CHAPITRE PRELIMINAIRE : CADRE CONTEXTUEL
Depuis la colonisation jusque vers les années 1970, le
commerce au Burundi était entre les mains des sociétés
étrangères qui se souciaient très peu de ménager
durablement sa clientèle puisqu'elles n'avaient pas vocation à
rester toujours dans le pays. Elles se contentaient alors d'exploiter
l'ignorance des citoyens burundais et l'inexpérience du jeune appareil
étatique, lui aussi victime d'évasion fiscale et pour cela,
souffrant d'un manque criant de devises.22
Pour pallier ce manque et satisfaire les besoins de la
population en approvisionnement des produits de première
nécessité, l'Etat du Burundi s'est investi dans la
création des sociétés publiques tout en élargissant
son partenariat avec les particuliers. C'est ce processus qui a conduit
à la création des sociétés mixtes.
Dans ce chapitre, nous nous efforcerons d'abord de comprendre
le concept de « société mixte » (section1) avant de
faire une présentation succincte de la SOSUMO (section 2).
Section 1 : Le concept de société
mixte
Les sociétés mixtes ont initialement
été créées pour répondre aux besoins des
personnes publiques. Elles avaient pour but la gestion d'une activité
dévolue par principe à l'administration, autrement dit une
activité de service public ou présentant un caractère
d'intérêt général.23 La forme
sociétaire de ces entités permet à l'administration une
gestion plus souple de ses activités tout en conservant un certain
contrôle sur elles puisque l'Etat est, dans la plupart des cas,
majoritaire.24
Cependant que le concept de « société mixte
» renferme une signification que nous devons expliciter,
les mobiles de sa création méritent aussi d'être
élucidés.
Paragraphe 1 : Définition de la
société mixte
En général, pour promouvoir le commerce, l'Etat
peut s'associer à des privés dans le but de réaliser une
activité d'intérêt général et créer
ainsi une société mixte. Dans le Code Burundais des
Sociétés Privées et à Participation Publique,
celle-ci est définie comme étant « une personne morale
créée par l'Etat, la commune, une ou plusieurs personnes morales
de droit
22 Raphaël NTIBAZONKIZA, Au Royaume des
Seigneurs de la lance, Tome 2, de l'indépendance à nos jours
(1962-1992), Bruxelles, Droit de l'Homme, p.119.
23 Entretien réalisé avec un expert du
Service chargé des entreprises Publiques (SCEP), le 20 décembre
2019.
24 Voir l'annexe I montrant les sociétés
mixtes où l'Etat est actionnaire.
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public avec une ou plusieurs personnes physiques ou
morales de droit privé. Elle est dotée d'un patrimoine propre,
d'une autonomie financière et organique. 25»
En votant le CSP&PP, le législateur burundais a
donné la latitude à l'Etat, à la Commune ou à
d'autres personnes morales de droit public de créer seuls ou en
association une société qui aura pour objet de réaliser
des activités industrielles, commerciales, financières ou
agricoles.
Cependant, le législateur burundais n'a pas
déterminé jusqu'à quelle hauteur de participation les
actionnaires publics devraient aller pour qu'une société soit
qualifiée de mixte. Alors qu'en France par exemple, la participation des
actionnaires autres que les collectivités locales et autres groupements
ne peuvent être inférieurs à 15 % du capital
social.26 Quant à la participation publique, elle est
plafonnée à 85 %.
Ce silence du législateur burundais laisse le choix aux
personnes publiques de se tailler « la part du lion» dans la
constitution des sociétés mixtes jusqu'à être
actionnaires à 99 %.27
A notre avis, le législateur aurait dû
prévoir dans le CSP&PP des dispositions fixant un seuil au-dessous
et au-delà duquel la part de l'Etat et de ses démembrements ne
doit pas aller dans les sociétés mixtes. Or, dans le cas de la
SOSUMO, la participation étatique confirme le choix français : on
reste dans la logique de la majorité dominante de l'Etat.
Cela aurait permis à l'Etat d'impulser une bonne
gouvernance dans le système managérial de ce type de
sociétés, car, actuellement dans les sociétés
où il est largement majoritaire, il possède le monopole de
décision dans les Assemblées générales. Dans une
telle situation il est clair que la contribution des actionnaires minoritaires
privés dans la prise de décision est pratiquement
nulle.28
Mais, pour que l'actionnaire majoritaire qu'est l'Etat ne
puisse pas complètement phagocyter les actionnaires minoritaires, le
législateur burundais a mis en place des contrepoids pour contrebalancer
son éventuel absolutisme. Ceux-ci sont notamment, l'existence des
Commissaires aux Comptes, ainsi que le pouvoir des actionnaires minoritaires
d'enclencher l'alerte en cas de constatation de tout fait pouvant compromettre
le fonctionnement de la société.
25 L'article 501 du CSP&PP.
26 Article Art. L. 1522-2 du Code des
collectivités locales.
27 Dans le capital de la SOSUMO l'Etat est actionnaire
à 99 % d'information voir annexe I.
28 SOFRECO, rapport de l'audit organisationnel de la
SOSUMO, annexe 1, aspects juridiques, août 2018, p.8.
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En outre, les actionnaires minoritaires peuvent conclure un
« pacte d'actionnaires » pour contrecarrer ce pouvoir absolu de
l'actionnaire majoritaire. Ce pacte est défini comme « un contrat
conclu par tous les actionnaires d'une société, ou un certain
nombre d'entre eux, en vue d'organiser leurs relations en dehors des statuts
».
Une fois conclu, le pacte d'actionnaires permet de
préserver les intérêts communs de ces derniers tout en
complétant les règles d'organisation de la société
prévues par les statuts.29
Les actionnaires minoritaires ont donc intérêt
à réduire le pouvoir monopolisant de l'Etat actionnaire
majoritaire, car, ce monopole pourrait avoir des conséquences sur la vie
de la société : les actionnaires seront, dans la plupart des cas,
obligés de s'aligner derrière les décisions de
l'actionnaire majoritaire qui s'est assuré un contrôle très
important sur la société. En effet, accepter de s'associer
à l'Etat majoritaire, signifie pour eux de subir de surcroit la «
dictature de la majorité », qui devrait normalement être
exercée dans le strict respect de l'intérêt social et la
protection des actionnaires minoritaires. Nous y reviendrons dans le chapitre
sur la protection particulière des actionnaires minoritaires.
En outre, le recours à la société mixte
garantit au pouvoir public, à la collectivité locale ou à
toute autre personne publique actionnaire et cocontractante, la prise en compte
effective de l'intérêt général tel que défini
dans les objectifs de l'entreprise et de la souplesse de la
société de droit privé. C'est cette clause qui, par
ailleurs, justifie la création des sociétés mixtes,
création dont le but est la sauvegarde l'intérêt
général.
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