La protection des interets des actionnaires minoritaires dans les societes mixtes cas de la societe sucriere de Moso (SOSUMO)par Jean Claude BIZIMANA Université Lumière de Bujumbura - Master 2021 |
Paragraphe 1. Le droit à l'information et à la participation au voteLe droit à l'information et à la participation au vote sont intimement liés, car, le droit au suffrage (B) exige que celui qui l'exprime soit suffisamment éclairé (A). A. Le Droit des actionnaires à l'informationPour une bonne gestion de la société, le législateur burundais donne les prérogatives aux actionnaires d'avoir accès à certains documents pour s'enquérir de la vie de la société et de la santé financière de la société. Il a également mis à la disposition des actionnaires des moyens pour se procurer des informations dont ils ont besoin. A.1. Les fondements du droit à l'informationLes gestionnaires de l'entreprise disposent d'importants pouvoirs juridiques et économiques nécessaires à la sauvegarde quotidienne des intérêts de la société. Les actionnaires, eux, n'ont qu'un pouvoir épisodique, même s'il est réel et peut être exercé même à l'encontre des gestionnaires eux-mêmes.82 Ainsi donc, l'actionnaire, étant le citoyen de cette cité qu'est la société comme l'affirment certains auteurs, dispose de prérogatives politiques lui accordant le droit de se tenir informé de tout ce qui concerne la gestion de l'entreprise83. C'est ainsi que le droit à l'information des actionnaires se fonde sur le fait que l'actionnaire, s'étant engagé financièrement, est sensé avoir une connaissance précise et permanente de l'état de son investissement. Il pourra être ainsi assuré que les gestionnaires n'ont pas profité de sa non participation directe à la gestion pour s'octroyer des avantages faramineux et indus qui, à la longue, risqueraient de porter un coup fatal à ses intérêts.84 En d'autres termes, l'actionnaire est en permanence tenu informé de l'état des affaires, et peut ainsi apprécier les performances de la société et jouer le rôle essentiel de sentinelle de l'intérêt 82 Frédéric Parrat, Théories et Pratiques de la Gouvernance d'Entreprise pour les Conseils d'Administrations et Administrateurs, éd. Maxima, Paris 2015, p.22 83 Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy, op.cit. p.156 84 Aude-Marie CARTOR et Boris MARTOR, l'actionnaire minoritaire dans les sociétés régies par le droit OHADA, Cahier de droit de l'Entreprise n° 1, janvier -février 2010, p.21. 25 général. Garantir une information continue à tout actionnaire est, en effet, la clé d'une parfaite transparence dans la gestion et in fine le signe palpable de « bonne gouvernance » au sein de l'entreprise. Le droit à l'information constitue donc une sorte de contre-pouvoir qui rassure les actionnaires non dirigeants sur la gestion de leurs biens, instaure un climat de confiance entre les organes et constitue également un moyen d'harmonisation des intérêts des actionnaires85car il favorise une circulation rapide et très large des informations financières et des décisions de gestion. Pour corroborer cette idée, nous exprimons cet avis que le législateur burundais, à l'instar du législateur français, devrait exiger des sociétés anonymes de disposer d'un site internet fonctionnant dans les deux sens, pour être au diapason des exigences des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication. Les actionnaires auraient ainsi l'opportunité de suivre, de près et au quotidien, la vie de la société en interpellant les gestionnaires qui, en retour, seront tenus de leur envoyer des messages faisant le point sur l'évolution financière de la société. Sur ce point, la SOSUMO a modernisé sa communication et dispose effectivement d'un service informatique très performant même si, selon nos informations, son usage laisse beaucoup à désirer.86 Néanmoins il faut le dire, la tâche n'est pas si aisée qu'on le pense : certains responsables toujours très attachés au principe du secret professionnel, redoutent que les informations qu'on les oblige à diffuser soient utilisées contre eux ou contre la société, tout à la fois par le fisc, les concurrents, les syndicats des salariés, et même par les actionnaires eux-mêmes87. Aussi, le caractère de secret de l'information dans certaines sociétés reste-t-il une entrave à l'utilisation des Technologie de Information et de la Communication (TIC). De notre point de vue, cette réticence de la SOSUMO à ne pas laisser le champ libre aux actionnaires d'avoir accès à toute information est logiquement justifiée : la société par actions ne sert pas 85Jacques Derthal ALBAS, le contrôle d'une société anonyme par les actionnaires, Université de Lomé, Mémoire de Maitrise, année académique 2007-2008, p.12, inédit. 86 Dans le cas de la SOSUMO, celle-ci dispose d'un service informatique très performant avec un site web : et un e-mail : Sosumobu@yahoo.fr malheureusement, étant donné le caractère très administratif, les actionnaires sont informés ; Entretien avec un membre du Conseil d'Administration de la SOSUMO représentant les actions de l'Etat le 07/02/2020. 87 idem p.611. 26 uniquement l'intérêt des actionnaires. Les intérêts d'autres multiples parties prenantes peuvent être lésés par l'exercice du droit à l'information des actionnaires. En effet, des informations, livrées même en Assemblée générale, sur des valeurs courantes de certains actifs peuvent occasionner des dommages dans des cas particuliers.88 C'est pourquoi le droit à l'information des actionnaires peut aussi être une arme à double tranchant : il met souvent en conflit l'intérêt particulier de l'actionnaire, censé disposer d'informations précises pour mieux appréhender la gestion de la société, et celui de sa société dont l'une des missions est d' éviter que les concurrents s'emparent d'informations pouvant être exploités au préjudice de l'intérêt général des sociétaires. Comme C. BONNET l'a affirmé dans un de ses ouvrages : « Dans le monde hostile de la concurrence, il importe de pouvoir se situer par rapport aux autres concurrents et à cette fin, tout renseignement peut être utilisé pour apprécier la fermeté ou la faiblesse des positions adverses »89. En conséquence, il s'avère indispensable de toujours contrôler la qualité de l'information à fournir aux actionnaires et le Conseil d'administration doit mettre en place une politique efficace de communication financière qui doit orienter l'élaboration des messages à leur transmettre. Le même Conseil s'assurera également que l'information diffusée est pertinente et fiable de sorte qu'un dialogue constructif puisse être établi90. Dans cet ordre d'idées, afin de prévenir le risque que le droit à l'information soit un outil de déstabilisation utilisé par quelque actionnaire malveillant pouvant parfois être tenté de livrer les secrets de la société aux concurrents, le Conseil pourrait se référer à la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation française qui a décrété que la liste des documents demandés par les actionnaires revête un caractère limitatif.91 Et en effet, il convient de le souligner que le législateur burundais a autorisé les actionnaires à obtenir communication des livres et documents sociaux,92 sans toutefois en donner une liste 88Philippe Merle, Anne Fauchon, Droit Commercial, Sociétés Commerciales, 21ème éd. Dalloz, Paris, 2017/2018, p.296 89C. BONNET, Le secret dans la vie économique, Thèse, Paris, 1970 cité par Jacques Derthal ALBAS, op.cit, p.15 90 Pierre CHABANE, Op.cit. p.105 91 Com, 23 juin 2009, pourvoi n°08-14.117, qui exclut en conséquence, des communications, la copie des procès-verbaux du Conseil d'administration, les registres de présence au conseil et des convocations adressées aux administrateurs, ces documents n'étant pas visés par le texte. Trouvé sur le site internet : www.courdecassation.fr 92 Article 180 du CSP&PP. 27 énumérative. Cela laisse penser que les gestionnaires disposent de la prérogative de ne pas donner aux actionnaires un document qu'ils jugent confidentiel. Cela est d'autant compréhensible qu'à notre avis, la société se doit de se réserver le droit de ne pas porter à la connaissance du public des documents qu'elle juge très stratégiques et dont l'exploitation par des tiers risquerait de porter préjudice à sa survie même. Comme l'affirme si pertinemment Jean Marie Denquin, « dans une société donnée, tout ne peut être dit et certaines choses ne peuvent pas être dites en certaines circonstances ».93 Pour sauvegarder l'intérêt de la société, les organes dirigeants sont eux aussi astreints au devoir de réserve. Cependant, comme on doit maintenir l'équilibre entre le devoir de réserve et le droit à l'information des sociétaires, un mécanisme de protection des deux parties, actionnaires et société, doit être mis en place (2). A.2. Les moyens d'exercice du droit à l'information A.2.1. Consultation des documents sociaux Pour être en mesure de contrôler à tout moment de l'année la gestion de l'entreprise, il est du droit de l'actionnaire que des documents lui soient communiqués. Ensuite, par deux fois au cours d'un exercice, l'actionnaire peut également poser au Directeur Général des questions écrites relativement à des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, et dont la réponse est communiquée au commissaire au compte94. De même, à la clôture de l'exercice, les gestionnaires doivent présenter un rapport de gestion à l'Assemblée générale des actionnaires. Les documents que l'actionnaire a le droit de consulter sont énumérés à l'article 399 du CSP&PP et sont entre autres ; les états financiers, le rapport de gestion et celui des Commissaires aux Comptes, le texte de l'exposé des motifs des résolutions proposées, des renseignements concernant les candidats au Conseil d'administration, ou au directoire, et la liste des actionnaires. 93Jean Marie Denquin, Les sens du droit, la politique et le langage, Ed. Michel Houdiard, Paris, 2007, p.29. 94 Article 400 de la loi n°1/09 du 30 mai 2011 portant Code des sociétés privées et à participation publique. 28 Les trois premiers documents sociaux constituent l'information de base des actionnaires. Ils sont censés comporter une information sur la gestion de la société au sens le plus large.95 Par exemple le rapport de gestion doit comporter non seulement un commentaire sur les comptes annuels, mais également des indications sur les événements importants survenus après la clôture de l'exercice et sur les circonstances susceptibles d'influencer notablement le développement de la société, etc. Lorsque la société a réalisé ou envisage de réaliser certaines opérations spécifiques, les administrateurs sont tenus d'en informer les actionnaires dans un rapport de gestion au contenu obligatoirement détaillée. Ce droit à la communication des documents revient en définitive à permettre aux actionnaires d'avoir une idée précise sur la gestion passée de l'entreprise et de leur offrir l'opportunité d'en apprendre davantage sur les éléments d'appréciation dont les assemblées ont disposé et sur les décisions qu'elles ont prises.96 Néanmoins, en fait d'exercice permanent de ce droit, la jurisprudence a tranché en lui fixant des limites : il ne saurait concerner des documents ou des fragments de documents autres que ceux qui ont été présentés auxdites assemblées97. Cependant, les tribunaux peuvent également étendre le droit de communication à toutes autres pièces documentaires qui s'avéreraient nécessaires à l'information du demandeur justifiant d'un intérêt légitime.98 En plus de la consultation des documents, le législateur a donné aux actionnaires le droit d'en prendre copie à leur frais, à l'exception de l'inventaire. Ici le terme « copie » doit s'entendre de la manière la plus large : il recouvre à la fois les notes prises, les photocopies et les enregistrements au magnétophone destinés à conserver les renseignements dont on prend connaissance.99 Mais pourquoi donc exclure de ces documents la copie des inventaires ? La réponse est simple : l'inventaire contient des renseignements précieux que la société ne souhaite pas voir divulgués auprès d'un concurrent et risquer ainsi de donner prise à l'espionnage industriel. Bien plus, il est constitué de centaines, voire de milliers de pages. 95M. Coipel, droit des sociétés commerciales SA, SPRL et SCRL, 2ème Ed. Kluwer, Bruxelles 2002, p.789. 96 Jacques Mestre, Sylvie Faye, Christine Blanchard, Sociétés commerciales, éd. Lamy S.A, Paris 1993, p.1319. 97 CA, Paris, 18 octobre 1963. Gaz.Pal.1964.I, JP, p.386, voir n°2987 98 Cass.Com., 10 février 1969, JP, p.526, note Delsace à propos d'une expertise judiciaire destinée à déterminer la valeur d'actions composant un patrimoine successoral. 99 Jacques Derthal ALBAS, op.cit. p.20 29 Il serait donc trop demander à la société d'autoriser la reproduction de la totalité d'un tel document En revanche si la société refuse de remettre à un actionnaire, en tout ou en partie, des documents qu'elle doit normalement tenir à sa disposition. Ce dernier peut saisir la juridiction compétente qui pourra ordonner à l'entreprise de le satisfaire, en vertu de l'article 402 du Code des Sociétés Privées et à Participation Publique du Burundi qui dispose : « si la société refuse de communiquer tout ou partie des documents visés aux articles 399 et 400, il est statué sur le refus, à la demande de l'actionnaire, par le Président du Tribunal de commerce ou, à défaut du Tribunal de Grande Instance statuant sans délai. » |
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