente et permanente. Des précisions
portant sur MSF ET CARITAS ne peuvent être négligées.
a) La notion d'action humanitaire
L'essai de clarification du concept action humanitaire se fera
en deux grandes phases : la première phase directe avec trois
critères d'appréhension de la définition et la seconde
27 M. Kamto , La volonte de
l`Etat en droit international, Maurice , Cours dispensé à la
Haye en 2009, p. 24.
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phase indirecte avec deux concepts affluents à celui de
l'action humanitaire. Il faut dire que les définitions reprises et
commentées ici viennent de la doctrine et des milieux institutionnels.
Le sujet sera analysé sous l'influence de ces labels. L'objectif
étant de faire de l'action humanitaire un concept qui sort de la
pénombre, « galvaudant sans cesse le mot, on le dévalorise
»28.
? Pour le concept action humanitaire :
Le premier critère ici est global. Ainsi le CICR
précise que : « l`action comprend toute entreprise en vue
d`aider des êtres humains en état de souffrance physique et
morale, en particulier lors des désastres, que ceux-ci soit d`origine
humaine, naturelle ou technologique, mais surtout en période des
conflits quelle qu`en soit la nature. »29. Ce cadre
général de l'action humanitaire est affirmé par la
doctrine. D'abord le Professeur De Senarclens pour lequel l'humanitaire
s'affirme « comme un cadre de référence pour
l`identification des grands problèmes contemporains et une formule pour
leur solution »30. Ensuite, l'image utilisée par
Alain Destexhe est fort saisissante. Pour lui, l'humanitaire « c`est
une pépite dans le limon des problèmes internationaux et le filon
est loin d`être épuisé »31 . On est
tenté de s'inscrire dans cette logique imagée en
considérant que l'action humanitaire est un parapluie qui met les
victimes à l'abri des torrents et des grondements de la souffrance et du
sang issus du conflit et de la misère sociale.
Le deuxième critère est à la fois moral
et juridique, l'action humanitaire est considérée comme un
système de normes et d'obligations morales. C'est un impératif
catégorique soutenu par les exigences juridiques qui encadrent toute
mission humanitaire. Il serait illusoire de parler de l'action humanitaire en
oubliant l'élément moral même lorsqu'il y a des
dérives dans l'humanitaire, c'est la morale que l'on pleure. Brigitte
Tison fait une emphase sur l'élément moral en qualifiant l'action
humanitaire « d`engagement volontaire d`assistance auprès
d`autrui »32, ce qui fait ressortir la logique altruiste
à la base de toute action
28 .A Destexhe, op. cit. , p.138.
29 M.P. Chevalier, « l'humanitaire : ses
exigences et ses enjeux », Med trop n0 62, 2002, p.34.
30 P.de Senarclens , L`humanitaire en catastrophe,
op.cit., p.65
31 A. Destexhe , op.cit., p.204
32 BR. Tison, Partir en mission humanitaire,
Lyon, Chronique sociale, juin 2008, p. 36
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humanitaire. Pour la dimension juridique, il faut dire que
l'action humanitaire est influencée par un régime juridique
notamment le droit international humanitaire. Le Professeur Olinga Alain Didier
va plus loin dans l'analyse juridique de l'action humanitaire, il
précise que « l`initiative humanitaire est une créance
au profit des organisations humanitaires et de tous ceux qui offrent des
secours ; les débiteurs en sont les Etats »33.
L'expression est utilisée, un contrat, qui suppose qu'il y a des parties
et des obligations (l'élément juridique) et l'exécution
des contrats se fait de bonne foi (l'élément moral). L'action
humanitaire est donc une jonction objective entre l'élément moral
et l'élément juridique.
Le dernier élément est lié à la
finalité. Deux théoriciens et praticiens de la question sont
ainsi convoqués, Rony Brauman et Phillipe Ryfman . Pour le premier
:« L`action humanitaire est celle qui vise sans aucune discrimination
et avec les moyens pacifiques à préserver la vie, le respect et
la dignité, à restaurer l`homme dans ces capacités de
choix »34.Pour le second : « l`action humanitaire
est une assistance fournie par un seul ou une conjecture d`acteurs s`inscrivant
à des niveaux variés dans un dispositif international de l`aide
régie par un certain nombre de principes et manoeuvre au profit des
populations dont les conditions d`existence (...) sont bouleversées et
l`intégrité atteinte, voir la survie compromise
»35. On ne peut passer sans un bref commentaire en
affirmant que ces définitions sont essentielles. La seconde amène
à s'interroger sur le pourquoi d'un dispositif international de l'aide
et l'omission de son caractère national comme si ce qui tombe du ciel ne
trouve pas ce qui est sur la terre. La Résolution des Nations Unies sur
le nouvel ordre humanitaire indique que l'Etat est le premier responsable de la
prise en charge des victimes des catastrophes naturelles et des situations
d'urgence. Il est à noter que l'humanitaire n'est pas
l`humanitarisme, l`intervention d`humanité, l`intervention
militaire... Pour reprendre Brigitte Tison : « c`est le refus du
sacrifice humain »36.
La définition qui influence l'esprit de cette analyse
est celle de la Cour Internationale de Justice dans l'un de ces arrêts de
principe : « Savoir prévenir et alléger la souffrance
des
33 A.D, OLINGA, Contribution à
l`étude du droit d`ingérence.( l`assistance humanitaire et la
protection des droits de l`homme face au principe de non-intervention en droit
international contemporain), thèse, université de Montpelier
I, 1993, p.91.
34 R.Brauman, L`action humanitaire, Paris,
Flammarion, 2000.
35 P.Ryfman, La question humanitaire, Paris,
éd Ellipses, 1999, p.17
36 BR.Tison, Partir en mission humanitaire,
op.cit., p.13.
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hommes et protéger la vie et la santé et
faire respecter la personne humaine, elle doit aussi, et surtout, être
prodiguée sans discrimination »37 . Cet arrêt
est pertinent met en avant l'idée du savoir-faire dans l'humanitaire et
dépasse le cadre des circonstances, quand il y a souffrance humaine
flagrante et immense, l'humanitaire est appelé à entrer enjeu.
L'humanitaire, c'est l'art de donner et de recevoir du soin et du pain. «
C`est un geste signifiant, conséquent et lucide de fraternité
humaine, geste qui existe, semblable, depuis que l`humanité se pense
elle »38. Quand une personne souffre, primum non
nocere ( D'abord , ne pas nuire), il faut avoir l'esprit à
l'ouvrage, furor sanandi ( la passion du soin). La définition
de l'action humanitaire la rapproche de l'assistance et de l'aide humanitaire.
Comment concevoir un homme sans tête et sans coeur ?
? définition de l'action humanitaire à
partir de deux concepts affluents :
Pour le cas de l'aide humanitaire, on peut
reprendre la législation européenne qui dispose que : «
l`aide a pour objet d`assister, dans les pays tiers, les populations
victimes de catastrophes naturelles (séisme, inondations,
sécheresses, tempêtes) de catastrophes d`origine humaine (guerres,
conflits, combats) ... Elle se concentre sur la fourniture de biens et de
services (par exemple aliments, médicaments, vaccins, eaux, soutien
psychologique ...) »39. Les auteurs la présentent
à partir de sa nature et sa forme : « l`aide humanitaire se
veut apolitique et neutre. Il s`agit d`une aide inconditionnelle et
désintéressée pour les personnes dans le besoin,
apportée dans le monde entier sans distinction sociale, politique ou
culturelle »40. Pour Caritas41, on parle de
l'aide lorsqu'il y a quatre critères : la détresse existentielle
(personne menacée), besoin d'être secouru (besoin en
denrées de base), bénévolat
(désintéressement) et l'institutionnalisation (intervention
d'organisme). Le dictionnaire de droit international public définit
l'assistance comme une « Opération menée par un ou
plusieurs Etats, organisations intergouvernementales ou ONG, tendant à
procurer, dans le respect du principe de non-discrimination, des secours aux
victimes, principalement civiles, des conflits armés internationaux ou
non internationaux, de catastrophes naturelles ou de situations d`urgence du
même
37 CIJ, arrêt du 27 juin 1986, affaire des
activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci,
Rec. CIJ 1986§43.
38 A.Destexhe, L`humanitaire impossible ou deux
siècles d`ambigüité, op. cit. , p.211.
39 Règlement n° 1257 /96 du conseil du 20
juin 1996.
40 R. Philippe, M. Jonas, M. Antoine, Les limites de
l'aide humanitaire, op cit ., p.6.
41 Cette analyse est présentée dans le
rapport écrit par Philippe et autres p.7.
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ordre... »42. Il est vrai que nous
reviendrons sur les éléments évoqués par Jean
Salmon à la fin de la définition, éléments non
repris préalablement. Un autre théoricien du droit international,
le Professeur Olinga, fera une autre présentation de ce concept :
« L`assistance humanitaire peut être considérée
comme un droit, pour les personnes qui souffrent et qui ne peuvent trouver
assistance auprès des pouvoirs publics, de demander et de recevoir une
telle assistance de la part des secouristes extérieurs, quelle que soit
leur nature... Le droit à l`assistance serait alors un droit erga omnes
qui appelle, éventuellement, un devoir d`ingérence
»43.
Dans ces appréhensions du concept assistance
humanitaire, deux logiques sont ainsi analysées. La première qui
présente l'assistance humanitaire dans un contexte d'urgence conflit,
catastrophes mais on omet de dire qu'il existe des situations en Afrique au Sud
du Sahara, en campagne comme en zone urbaine, qui appellent cette assistance
humanitaire. Prenons le cas d'une structure qui accompagne des
handicapés visuels et moteurs, c'est une assistance humanitaire de tous
les jours. La seconde logique est liée aux débiteurs de
l'assistance, on parle des secours extérieurs en cas d'impuissance des
pouvoirs publics. Cela est vrai pour les situations d'urgence, mais dans les
souffrances quotidiennes, l'assistance humanitaire peut venir des initiatives
privées du pays. C'est l'occasion de saluer les campagnes humanitaires
du médecin camerounais, Bwelle44, qui, une année
durant, apporte de l'assistance humanitaire aux populations camerounaises
vulnérables malades et ayant des plaies graves.
L'action humanitaire est donc une jonction de l'aide et de
l'assistance humanitaires. C'est à se demander s'il y a confusion entre
l'aide humanitaire et l'assistance humanitaire. Le dictionnaire de droit
international y voit une confusion : « l'assistance humanitaire consiste
en la fourniture des denrées alimentaires, de vêtements, d'abris,
de médicaments, de soins médicaux et toute aide
similaire...» 45 . Cette logique est épousée par
Lavigne 46 et Lestienne. Pour eux, l'assistance humanitaire est
proche de l'aide même si elle entraîne la passivité de celui
qui en bénéficie. Il semble que si la
complémentarité est forte entre ces deux concepts, leur
identité est indubitable. Pour le justifier, on peut utiliser l'image de
la bouteille. L'action humanitaire serait une bouteille offerte
42 J.Salmon , Dictionnaire de droit international
public, Bruylant, 2001. p.98.
43 A.D.Olinga, op. cit., p.68.
44 Ce médecin est le fondateur de l'ONG ASCOVIM qui
effectue chaque mois, au Cameroun des interventions chirurgicales dans tout le
pays auprès des personnes atteintes de plaies et de déformations
incapables de prendre soin de leur santé du fait de leur
précarité.
45 J.salmon, op. cit., p.98.
46 j-c, lavigne, b.lestienne, construire une
éthique de la coopération, Lyon, chronique sociale, 2000,
p.16.
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gracieusement à la victime, ainsi le contenant de
l'action humanitaire serait l'assistance humanitaire et le contenu l'aide
humanitaire. Une assistance sans aide n'est pas possible et une aide sans
assistance reste lettre morte. L'assistance humanitaire est le conducteur de
l'action humanitaire et l'aide humanitaire l'élément conduit. En
cas d'urgence ou de manière permanente, on besoin de l'aide et de
l'assistance humanitaire.
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