A. Une compétence universelle de la Cour
pénale internationale ?
L'idée d'une compétence universelle des
tribunaux n'est pas récente. Elle a été initiée au
XIIIe siècle pour les vagabonds qui n'ont pas de domicile
fixe17. Quatre siècles plus tard, Grotius a distingué
les « délits ordinaires » qui ne concernent que les
particuliers, des « délits qui intéressent en quelque
façon la société humaine »18. Face
à la gravité de tels délits, les États en cause
avaient deux choix : juger ou extrader (aut dedere, aut
judicare)19.
La compétence universelle pose plusieurs enjeux (1)
qu'il convient d'identifier. Le principe de complémentarité de la
C.P.I rend nécessaire une analyse préliminaire du système
juridique français (2), avant de déterminer quel est le sort
d'une telle compétence pour la Cour (3).
1. Les enjeux de la compétence universelle
La notion de compétence universelle ne peut pas
être définie unanimement. Aux fins de la présente
étude, la compétence universelle s'entendra comme « la
compétence pénale basée sur la nature du crime,
indifféremment du lieu où celui-ci a été commis, de
la nationalité de l'auteur ou de la victime, ou de tout autre lien avec
l'État exerçant une telle compétence »20
La compétence universelle pose la question de savoir si
un État peut juger un suspect sans que le crime ait été
commis sur son territoire ou que ce dernier soit un de ses ressortissants. En
d'autres termes, il s'agit de la question de l'application de la loi dans
l'espace.
L'application de la loi dans l'espace ne pose pas, en
règle générale, de difficultés. De ce fait, il est
largement admis, en vertu d'une compétence personnelle, qu'un
État soit compétent pour juger des crimes commis par un de ses
ressortissants ou à l'encontre d'un de ses ressortissants, même en
dehors de son territoire21. De même, en vertu d'une
compétence réelle, l'État est compétent pour juger
des crimes touchants à ses « intérêts essentiels
»22
En revanche, la légalité d'une compétence
universelle est plus délicate, car elle touche au coeur de la
souveraineté des États. Hormis les cas précités, la
question consistait à savoir si le droit international autorise ou
prohibe une expansion de la compétence extraterritoriale des
États.
Telle était la question à laquelle était
confrontée la C.P.J.I dans l'affaire du Lotus jugée le 7
septembre 192723. L'affaire en question concernait le procès
en Turquie d'un commandant de navire français ayant détruit un
navire turc. Confrontée à la question de la compétence des
tribunaux, la Cour semble affirmer de prime abord le principe de liberté
en droit international. Elle décide ainsi que « Loin de
défendre d'une manière générale aux États
d'étendre leurs lois
17 Peyro- Llopis (A.), La compétence
universelle en matière de crimes contre l'humanité,
Bruxelles, Bruylant, 2003. p.2.
18 Ibid.
19 Carreau (D.), La compétence universelle
au regard du droit international, in Les droits et le Droit :
mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Paris,
Dalloz, 2007, P.89
20 Article 1 des principes de Princeton sur la
compétence universelle (nous traduisons).
21 P. ex. art. 113-6 du C.P
22 Bailleux (A.), La compétence
universelle au carrefour de la pyramide et du réseau, Bruxelles,
Bruylant, 2005, Pp.16-29.
23 C.P.J.I, Affaire du lotus, arrêt du 7
septembre 1927, Série A- n°10
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et leur juridiction à des personnes, des biens et
des actes hors du territoire, il [le droit international] leur laisse, à
cet égard, une large liberté, qui n'est limitée que dans
quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque
État reste libre d'adopter les principes qu'il juge les meilleurs et les
plus convenables ».
Cette liberté laissée aux États est
immédiatement tempérée. La Cour décide ainsi que
« il y a lieu de se demander si les considérations qui
précèdent valent réellement pour la matière
pénale ». La question de la compétence universelle n'a
pas été tranchée par cet arrêt. L'arrêt laisse
à se demander si, par son lien étroit avec l'ordre public, la
liberté des États est limitée en matière
pénale. Dès lors, la légalité d'une
compétence universelle en droit international reste incertaine, d'autant
plus que dans un récent arrêt24, la C.I.J s'est
abstenue de statuer sur la question.
Malgré l'ambiguïté de sa
légalité en droit international, il n'en reste pas moins que
« la compétence universelle est, en effet, une des méthodes
les plus efficaces pour dissuader et prévenir les crimes internationaux
en augmentant les chances de poursuite et de condamnation de leurs auteurs
»25.
Ayant cette conception à l'esprit, la compétence
universelle est exercée dans de multiples États à travers
le monde26. La présente étude se concentrera sur le
cas de l'État français.
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