3.2.3.- L'occupation américaine
L'évènement politique le plus important du
début du 20e siècle haïtien est sans doute le
débarquement des marines américains dans le pays, soit le 28
juillet 1915 (R. Nesmy SAINT LOUIS, 2010). Cette occupation américaine
marque la première participation directe des étrangers à
la répression des masses depuis l'indépendance. Si elle a
été due par l'absence totale de résistance de
l'armée, les mouvements populaires n'ont pas cédé sans
résistance. « Le désarmement des principaux chefs Cacos dure
plus de trois ans. La répression fait plusieurs milliers de morts.
[Selon les propres estimations officielles du Département d'Etat aux
Etats-Unis, a couté la vie à environ 3000 haïtiens]. La
pacification n'est effective qu'à partir de 1920 lorsque sont
réduits les derniers maquis dans le Nord, tenus par Charlemagne
Péralte56. »
Cette occupation se donne des apparences de
légalité puisque les institutions fonctionnent avec un
président élu et une chambre. Le pays a simplement passé
une convention avec la puissance occupante. Mais la réalité du
pouvoir est dans d'autres mains, celles du haut-commissaire, du receveur
général et du conseiller financier, des militaires recevant leurs
ordres de Washington. Ces nouvelles autorités se donnent comme
tâche de reconstruire l'autorité publique et de redonner à
l'Etat qu'elles contrôlent une administration publique efficace sur deux
domaines prioritaires : l'ordre public et la fiscalité. Elles
créent en 1917 un appareil répressif efficace, agissant sur
l'ensemble du territoire et centralisé, la Gendarmerie. Si les troupes
sont haïtiennes, les officiers viennent des Etats-Unis. Pour
établir un Etat efficace à leur service, moderniser
l'administration publique et financer les infrastructures, elles créent
en 1924 l'Administration générale des Contributions qui devient
par la suite la Direction Générale des Impôts (DGI).
Si les américains ont tout essayé pour cacher
véritablement l'objet de leur occupation, l'analyse des faits nous donne
une idée de la situation socioéconomique de la population
dû à l'avènement des marines américains. Suzy Castor
fait remarquer « La paysannerie devint victime des expropriations, forme
première de l'exploitation capitaliste dans une colonie ou pays
occupé. A. partir de juillet 1915, plusieurs hommes d'affaires
s'intéressent à l'établissement de plantations agricoles.
Plusieurs commissions voyagent pour étudier les possibilités
offertes par Haïti à cette fin, et les résultats des
études, envoyées au Département d'Etat, semblent
favorables. M. Check, de la Goodrich Co., recommande confidentiellement
Haïti comme la seule zone des Caraïbes pouvant assurer pleinement la
culture du caoutchouc57 ». Comme
56 Baggionni-Lopez, N., op cit, p51.
57 CASTOR, S., L'occupation américaine
d'Haïti, 1997, p90.
56
conséquence, l'exploitation prédatrice du bois
continue à grande échelle fait passer le couvert forestier de 60
% à 21 %. La petite paysannerie se trouve prolétarisée sur
les grandes plantations, dans les villes, ou obligée d'émigrer
vers les autres pays de la Caraïbe ou vers l'Amérique du Nord.
Cette émigration, véritable soupape de sécurité des
crises agraires suscitées par les expulsions, est encouragée et
organisée par les autorités
(Lahens, 2014). En résumé, pendant les 19 ans de
l'occupation, l'élévation du niveau de vie des couches sociales
majoritaires ne s'est pas produite. [...] Seule l'Elite minoritaire
privilégiée a tiré pleinement parti de l'occupation, en
collaborant étroitement avec l'impérialisme, ce qui lui a permis
de réaliser de plantureuses affaires. (E. Bernardin, 2006 :171). Une
telle situation a pour corollaire le massacre en République Dominicaine
par Trujillo du 2 au 4 octobre 1937 de plus d'environ 25 000 haïtiens.
|