1.1.2.- L'école de Virginie et la théorie des
choix publics
La théorie des choix publics constitue
présentement un des meilleurs traités mettant en relation directe
la science économique et la science politique. C'est vers la
deuxième moitié du 20e siècle que les
professeurs Buchanan14 et Tullock, observant la défaillance
de l'Etat dans certaines parties du globe, ont commencé leurs travaux
à l'Université de Virginie, d'où le nom d'Ecole de
Virginie donné également à l'école des choix
publics ou `Public Choice'. Leur ouvrage fondateur, Le Calcul du
Consentement publié en 1962, marque la naissance véritable
de cette école qui applique les outils de l'analyse économique
aux phénomènes politiques, ce qui constitue une véritable
révolution conceptuelle dans la vision de l'Etat.
Si les économistes du bien-être comme Pigou au
début du 20e siècle qui posent les premières
bases à l'économie publique voient l'Etat comme un despote
bienveillant ; en opposition avec l'école du bien-être, les
économistes du Public Choice soutiennent que l'Etat n'est pas
un despote bienveillant, les dirigeants politiques agissent non pas en fonction
d'un quelconque « intérêt général »,
notion floue et indéfinissable, mais de ses intérêts
particuliers, légitimes ou non (Joël Hermet, 2011). Ces
économistes montrent que, comme dans leur vie courante les individus
poursuivent leur intérêt personnel et réagissent en
fonction des contraintes qui pèsent sur eux, il en est de même
pour les Hommes d'Etat (Dennis C. Mueller et al., 2003)
Gordon Tullock a ainsi défini le Public Choice
en 1976 par son objectif : « c'est de comprendre comment fonctionnent
les processus de décision qui gouvernent la production et l'allocation
de biens publics (au sens de tout ce qui est produit par l'Etat et les
Administrations) : défense, justice, solidarité, redistribution,
réglementation..., en tenant compte des motivations et des
intérêts particuliers des différents acteurs (citoyens,
fonctionnaires, représentants politiques, hommes de gouvernement), de
leurs systèmes de contrainte, de sanction ou de récompense
qui
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influencent leur action individuelle et de voir comment
leurs actions influent sur le « bien-être » de la
société15. »
Le coeur de l'explication de la théorie des choix
publics est non seulement de savoir si l'homo politicus est un
homo oeconomicus, mais de préciser les conséquences des
stratégies de négociation politique qui conduisent aux
décisions publiques. D'ailleurs l'économie des choix publics
répond clairement [...] à cette question, et argue que l'homme
politique (l'homo politicus) et l'homme économique (l'homo oeconomicus)
sont une seule et même personne, et ce, indépendamment des
hypothèses explicatives proposées. Il n'y a pas deux types
d'humains : des humains qui agiraient dans la sphère politique ou
publique et des humains qui agiraient sur les marchés16.
Anthony Downs17 a montré que l'homme
politique est un individu rationnel, ni plus ni moins altruiste que ses
concitoyens. Il agit pour obtenir les revenus, le prestige et le pouvoir qui
accompagnent les fonctions électives ; c'est un entrepreneur qui cherche
à maximiser le nombre de ses électeurs en adaptant l'offre de
biens publics à la demande des citoyens. A la différence d'un
entrepreneur qui travaille dans un marché (offre et demande de biens ou
services), l'homme politique travaille dans un marché électoral.
Le Public Choice fournit sa propre réponse concernant la
croissance de l'Etat (l'explication par les crises, les guerres, ou
l'urbanisation est superficielle) : la logique du système
électoral aboutit à la croissance de l'Etat au
bénéfice d'une catégorie privilégiée de
citoyens, la bureaucratie. Une telle mise à nu du paysage de
l'institution ou le système politique nous permet parfaitement de
conclure à la manière de Buchanan (1975, cité par J.
Hermet, 2011) : « Le défi de notre époque n'est pas
économique mais d'ordre institutionnel et politique ».
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