CHAPITRE I : LA PROBLÉMATIQUE
Dans ce chapitre, nous exposons les éléments qui
mettent en lumière à notre sens, le problème qui est
suscité dans cette recherche, en nous appuyant sur des discussions
tirées de la littérature et sur des constats de la
réalité du contexte burkinabè. Par la suite, sont
développés les arguments qui justifient l'orientation
donnée à ce travail, et nous terminons par les questions de
recherche qui balisent les pistes de réflexion.
I. Problème, justification du choix du sujet et
questions de recherche
I.1. Constats du problème
Le problème suscité dans cette recherche met en
jeu plusieurs dimensions parfois imbriquées parmi lesquelles, la
question du temps dans les enseignements-apprentissages, la
spécificité des phénomènes biologiques lents et les
réalités de notre contexte d'enseignement.
I.1.1. La temporalité en situation
d'enseignement-apprentissage en question Nous introduisons le
problème de la temporalité avec cette citation de Hutsi repris
par Chopin (2007) :
L'application d'une pédagogie
différenciée et la mise en oeuvre d'un travail autonome des
élèves invitent à reconsidérer la conception de
l'utilisation du temps dans l'apprentissage, la relation entre durée et
méthode, c'est-à-dire la fonction pédagogique du facteur
temps (p.13).
Le temps a longtemps été décrit et
utilisé comme une ressource dont veulent disposer les enseignants et les
apprenants dans les différentes situations d'enseignement-apprentissage.
Mais, au delà de ce caractère provisionnel, la question du temps
s'impose comme un construit pour penser les situations éducatives.
Beaucoup de chercheurs contemporains ont consacré des travaux à
cette nouvelle approche de la temporalité en éducation
(Chevallard et Mercier, 1987 ; Chopin, 2007; Sensevy, 2001). Chopin (2007)
distingue le temps légal du temps didactique qu'elle met entre eux, en
tension. Pour elle, le temps légal est celui de l'horloge, comme par
exemple le temps indiqué sur l'emploi du temps du professeur.
C'est-à-dire, c'est le temps que le professeur et les
élèves regardent dans l'horloge, pour respectivement enseigner et
apprendre l'objet de savoir. Dans la notion de temps didactique, elle
décrit deux
3
temporalités imbriquées et indissociables : le
« temps de l'enseignement » décrit par l'activité de
l'enseignant et le « temps de l'apprentissage » décrit par
l'activité de l'élève. Le temps de l'enseignement est le
temps que l'enseignant consacre à l'élève et durant lequel
ils sont en interaction. Si nous nous situons dans la théorie de
l'action conjointe, ce temps correspond à celle de l'action du
professeur sur l'élève. Le temps de l'apprentissage est le temps
durant lequel l'élève se consacre à la construction de ses
savoirs, en présence ou en absence de l'enseignant. Dans la
théorie de l'action conjointe, il s'agit du temps que
l'élève consacre à la réaction consécutive
à l'action de son enseignant.
Sont présentés dans le tableau 1, les temps
légaux, c'est-à-dire, les volumes horaires hebdomadaires
consacrés aux Sciences de la vie et de la terre (SVT) et aux autres
disciplines de l'enseignement général post-primaire et secondaire
au Burkina Faso. Il a été mis en gras les volumes horaires des
SVT.
Classes
|
6è
|
5è
|
4è
|
3è
|
2A
|
2C
|
1A
|
1C
|
1D
|
TA
|
TC
|
TD
|
SVT
|
3h
|
3h
|
3h
|
4h
|
3h
|
3h
|
2h
|
3h
|
4h
|
-
|
5h
|
6h
|
Français
|
7h
|
7h
|
5h
|
5h
|
5h
|
5h
|
5h
|
4h
|
4h
|
5h
|
4h
|
4h
|
HG
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
4h
|
Mathématiques
|
5h
|
5h
|
5h
|
5h
|
3h
|
5h
|
3h
|
7h
|
6h
|
3h
|
9h
|
6h
|
Anglais
|
5h
|
5h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
5h
|
3h
|
3h
|
EPS
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
3h
|
PC
|
-
|
-
|
4h
|
4h
|
3h
|
6h
|
3h
|
6h
|
5h
|
-
|
6h
|
5h
|
Philosophie
|
-
|
-
|
-
|
-
|
2h
|
2h
|
3h
|
2h
|
6h
|
6h
|
3h
|
3h
|
Allemand
|
-
|
-
|
-
|
-
|
6h
|
-
|
6h
|
-
|
-
|
5h
|
-
|
-
|
Tableau 1: Volumes horaires hebdomadaires par discipline et
par classe au Burkina
Faso (MENA3)
3 Ministère de l'éducation nationale et de
l'alphabétisation
4
Pour Chopin (op.cit.2007), si le temps didactique
possède une certaine autonomie, ce n'est pas le cas pour le temps
légal qui, lui, présente par contre une certaine rigidité.
Ce qui autorise à penser que le temps peut constituer donc une
véritable contrainte dans les processus enseignement-apprentissage.
Comment l'enseignant peut-il adapter le temps légal au temps de
l'enseignement imposé par l'objet d'enseignement ?
I.1.2. Les exigences et les insuffisances
curriculaires
L'observation des phénomènes biologiques lents
en situation de classe exige un matériel biologique adéquat et
une préparation pédagogique rigoureuse. Elle implique plusieurs
séances de prise de notes ou de mesures de l'évolution du
phénomène. Par ailleurs, dans le cadre des
enseignements-apprentissages des SVT, les instructions pédagogiques
officielles au Burkina Faso préconisent une préparation
pédagogique, sur la base d'une fiche dont les activités sont
menées en une ou deux heures maximum. Et chaque fiche planifiant une
leçon unique, doit impérativement comprendre certains points
allant du rappel à l'évaluation des apprentissages de la
séance (MESSRS, 2010). En guise d'exemple d'objectif spécifique,
lorsqu'on étudie la croissance des plantes en sixième, à
la fin de la séance l'élève de la classe doit être
capable de « mettre en évidence par des mesures successives la
croissance des plantes »4 (MESSRS, 2010). Or, les mesures
successives supposent une observation sur plusieurs jours. Ce qui signifie que
la séance ne suffit pas pour évaluer cet objectif. En outre, dans
le « programme et guide du professeur », un document officiel non
paginé d'un volume d'environ dix pages, les orientations et les
prescriptions se préoccupent très peu de la question «
comment gérer le temps ? » Dans tout le document, la
problématique du temps est évoquée en deux phrases :
« Cette réussite s'avère indispensable au
sortir de la classe de troisième [...] »
« [...] se préoccuper de savoir si au bout du
parcourt les objectifs sont atteints. »
La question du temps n'apparait donc que dans la fiche de
leçon, notamment sous forme d'une proposition de gestion de
cinquante-cinq minutes d'activités. Cela suppose évidemment
l'approche de la séance de leçon, ce qui peut poser un
véritable
4 Objectif figurant dans le curriculum de 2010.
5
problème au regard de la spécificité des
phénomènes biologiques lents comme nous le verrons dans le
paragraphe suivant.
I.1.3. La spécificité des
phénomènes biologiques lents et de leur
enseignement. Il faut signaler ici, que les
phénomènes biologiques lents comportent une
spécificité qui met à l'épreuve
l'enseignement-apprentissage de façon générale et
l'observation en classe de façon particulière. Cette
spécificité est liée au temps de déroulement du
phénomène, qui est souvent en déphasage avec le temps
légal (Chopin, 2007). Par ailleurs, elle est due à la
spécificité même de ces phénomènes,
lorsqu'ils deviennent objets de savoirs à enseigner dans un contexte
d'enseignement curriculaire. En effet, dans l'approche curriculaire, les objets
de savoirs à enseigner peuvent dans leur généralité
être morcelés. Ce morcellement permet de les loger dans des
unités d'enseignement assez réduites, de sorte qu'elles peuvent
tenir dans les unités temporelles assignées à l'enseignant
par l'administration scolaire (emplois du temps). L'objet de savoir à
comprendre se déroule dans un temps beaucoup plus long que les
unités temporelles en question. Donc, si certaines méthodes
d'enseignement peuvent être envisagées dans ce canevas avec un
relatif succès, les méthodes expérimentales et
d'observation restent très inadaptées. Or, ces méthodes
restent des pans clés de l'enseignement expérimental et des
démarches scientifiques. A propos, De Vecchi (2013, p.113) souligne ceci
:
Il est intéressant de mettre les élèves
dans des situations comparables à celles d'un chercheur,
confronté à un problème qu'il n'a pas appris à
résoudre, et qui l'oblige à se poser des questions, à
passer les réponses sous les feux de la critique afin de trouver une
solution originale débouchant sur la construction d'un nouveau
savoir.
En plus de ces spécificités liées aux
objets de savoir, l'analyse des contraintes infrastructurelles peut être
menée.
I.1.4. Etat des lieux des laboratoires de
SVT
L'enseignement-apprentissage des sciences
expérimentales et en particulier celui de la biologie
végétale, nécessite souvent le recours à un
laboratoire ou un espace sécurisé pouvant servir de jardin. Ces
espaces aménagés permettent aux enseignants et à leurs
élèves de mener des activités pratiques. Au Burkina Faso
(MENA, 2017), seulement
6
cent deux (102) établissements d'enseignement
post-primaire et secondaire sur un total de trois mille cent soixante-cinq
(3165) disposaient d'un laboratoire de SVT en 2017. Seulement sept cent seize
(716) d'entre eux possédaient une clôture au cours de la
même année. Cette situation oriente notre réflexion sur les
handicaps qui pourraient miner la conduite des activités pratiques de
sciences, notamment en lien avec les infrastructures pédagogiques.
En sus de ces questions infrastructurelles, l'état des
lieux de la formation des professeurs peut aider à comprendre le
problème posé.
I.1.5. Etat des lieux de la formation des professeurs des
lycées et des collèges Au Burkina Faso, deux structures
de formation assurent la formation initiale des enseignants de SVT au niveau du
post-primaire et du secondaire : L'École normale supérieure de
l'Université Norbert Zongo (ÉNS/UNZ) et l'Institut des Sciences
(IDS).
Malgré le nombre de plus en plus accru de formés
qui sortent de ces établissements, les enseignants de SVT non
formés sur le terrain, représentent encore une forte proportion
de l'ensemble des enseignants qui enseignent cette discipline. Nous n'avons pas
de sondage sur les professeurs de la discipline, mais les données sur la
population des professeurs sont édifiantes. En effet, des données
issues du rapport d'enquête statistique du MÉNA (2017), on
dénombre encore en 2017 jusqu'à huit mille six cent douze (8612)
professeurs n'ayant aucune qualification professionnelle sur le terrain sur un
total de vingt-deux mille six cent un (22601) officiant la même
année. Parmi les enseignants formés, on dénombre mille
trois cent vingt-six (1326) qui ont une qualification professionnelle pour
l'enseignement primaire (CEAP, CAP) ou autre qualification. Il ne reste donc
que douze mille six cent soixante-trois (12663) professeurs formés pour
l'enseignement post-primaire et secondaire. Nous avons traduit ces
données dans la figure 1, qui offre une vue plus aisée de ce
constat.
7
Professeurs non formés
34%
60%
Repartition des professeurs selon la qualification
professionnelle en 2017 au Burkina Faso
Professeurs formés pour l'enseignement primaire et
6% autres
Professeurs formés pour l'enseignement post-primaire
Figure 1: Répartition des professeurs selon la
qualification professionnelle en 2017
au Burkina Faso
I.2. Les questions de départ
Au départ de cette recherche, notre expérience
professionnelle et les constats que nous avons faits nous ont amené
à poser les questions suivantes :
- Pourquoi les enseignants évitent-ils de faire
l'étude expérimentale de la croissance des plantes en situation
de classe ?
- Pourquoi les enseignants éprouvent-ils des
difficultés particulières dans l'enseignement-apprentissage de la
croissance des plantes à fleurs ?
- Quelle est la nature des difficultés rencontrées
par les enseignants?
- Comment réussir une leçon expérimentale
sur la croissance des plantes ?
I.3. Justification du choix du sujet
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