3. La controverse d'une compétence universelle de la
Cour pénale internationale
La question de la compétence universelle a
été discutée lors de la conférence de Rome de 1998.
Les travaux préparatoires31 montrent ainsi que deux
thèses étaient en présence : certains
États32 et organisations humanitaires se prononçaient
en faveur d'une compétence universelle, tandis que d'autres souhaitaient
laisser une place majeure au consentement des États33.
Le statut de la C.P.I affirme la victoire des États
« consensualistes » puisque la Cour n'est compétente qu'en
vertu de certains critères34. Néanmoins, affirmer que
la C.P.I ne possède pas de compétence universelle paraît
incorrect. En effet, lorsque la Cour est saisie par le Conseil de
sécurité (voir infra), sa compétente peut
paraître universelle. Elle élargit ses compétences à
des États non parties au statut de Rome. Toutefois, les
résolutions du Conseil de sécurité ne lient que les
États parties à la Charte des Nations Unies.35. Il
s'agit certes d'une hypothèse marginale, mais de jure, la
compétence universelle de la C.P.I paraît limitée.
Le choix politique du consentement, opéré par le
statut de Rome peut être expliqué juridiquement par le principe de
l'effet relatif des conventions (res inter alios acta).
Exprimée à l'article 34 de la Convention de Vienne de 1969 sur le
droit des traités36, ce principe est « la
conséquence logique de l'exclusion de la catégorie des
traités lois et des traités créant des situations
objectives »37. Les États ne peuvent créer,
dès lors, ni droits38 ni obligations39 pour un
État tiers à la Convention. Or, donner à la C.P.I une
compétence universelle reviendrait à créer des obligations
envers des États tiers à la Convention.
29 Franck (A.), Le projet chimérique d'une
compétence universelle en France, Radio France Internationale, 21
octobre 2015.
30 Ibid.
31 A/CONF.l83/13(Vol. II)
32 Notamment l'Allemagne, le Belgique, le Luxembourg,
la Jordanie, les Pays-Bas, le Venezuela et l'Équateur
33 Notamment les Etats-Unis, Israël, l'Inde, la
France et le Mexique.
34 Art. 12 du statut de Rome.
35 Elles ne s'appliquent donc pas au Vatican, aux
Iles Cook (la question ne se pose pas car ils sont membres de la Cour) et a
Niué.
36 Il n'y a pas à rechercher une
ratification de la convention puisqu'elle s'applique en tant que coutume, voy.
Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie-Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil
1997, p. 7.
37 Combacau (J.), Sur (S.), Droit international
public, Paris, LGDJ, 2016, p. 156.
38 Affaire de l'Ile de Clipperton, recueil des
sentences arbitrales, 28 janvier 1931, Volume II pp. 1105-1111
39 C.P.J.I., Affaire des Zones franches du
Haute-Savoie et des pays du Gex, 7 juin1932, Série /B, Fascicule
n°46.
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Toutefois, l'extension des effets d'un traité peut
être faite par voie coutumière. C'est ainsi que l'article 38 de la
Convention de Vienne de 1969 dispose qu'une règle énoncée
par un traité peut devenir « obligatoire pour un État tiers
en tant que règle coutumière de droit international reconnue
comme telle ». Dès lors, il convient de prouver que, pour les
crimes pour laquelle la C.P.I est compétente, une compétence
universelle existe en tant que règle coutumière40.
S'agissant en premier lieu des crimes de guerre, plusieurs
conventions internationales obligent les États à avoir une
compétence universelle pour des crimes commis lors de conflits
armés internationaux 41 . Or, il est désormais admis
que ces conventions expriment des règles
coutumières42.
S'agissant du génocide, la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide de 1948
n'a pas instauré de compétence universelle43.
Cependant, dans l'affaire Eichmann de la Cour suprême d'Israël,
celle-ci a décidé que si la Convention n'autorisait pas une
compétence universelle, elle ne l'interdisait pas non plus44.
Ceci étant dit, l'article V de la Convention prévoit que «
Les Parties contractantes s'engagent à prendre, conformément
à leurs constitutions respectives, les mesures législatives
nécessaires pour assurer l'application des dispositions de la
présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions
pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou
de l'un quelconque des autres actes énumérés à
l'article III ». Cette disposition, qui peut être
considérée comme obligeant à établir une
compétence universelle, a été reconnue comme une norme
coutumière par la CIJ45.
S'agissant des crimes contre l'humanité, la question
est plus délicate. Réprimés depuis la création des
tribunaux de Nuremberg et Tokyo, les crimes contre l'humanité n'ont pas
fait l'objet d'une convention. Même si certaines résolutions de
l'Assemblée générale consacrent implicitement en la
matière une compétence universelle en tant que norme
coutumière46, la faible pratique étatique paraît
un obstacle à la reconnaissance d'une telle coutume47.
Si les organisations internationales48 et les
tribunaux internationaux49 peuvent être à l'initiative
d'une pratique coutumière, il apparaît que, réciproquement,
celles-ci pourront se reconnaître une compétence universelle sur
une base coutumière. Il semblerait dans ce cas que la C.P.I pourrait se
reconnaître une compétence universelle, à titre coutumier,
pour des crimes de guerre et crimes de génocide.
En tout état de cause, il convient à
présent d'examiner la partie « certaine » de la
compétence universelle de la C.P.I, celle qui résulte de la
saisie par le Conseil de sécurité.
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