2. La pratique : la situation en Darfour
Le 31 mars 2005, pour la première fois, le Conseil de
sécurité décide de « de déférer au
Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour
depuis le 1er juillet 2002 ». Il ne s'agirait pas ici de revenir sur le
contexte historique de la situation,61 mais plutôt de dresser
l'état actuel de l'affaire. On notera ainsi que depuis juin 2005, le
procureur mène des enquêtes concernant le génocide et des
crimes commis au Darfour à partir du 1er juillet 2012.
Six mandats d'arrêt ont été émis,
dont deux concernent le chef de l'État soudanais Omar Hassan Ahmad Al
Bashir. Le premier mandat d'arrêt a été émis le 4
mars 200962 et le second le 12 juillet 201063.
Malgré ces deux mandats d'arrêt, le président soudanais
bénéficie d'une liberté de mouvement et n'a guère
été arrêté lors de ses voyages.
La liberté de mouvement de Al Bashir s'exerce au sein
des États parties à la convention (Voy. Infra) comme
dans des États tiers. On mentionnera particulièrement ses voyages
en République fédérale démocratique
d'Éthiopie le 12 juin 2017 et les 3 et 4 juillet 2017, le Royaume
d'Arabie saoudite le 19 juin 2017, le 18 juillet 2017 et du 29 août au 4
septembre 2017, les Émirats arabes unis le 17 juillet 2017, le Royaume
du Maroc le 3 août 2017 ou aux alentours de cette date et la
République du Rwanda le 18 août 201764.
Avant chacun de ces voyages, la Cour a adressé des
« notes verbales » aux pays concernés, mais n'a obtenu aucune
réponse. Étant des États tiers à la Cour, le
Conseil de sécurité aurait pu et même dû intervenir
en la matière. Cependant, aucune résolution de sa part n'a
été prise.
Cette liberté de voyage du président soudanais,
notamment dans les pays africains, s'explique en partie par la position en la
matière de l'Union africaine. En effet, l'Union africaine a
demandé au Conseil de sécurité de reporter les poursuites
contre le président soudanais65. Voyant sa demande
rejetée, l'Union africaine a décidé que « les
États membres de l'UA ne coopéreront pas conformément aux
dispositions de l'article 98 du Statut de Rome de la C.P.I relatives aux
immunités dans l'arrestation et le transfert du Président Omar El
Bashir du Soudan à la C.P.I »66
S'agissant cette fois, des États parties à la
Cour, la C.P.I a envoyé des demandes d'explications au Chad67
et à l'Ouganda68. La Jordanie, pour sa part, a essayé
de justifier le manque de
57 Art. 87§7 du statut de Rome.
58 Les résolutions du Conseil de
sécurité ont un effet erga omnes, voy. T.P.I.Y, Affaire Blaskic,
29 juillet 2004, IT-95-14.
59 Résolution 1593 (2005) du 31 mars 2005.
60 Résolution 1970(2011) du 26 février 2011. Le
cas de la Libye ne sera pas traité dans la présente étude.
Pour un regard journalistique de l'affaire, voy. Maupas (S.), Le joker des
puissants : le grand roman de la Cour pénale internationale, Paris,
Don Quichotte, premier chapitre.
61 Aumond (F.), La situation au Darfour
déférée à la CPI : Retour sur une résolution
« historique » du Conseil de Sécurité,
R.G.D.I.P., T. CXII,2008, pp. 111-114.
62 C.P.I, Ch. P. I, 4 mars 2009, le Procureur c/ Omar
Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-1
63 C.P.I, Ch. P. I, 12 juillet 2010, le Procureur c/
Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-95
64 Vingt-sixième rapport du procureur de la
cour pénale internationale au conseil de sécurité de
l'organisation des nations unies en application de la résolution 1593
(2005), p.6.
65 L'article 16 du statut de Rome prévoit la
possibilité au Conseil de sécurité de demander la
suspension de toute enquête ou poursuite.
66 Assembly/AU/Dec. 245 (XIII) Rev.1
67 C.P.I, Ch. P. II, 26 janvier 2018, le Procureur c/
Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-311
68 C.P.I, Ch. P. II, 26 janvier 2018, le Procureur c/
Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-310
13
coopération avec la Cour en se basant sur les
immunités des chefs d'État en exercice. Elle a invoqué que
le Conseil de sécurité aurait pu ordonner la levée de
l'immunité du président soudanais, mais que tel n'était
pas le cas. La Cour a rejeté cette argumentation et a constaté un
manquement aux obligations de la Jordanie69. La Jordanie a
néanmoins interjeté appel70. Au jour de la
rédaction de l'étude, aucune décision n'a
été encore rendue.
Force est de constater que les États ne sont pas les
seuls à ne pas coopérer avec la Cour. Ainsi, lors du sommet de
l'Union africaine du 29 janvier 2018, le secrétaire
général des Nations unies Antonio Guterres a
rencontréé le président soudanais71 alors, que
rappelons le, il fait l'objet de deux mandats d'arrêt.
De tout ce qui précède, pour reprendre l'image
du Professeur Frederic Mégret72, il apparaît que le
Conseil de sécurité se comporte comme un enfant qui se
désintéresse de ses jouets. Le Procureur de la Cour est dans
l'obligation de présenter tous les six mois un rapport au Conseil de
sécurité sur la situation des enquêtes. Vingt-six rapports
ont déjà été présentés à nos
jours, mais aucune avancée de la part du Conseil n'a été
ressentie. On peut donc se demander à quoi sert de déférer
une situation à la Cour, pour ensuite, exprimer un tel
désintéressement. On peut supposer que, tant que le Conseil de
sécurité comportera des membres permanents motivés par des
ambitions politiques, la Cour n'arrivera guère à mettre fin
à l'impunité du président soudanais.
Ayant ainsi analysé la compétence de la Cour
malgré le manque de consentement des États, il est opportun
d'examiner à présent, sa compétence née d'un accord
d'un État tiers au statut.
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