B. La saisine de la Cour pénale internationale
par le Conseil de sécurité
L'article 13 du statut de Rome prévoit trois modes de
saisine de la Cour : par un État parti, par le procureur, ou par le
Conseil de sécurité. L'idée d'une saisine de la Cour par
le Conseil de sécurité a été débattue lors
de la conférence de Rome. L'ancien président de la Cour, Philippe
Kirsch, décrit une méfiance des certains États quant
à l'intervention du Conseil de sécurité50.
D'autres, et notamment les États Unis, ont voulu faire du Conseil de
sécurité, l'organe de
40 Définie par l'article 38 du statut de la
C.I.J comme une « preuve d'une pratique générale
acceptée comme étant le droit ».
41 Voy. art. 49 de la Convention (I) de
Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des
malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949.
42 Licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226.
43 Bailleux (A.), La compétence universelle
au carrefour de la pyramide et du réseau, Op. Cit.
44 Cour suprême d'Israël, 29 mai 1962,
Procureur c. Eichmann, I.L.R, n° 36, Pp 5-35.
45 Réserves à la Convention sur le
Génocide, avis consultatif : C. I. J. Recueil 1951, P. 15
46 Res. AG2840 (XXVI), Res. AG3020(XXVIII), Res.
AG3074(XXVIII)
47 Bailleux (A.), La compétence universelle
au carrefour de la pyramide et du réseau, Op. Cit.
48 Economides (C.), Les actes institutionnels
internationaux et les sources du droit international, A.F.D.I, 1988, p.142,
cité in Barberis (J.), Réflexions sur la coutume internationale,
A.F.D.I, 1990, p.34.
49 C.P.J.I, 27 juillet 1927, Affaire de l'usine de
Chorzów, Série A, n°9.
50 Discours prononcé le 16 février 2018
lors de la 3eme journée de la justice pénale internationale.
11
saisine principale51. La divergence
d'appréciation du rôle du Conseil de sécurité a
conduit à un résultat hybride. Le Conseil de
Sécurité pourra saisir la Cour à certaines conditions
qu'il conviendra d'expliciter (1). Toutefois, derrière l'utopie
théorique, l'avenir pratique est incertain (2).
1. Les modalités d'exercice de la saisine
Les modalités d'exercice de la saisine de la Cour par
le Conseil de sécurité ont fait couler beaucoup
d'encre52. Il ne s'agit pas, dans le cadre de cette étude,
d'en faire un exposé exhaustif, mais plutôt d'en décrire
les grandes lignes nécessaires à la compréhension de la
pratique.
De prime abord, la saisine par le conseil est une source
d'élargissement de la compétence de la Cour, du moins
rationae loci. La Cour pourra dans ce cas, mener des enquêtes
concernant des États non parties. Autrement dit, la saisine du Conseil
de sécurité neutralise le besoin de recueillir le consentement
d'un État. Face à cet élargissement de la
compétence, le Soudan a crié à une forme de
néo-colonialisme. Toutefois, cette affirmation paraît incorrecte.
Même si l'État en cause n'a pas exprimé son consentement
à la compétence de la Cour, il a bel et bien exprimé son
consentement à se soumettre aux résolutions du Conseil de
sécurité en ratifiant le traité de San Francisco du 26
juin 194553. La conception souverainiste du droit international
public est dès lors préservée.
L'article 13b du statut prévoit ainsi que la Cour peut
exercer sa compétence « si une situation dans laquelle un ou
plusieurs de ces crimes [visés à l'article 5] paraissent avoir
été commis est déférée au Procureur par le
Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la
Charte des Nations Unies »
Notons à titre préliminaire, que le statut
emploi le terme de « situation »54 et non pas celle
d'affaire. Dès lors, la saisine du Conseil de sécurité ne
peut pas viser un individu nommément désigné.
Le statut pose en outre la condition selon laquelle le Conseil
de sécurité ne peut agir qu'en vertu du Chapitre VII de la Charte
des Nations unies. Autrement dit, il doit constater « l'existence d'une
menace contre la paix, d'une rupture contre la paix ou d'un acte d'agression
» et que la saisine est nécessaire afin de « maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales
»55.
Si ces conditions sont remplies, le Conseil de
sécurité est libre de procéder à la saisine. En cas
de saisine, « le Secrétaire général transmet
immédiatement la décision écrite du Conseil de
sécurité au Procureur avec les documents et autres pièces
pouvant s'y rapporter »56.
Force est de constater que la saisine du Conseil de
sécurité s'inscrit dans une vision d'ensemble de
coopération entre l'O.N.U et la Cour. La Cour, ne possédant pas
de force armée propre, cette coopération est rendue
nécessaire. La Cour peut ainsi, à titre d'illustration, saisir
le
51 Voy. Fernandez (J), Pacreau (X), Statut de
Rome de la cour pénale internationale : commentaire article par
article, op. Cit, p.611.
52 Voy. Notamment, Blaise (N.), Les interactions
entre la cour pénale internationale et le conseil de
sécurité : justice versus politique ? Revue internationale de
droit pénal, vol. 82, no. 3, 2011, pp. 420-444. ; Bourguiba (L.),
Modèles de saisine et limites, Confluences
Méditerranée, vol. 64, no. 1, 2008, pp. 25-41.
53 Le soudan a ratifié le traité le 12
novembre 1956.
54 Blaise (N.), Les interactions entre la cour
pénale internationale et le conseil de sécurité : justice
versus politique ? Op. Cit.
55 Art. 39, Chapitre VII de la Charte des nations
unis.
56 Art. 17 de l'accord négocié
régissant les relations entre la Cour pénale internationale et
l'Organisation des Nations Unies du 4 octobre 2005.
12
Conseil de sécurité en cas de manquement
à une obligation d'un État partie57. Le Conseil pourra
dans ce cas prendre une résolution qui liera juridiquement
l'État58.
À ce jour, le pouvoir de saisine du Conseil de
sécurité a été ainsi exercé à deux
reprises : le premier s'agissant de la situation en Darfour59 et le
second s'agissant de la Libye60.
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