La protection des interets des actionnaires minoritaires dans les societes mixtes cas de la societe sucriere de Moso (SOSUMO)par Jean Claude BIZIMANA Université Lumière de Bujumbura - Master 2021 |
Paragraphe 1 : Notion d'abus de majoritéLe Philosophe Montesquieu avait justement observé que « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. 282» Tirant la leçon de cette citation aussi bien le législateur burundais que celui communautaire de l'OHADA ont prévu des dispositions visant à protéger les actionnaires minoritaires contre des abus éventuels des 278 Article 2 du CSP&PP 279Anthony Bem, la protection des actionnaires minoritaires, trouvé sur le site Internet : www.cabinetbem.com 280Mama Otabela Hugues Joël, le contrôle de la société anonyme par les actionnaires minoritaires, Revue Horizon du Droit, Bulletin n° 13, p.4 Idem p.5.281 282 Charles de Secondat Montesquieu, op.cit. p.112 77 majoritaires. Et l'on sait bien que l'abus de majorité, dont il convient avant tout de bien circonscrire toutes les nuances (A) a des conséquences néfastes sur la vie sociale de la société (B). A. Définition de l'abus de majoritéLe principe cardinal en matière de gestion des sociétés est que les décisions se prennent à la majorité, devant laquelle la minorité doit s'incliner. C'est un gage d'efficacité par rapport au droit commun des contrats, lequel repose, en principe du moins, sur la règle de l'unanimité.283 Ainsi, dès lors qu'on parle d'abus de majorité, il faut le comprendre aussi bien sur le plan législatif (1), que jurisprudentiel et doctrinal (2). A.1. Définition légale de l'abus de majoritéC'est l'article 60 al.2 du CSP&PP qui définit cette notion. D'après cet article, il y a abus de majorité lorsque les Associés majoritaires ont voté une décision dans leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des associés minoritaires, et que cette décision ne puisse être justifiée par l'intérêt de la société. Comme on le voit, l'existence de l'abus de majorité suppose la réunion préalable de deux conditions : la violation de l'intérêt social et la rupture de l'égalité entre associés. Il est vrai que le droit de vote est une prérogative que la loi reconnait à l'actionnaire.284Mais en exerçant ce droit, les actionnaires majoritaires ne doivent pas en abuser dans le seul dessein de nuire aux actionnaires minoritaires. Il en serait de même si la résolution litigieuse prise était contraire à l'intérêt général et l'était dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de ceux de la minorité.285 Par exemple, il y aurait abus de majorité si l'on votait pour la transformation d'une société anonyme en une société en commandite simple. Le pouvoir majoritaire n'étant pas un pouvoir absolu, la loi encadre son exercice en conférant à l'actionnaire minoritaire le droit d'attaquer en justice les délibérations prises au mépris de l'intérêt social. Du reste, l'actionnaire majoritaire est le mandataire de l'Assemblée générale 283 Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy, op.cit. p.189. 284 Yves Guyon, op.cit. p.311 285 Grégoire GIOGUE, se repérer parmi les types de sociétés admises par l'OHADA, thème présenté lors d'un séminaire organisée par l'Association pour l'Efficacité du droit et de la justice dans l'espace de l'OHADA (AEDJ), p. 66. 78 dans son ensemble et non celui d'un groupe particulier d'actionnaires.286C'est pourquoi il doit agir en recherchant l'intérêt général, sinon il violerait la loi et ses engagements envers la société. Néanmoins, la définition légale qui nous est donnée manque de précision et nous laisse sur notre soif car elle ne nous indique pas quels sont les actes ou les décisions caractéristiques de l'abus de majorité. Fort heureusement la doctrine et la jurisprudence viennent combler cette lacune (2).287 A.2. Définitions doctrinale et jurisprudentielle de l'abus de majorité Pour Tricot, « l'abus de majorité n'est caractérisé qu'en cas de détournement de pouvoir, et la décision prise ne doit s'expliquer que par l'intérêt égoïste contraire à l'intérêt social et qui vise à sacrifier les intérêts légitimes des minoritaires.288 » En usant de leurs prérogatives, les actionnaires majoritaires se doivent de prendre en considération les autres intérêts en présence et non se cantonner à la satisfaction exclusive des leurs. Comme l'a si bien dit Emmanuel Gaillard, « le droit de vote est orienté vers un but qu'il est tout entier ordonné à la satisfaction d'un intérêt qui ne se confond jamais totalement avec celui de son titulaire. 289 » En entrant dans la société, l'actionnaire accepte de subordonner son intérêt individuel à l'intérêt social dans les limites fixées par la loi et les statuts.290 En outre, le titulaire du droit de vote doit à la fois rechercher la satisfaction de son intérêt personnel et celui de son partenaire. Ici cependant, Schmidt trouve cette conception embarrassante, car pour lui, si l'une des missions traditionnelles du droit est la protection du faible, cela conduit à remettre en cause la loi de la majorité qui relève de la philosophie même du droit des sociétés.291 Cet embarras de Schmidt est compréhensible. Les sociétés anonymes se caractérisent par une démocratie totale où les décisions sont prises à la majorité et où les minorités doivent s'incliner devant celle-ci. Ces dernières ne peuvent donc pas se prévaloir d'un abus de majorité pour bloquer le fonctionnement de la société. 286Seniadja Adjo Flavie, op.cit. p.40 287 Yves Guyon op. cit. p. 475 288 D. Tricot, abus de droit dans les sociétés, abus de majorité et abus de minorité, RTD com. 1994, p.617, citée par Maurice Cozian et Consort, op.cit. p.189. 289 Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, 1985, n° 235, cité par MAMA OTABELA Hugues Joël, op.cit. p.6 290 Yves Guyon, op.cit. p.476. 291 D. Schmidt, Le droit de la minorité dans les sociétés anonymes, cité par Yves Guyon, idem. p.474. 79 La jurisprudence elle, considère qu'il y a abus de majorité quand la résolution prise par une Assemblée d'actionnaires est contraire à l'intérêt social et qu'elle l'a été dans l'unique dessein de favoriser des membres de la majorité au détriment des membres de ses auteurs.292 En d'autres termes, l'existence de l'abus est conditionnée par la réunion de deux éléments293 : - un élément objectif - un élément subjectif Ici, on voit que la rupture de l'égalité des sociétaires doit être intentionnelle, même si pour la Jurisprudence, elle ne fait pas partie des éléments caractéristiques d'une intention de nuire. L'abus de majorité nécessite donc la démonstration cumulée d'une atteinte à l'équilibre des intérêts des associés et de la société elle-même. Pour le Professeur Maurice Cozian, l'abus de majorité relève, non d'un contrôle d'opportunité, car il ne s'agit pas seulement d'apprécier si la décision litigieuse est inopportune, mais d'un contrôle de légalité, car il s'agira de juger si la décision inopportune est destinée à rompre l'égalité entre associés, c'est-à-dire à rompre la communauté d'intérêts qui doit exister entre eux en application de l'article 1833 du Code civil.294 En jurisprudence, des cas de poursuite d'intérêts égoïste par la majorité ont été établis lors de la répartition des réserves ou des bénéfices. En effet, les associés minoritaires désirent généralement percevoir immédiatement les dividendes alors que les majoritaires aspirent à mettre en réserve le bénéfice afin d'assurer la prospérité et la pérennité de la société.295 Dans un arrêt célèbre du 27 avril 2011, la Cour de Cassation a désigné comme abus de majorité la mise en réserve systématique de l'intégralité des bénéfices pendant plusieurs années puisque les sommes coïncidant à ces bénéfices n'avaient pas été utilisées pour les investissements.296 Cette jurisprudence est une parfaite illustration de la recherche de l'intérêt individuel au détriment de l'intérêt social alors que celui-ci, boussole d'une société, constitue l'élément 292 Com. 30 nov.2004, n° 01.16.581, Bull. Joly 2005, 241, n° 42, P. Le Cornu, Voir aussi, Cass. Com. 18 avr. 1961, JCP, 1961. II . 12 164, D. Bastian. 293 Alexandra Six, conflits d'associés et abus de majorité : définition et sanction, trouvé sur le site internet : www.villagedelajustice.com 294 Maurice Cozian et Consort. Op.cit. p.189 295Cass. Com 17 juin 2008, n° 06-15.545, Bull.Civ.IV, n° 125, Bull Jolly, société 2008, p.965. note F.X Lucas. 296Cass. Com. 27 avril 2011, n° 10-17.778, JCP.E.2011 n° 1384 80 substantiel de son existence et témoigne de la volonté des associés de collaborer sur un pied d'égalité au succès de l'entreprise commune.297 (B) B. Intérêt social comme élément de qualification de l'abus de majorité En décidant de créer une société, les actionnaires conviennent d'atteindre un certain objectif qui est de mettent d'abord en avant l'intérêt de la société. Consécutivement à cette logique, l'intérêt des associés doit s'effacer devant celui de la société.298 L'intérêt social se présente donc comme l'intérêt supérieur de la personnalité morale elle-même, c'est-à-dire celui de l'entreprise perçue comme un agent économique poursuivant des objectifs propres. En d'autres termes, cet intérêt constitue « une boussole de la société» qui détermine la conduite à tenir dans le cas de la gestion de la société.299 Cette notion d'intérêt général n'a été définie ni par le législateur burundais ni par d'autres législateurs comme celui de l'OHADA. L'analyse de l'intérêt social prend en compte l'intérêt des associés en même temps que celui de la société qui naît à l'occasion de la signature des statuts ou de l'immatriculation au registre de commerce et des sociétés (1) et qui doit être différent de l'intérêt individuel de chaque associé (2). |
|