4.2.2. Le carnet de terrain26 :
Le carnet de terrain est l'élément indispensable
de l'enquêteur afin de recueillir les données ainsi que les faits
qu'il observe. Un instrument de ce type nécessite de l'organisation
ainsi que de la rigueur afin de constater la régularité des faits
et des pratiques observés. Ce carnet nous a permis de prendre note de
l'ensemble des réflexions, des comportements du groupe et des personnes
observées mais aussi de l'organisation spatiale d'une manifestation. Il
nous a permis également de noter, par l'intermédiaire de
schémas, le type de personnes présentes lors de manifestations
étudiantes ou bien lycéennes. L'écoute des individus aux
moments d'interactions est importante dans le travail de recherche que nous
avons menée et le recueil sur papier ou par interviews des propos
permettent de ne pas dénaturer le sens ainsi que le contenu
exposé. Plus précisément, l'accès au sens que
donnent les acteurs à leurs actions est primordial afin de comprendre et
d'expliquer au plus juste le phénomène étudié.
C'est en ce sens qu'il est important de retenir l'ensemble du lexique, tels que
les mots ou expressions propres, utilisés par les observés afin
de ne pas perdre la signification des propos. Bien sûr, tout au long de
nos observations nous avons veillé au phénomène
d'ethnocentrisme, pratique de jugement consistant à interpréter
les comportements d'un groupe, d'un individu à partir de nos propres
codes et références culturelles, en prenant en note l'ensemble
des points de vue lors des AG par exemple. Au cours des observations sur le
terrain nous avons également recueillit des tracts qui nous ont
informés sur les objectifs des mobilisations, les revendications ou
encore les auteurs de ces documents.
26 Cf. annexes 3
23
5. Le mouvement brestois de 2007, un mouvement de
contestation
Dans un premier temps il nous a paru nécessaire de
qualifier le mouvement brestois en utilisant les caractéristiques
énoncées lors de la conceptualisation. Nous chercherons à
savoir si le mouvement brestois est un mouvement de contestation social
répondant à une action orientée pour une cause, une action
collective organisée et des interactions d'objectifs permettant la
mobilisation.
5.1. Quels objectifs pour quelles populations
Concernant la population étudiante, nous avons pu
observer que la mobilisation est orientée contre la Loi de
Responsabilité des Universités. Il existait différents
types d'étudiants que nous avons regroupés en trois orientations
distinctes. Tout d'abord, les grévistes/bloqueurs que nous qualifions
« d'irréductibles » c'est-à-dire les plus virulents
mais aussi les plus « politisés » dans le mouvement. Ils ont
comme objectif de participer à la grève mais surtout d'inciter
les autres étudiants à se mobiliser. C'est pour cela que l'on
parle de « bloqueur » car ils sont dans l'idée de bloquer la
fac afin de permettre aux étudiants, bousiers par exemple, de ne pas
suivre les cours et donc de se mobiliser. Comme cela a été le cas
le 15 novembre 2007 lorsque la faculté de Segalen a été
bloqué afin d'empêcher le bon déroulement des cours.
Puis, nous avions les grévistes/non-bloqueurs
participant à la grève mais sans pour autant bloquer la fac. Ils
sont dans un état d'esprit différent que les
grévistes/bloqueur en ce qui concerne la vision ainsi que l'utilisation
du blocage. En effet, au cours des AG, regroupant entre 300 et 400
étudiants, de sérieuses discussions avaient lieu entre les
étudiants de ces deux types autour la logique et la définition
d'un blocage. Les uns basés sur l'idée de l'utilisation du
blocage comme moyen de mobiliser la masse comme outil politique.
Enfin, la cinquantaine d'étudiants orientés vers
des objectifs anti-grévistes/anti-bloqueurs, manifestant sur les marches
de la faculté de Segalen un matin de bonne heure et qui contestent les
grèves et les blocages.
Dès lors, nous avons dans la même population des
étudiants souhaitant manifester en bloquant, d'autres souhaitent
manifester mais sans blocage enfin ceux qui manifestent pour ne
24
pas avoir de manifestation. Il est impossible de restreindre
les étudiants manifestant à de simples grévistes car
chaque type de mobilisation à sa propre logique.
La population étudiante oriente sa mobilisation contre
la LRU par une collaboration entre acteurs, la grève étant la
pratique permettant de montrer un désaccord. Chaque groupe
d'étudiant respecte une logique de fonctionnement qui lui est propre. Ce
qui nous amène à l'idée qu'il puisse y avoir
émergence de communautés éphémère,
c'est-à-dire des communitas, qui défendent leur
idée par un mouvement de contestation.
Concernant la population lycéenne, il existe trois
types distincts de manifestants. Les grévistes anti-LRU sont des
lycéens se mobilisant aux mêmes moments que les étudiants
contre la Loi de Responsabilités des Universités. Nous avons pu
noter au cours des observations que ce type de lycéens regroupe des
jeunes issus de lycées généralistes tels que le
lycée de l'Harteloire ou bien Kérichen dit « classique
». Ces lycéens avaient un comportement proche de celui des
étudiants, à savoir qu'ils avaient une certaine retenu face aux
forces de l'ordre, qu'ils n'étaient pas organisés mais qu'ils
suivaient plutôt l'organisation étudiante.
Les grévistes anti Darcos quant à eux se sont
mobilisés dès l'annonce de la note du ministre de l'Education
Nationale. Ils manifestent contre cette note et nous avons constaté que
les lycéens qui s'inscrivent dans cet objectif sont scolarisés
dans des lycées plus techniques tels que le lycée Vauban ainsi
que le lycée Dupuis de Lôme. Enfin les grévistes «
casseurs » qui sont des lycéens cherchant la confrontation avec les
forces de l'ordre plus que la volonté de revendiquer des convictions.
Donc, la population lycéenne oriente sa mobilisation
contre la LRU ainsi que contre la note Darcos. Au même titre que les
étudiants, il s'agit d'une action collective de contestation.
Le mouvement se termina mi décembre par des
affrontements dans un quartier brestois. Il permet de mettre en avant le fait
l'émergence d'une population de jeunes brestois qui s'oriente vers deux
objectifs : les grévistes-lycéens/« casseurs » et les
non-
25
lycéens/« casseurs » 27. Comme
nous le montre l'article de journal du Ouest France du 7 décembre 2007 :
« la manifestation lycéenne dégénère à
Brest ».
Ce que nous pouvons affirmer, en ce qui concerne les
populations étudiantes et lycéennes, c'est qu'il existe une
mobilisation orientée en faveur d'une cause. Cependant, une population
ne répond pas obligatoirement à une seule orientation. En effet,
il existe deux grandes orientations, l'une contre la LRU et l'autre contre la
note Darcos et permet d'affirmer également le caractère
contestataire du mouvement car l'ensemble des actions sont orientées
contre un adversaire : l'Etat. Il semble que des communautés se soient
créées autour d'objectifs communs suite à des interactions
entre populations. Enfin, il est important de noter que la pratique de la
grève est utilisée pour marquer le désaccord avec l'Etat
dans notre cas mais subit un changement au moment du glissement du mouvement
vers les lycéens car les affrontements qui n'existaient pas avec les
étudiants émergent avec les lycéens.
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