3.2.4.- De la désoccupation américaine
à 1986
Les Américains ont laissé le territoire
haïtien le 21 aout 1934 au terme de 19 an accompli d'occupation.
Protestation populaire, lutte intellectuelle dans le mouvement
indigéniste, accord légal, ...ont tous contribué à
cette désoccupation militaire.
Peu après le départ des américains, la
fragilité politique confirme sa persistance : en 1935, le
président S. Vincent fait voter un nouveau constituant qui permettait au
président de garder le pouvoir cinq ans de plus, chez qui suscite des
sévères mécontentements chez l'opposition parlementaire ;
la pratique d'une politique sociopolitique sectarisme, qui favorisera le retour
à l'instabilité, et l'instauration d'une dictature anachronique ;
les tentatives anticonstitutionnelles de Magloire afin de garder le pouvoir, la
pratique d'une dictature macoute des Duvalier sont autant
d'éléments qui expliquent la fragilité politique des
gouvernements du pays de la désoccupation a 1986. Sans parler de
l'environnement économique et social qui n'était pas vraiment
favorable, les gouvernements de la période se sont hérités
sur le développement du pays.
3.2.3.1 la situation sociale et l'environnement
économique de la période
La misère provoquée par l'occupation a eu comme
conséquence la migration massive des paysans haïtiens vers d'autres
pays de la caraïbe. Environ 25 000 haïtiens ont perdu la vie en
République Dominicaine. Incapable de tout faire, le gouvernement de la
période n'a eu que, sous négociation à Washington, 2
dollars par tête d'haïtiens. L'avènement au pouvoir de Lescot
qui privilégiait une « nuance épidermique de la
minorité mulâtresse qui constituait que l'un des
« La situation, en 1946, eu égard au sectarisme et
à la politique anti-démocratique du gouvernement de Lescot,
était semblable à celle de Saint-Domingue, avant la
Révolution.
57
critères d'accession à la fonction publique
alors que l'écrasante majorité, soit 95 % de la population
était noir », ajouter avec les catastrophes de la création
de la SHADA qui conduisait plus que 130 000 hectares au déboisement en
vue de la culture du sisal et de l'hévéa aggravaient de plus en
plus la situation de vie de la population de l'ère. Le
désenchantement social de la société haïtienne a
contribué à l'émergence d'une nouvelle Elite
intellectuelle, réunie autour de la revue Les Griots, dans l'objectif de
poser les positions d'une réconciliation socioculturelle nationale. Car
depuis après la désoccupation, la bourgeoisie mulâtresse
reprend les rênes du pouvoir laissées par l'occupant et maintient
une la société dans l'inégalité et la misère
criante. Face à une telle circonstance, le noirisme, plus politique,
plus radical, et surtout raciste, affirme la radicale altérité de
l'homme noir, celle d'une essence nègre. Ainsi, Noirisme et
Indigénisme ont contribué [...] l'instrumentalisation des masses
noires, ce qui a provoqué ce que quelques historiens appellent la
crise de 1946.
L'émergence du syndicalisme en Haïti et formation
des partis politique, ainsi que l'accession d'un noir à la
présidence, Dumarsais Estimé, a favorisé même une
amélioration des conditions de vie de la population. D. Estimé,
contrairement à son prédécesseur, l'administration
publique haïtienne, est ouverte aux jeunes intellectuels noirs de la
classe moyenne. Et si sous Magloire il y avait un mieux-être
économique, qui est due à la seconde guerre mondiale, son
véritable objectif était gardé le pouvoir.
Malheureusement, en 1957, dans un contexte d'agitation sociale et
d'instabilité politique, c'est l'armée qui porte au pouvoir
François Duvalier dans un bain de sang lors d'une parodie de
démocratie.
3.2.3.3.- 1946 : une révolution
sociale
La victoire successive sur l'Allemagne nazie et sur le Japon
militariste en mai et en aout 1945 met fin à la deuxième grande
guerre du siècle et fait souffler sur le monde d'alors un vent
libérateur. Dans ce contexte international, notre pays, dès les
premiers jours de l'année suivante, est fortement secoué par une
poussée revendicative pour la conquête des libertés
démocratiques et la promotion des droits sociaux en faveur des
majorités historiquement marginalisées (Michel Hector, 2006,
p235). Ainsi conduit, sous le gouvernement de Lescot, dans une situation
socioéconomique et politique critique, la révolution, ou pour
certains, le mouvement de 1946.
Ernst Bernardin écrit :
58 Ernst A. Bernardin, Histoire Economique et
Sociale d'Haïti de 1804 à nos jours : l'Etat complice et la
faillite d'un système, Imprimerie Le Natal, P-au-P, 1998, p177.
58
C'était un baril de poudre que la moindre
étincelle pouvait faire éclater. L'occasion fournie par la
fermeture du journal La Ruche. Un groupe d'étudiants hostiles au
régime de Lescot rallia d'autres secteurs d'opposition et lança
un mot d'ordre de grève le 7 janvier 1946. (...) le 10 janvier, la
grève fut générale. [...] Le mouvement se mua rapidement
en insurrection et déchoucage contre le gouvernement58.
»
Pourtant, de portée nationaliste et socialiste, cette
crise de 1946 amène au pouvoir la nouvelle bourgeoisie noire
portée par la toute nouvelle idéologie noiriste alors en plein
zénith. Ce n'est pourtant que le remplacement d'une bourgeoisie par une
autre et le sort des paysans et des ouvriers n'en est pas
amélioré pour autant (N. Baggioni-Lopez, 2009, p55).
3.2.3.3. La période
duvaliériste
Le pouvoir duvaliériste apparait aujourd'hui dans
l'histoire d'Haïti, comme celui qui aura connu la plus longue durée
et plus fortement marquée les consciences. Par sa nature
particulière, il constitue l'un des phénomènes politiques
les plus effroyables de l'époque contemporaine (E. Charles, 1994). Il
est sans doute le personnage le plus emblématique de l'histoire
d'Haïti du XXe siècle. Incarnant la malice politique, la politique
raciale, le choc noir-mulâtre, la soif de pouvoir, la violence
démesurée et le messianisme politique, Duvalier est le
résumé de l'histoire d'Haïti. (R. Saint Louis, 2009, p111).
Issu d'un milieu modeste, est le produit de l'élévation de la
petite bourgeoisie noire, il entre en politique au début des
années 1950. En 1957, il se porte candidat, et son accession au pouvoir
est dû aux différentes crises qu'a confrontées le pays (M.
R. Trouillot, 1986).
Mettant en place une administration de l'espace qui lui est
propre et un système répressif singulier, François
Duvalier érige un système propre qui lui a permis d'assurer la
mainmise et de contrôler son pouvoir, a lui seul. Les Tontons macoutes,
ou Volontaires de la Sécurité Nationale, dévoués au
service de leur chef, sont prêts à tout faire pour lui garder le
pouvoir, faisant de violence un devoir et la répression l'ordre du
système. Et pendant ce temps, l'économie agricole du pays se tend
à se détériorer. Les systèmes de production et de
cultures mis en place allaient miner l'écosystème sous la double
influence de la structure agraire et la migration. Il faut aussi ajouter que,
si les paysans sont très attachés à la terre, ils ne sont
toutefois pas propriétaires. Contraint à survivre, la population
rurale accorde peu de temps aux écosystèmes pour se
régénérer, conséquemment, dès que la terre
ne leur permettait pas de
59
satisfaire leur besoin, les exploitants migraient vers les
villes ou dans les zones peu dégradées. Parallèlement, le
duvaliérisme a aussi contribué à la rapide
dévastation de la couverture forestière, la proportion de la
couverture végétale sur l'ensemble du territoire continuait
à se régresser : 30 % en 1940, 21,6 % en 1945, 10 % en 1970 et 4
% en 1986 (Lahens, 2014).
L'économie sans croissance ne pouvait pas créer
des emplois comme mesure d'accompagnement de la croissance
démographique. Elle ne pouvait pas sauver les masses paysannes et
urbaines en péril et conduire au rééquilibrage
socioéconomique. L'ensemble de la production agricole a connu une baisse
annuelle de - 0,6 % alors que la population a augmenté de 2 %. Les
tentatives d'industrialisation et de modernisation de l'économie des
années 1970 se sont soldées par des échecs. Dans son livre
L'Économie haïtienne et sa voie de développement,
Pierre-Charles montre comment les « bases structurelles » de
l'économie haïtienne ont été dans l'incapacité
de provoquer un cycle continu de développement (Pierre-Charles, 1993 ;
Joachim, 1979, cites par Pierre, 2014). Suivant ses propos, « ces bases
sont constituées par une agriculture stationnaire et primitive, par
l'absence d'oeuvres d'infrastructure, par une industrie débutante
incapable de se développer. Voilà pourquoi l'on assiste, mis
à part la répression politique caractéristique, à
la migration (interne ou externe) excessive (Hurbon, 1987 ; Paul, 2008 ; Noel,
2012 ; J. Duval, 2013) de cette période, du phénomène de
boat people, fuite des cerveaux vers l'extérieur, l'Amérique du
Nord surtout.
Tableau 7
La population haïtienne selon la résidence
suivants les recensements respectifs
Secteur de
résidence
|
|
1950
|
1971
|
1982
|
2003
|
|
Effectif
|
%
|
Effectif
|
%
|
Effectif
|
%
|
Effectif
|
%
|
Urbain
|
|
377.355
|
12,2
|
880.551
|
20,3
|
1.042.102
|
20.6
|
3.204.965
|
40,42
|
Rural
|
|
2.719.265
|
87.8
|
3.449.440
|
79,7
|
4.011.089
|
79,4
|
4.724.083
|
59,58
|
Total
|
|
3.097.220
|
100
|
4.329.991
|
100
|
5.053.191
|
100
|
7.929.048
|
100
|
Source : IHSI, Recueil se statistiques sociales, vol. 1
:19 et recensements de 2002, Résultats préliminaires in MPCE,
Carte de Pauvreté d'Haïti, Port-au-Prince, 2004, p8.
60
Graphe 3
Evolution de population urbaine par la
migration
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1950 1971 1982 2003
ville campagne
L'analyse des données du tableau et la courbe du graphe
nous permet de constater une migration rapide, qui a tendance à
être doublée à chaque période. Ainsi, nous pouvons
observer la progression de la population urbaine au détriment de la
population rurale.
Si le gouvernement a tenté quelques reformes, les
statistiques nous montrent clairement que la réforme économique
engagée par le régime s'est soldée par un échec. La
production a chuté. La pauvreté rurale s'est aggravée. La
paupérisation urbaine s'est accélérée ; selon la
Banque mondiale (...) le salaire minimal des ouvriers en 1984 était
inférieur de 21% à ce qu'il était en 197159.
Cependant, l 'une des grandes leçons à retenir, en dehors du
désastre économique, c'est que les charges de corruption contre
le duvaliérisme sont exagérées et sans fondement
statistique. François Duvalier a laissé le pays avec des
réserves nationales brutes de $4 millions, une balance des paiements de
$11 millions et une relativement légère dette extérieure
(publique) de $40 millions (13 % du P11B de 1970). Remarquons, à titre
de comparaison, que la dette extérieure du pays représentait 24 %
du P11B en 2006 et 21 %en 2008 (R. Saint-Louis, 2006, p.125)
Dans une telle situation (problèmes structurels, crises
politiques, déficit en capital humain, déficit en investissement,
...) d'une économie aussi fragile, il est plus qu'évident que
sous-développement surgit et se développe rapidement.
59 HURBON, L., Comprendre Haïti. Essai sur
l'État, la nation, la culture, 1987, p26.
61
|
|