La déperdition scolaire dans la commune de Garoua-Boula௠(Est-Cameroun): 1977-2019par Bienvenu BELNDANGA GARBA Université de Ngaoundéré - Master 2 2020 |
II-LE RÔLE DE L'ÉTATPour lutter efficacement contre la déperdition scolaire au Cameroun en général et dans la commune de Garoua-Boulaï en particulier, le gouvernement doit jouer les rôlesci-après : 1-Le recrutement massif des enseignants Le recrutement105(*) est une démarche d'adaptation entre les besoins et l'offre. C'est un processus par lequel on attire et sélectionne des candidats potentiels à un poste de travail au sein d'une entreprise ou d'une organisation. Affecter une personne sur un poste sous-entend théoriquement une adéquation entre le profil du poste et les compétences de la personne qui va l'occuper. Par rapport à la gestion des ressources humaines dans le secteur éducatif, le recrutement joue un rôle clé : Il s'agit de planifier en amont le recrutement d'enseignants en nombre suffisant et de qualité afin qu'à chaque rentrée scolaire tous les établissements du primaire et du secondaire soient dotés du nombre de personnels qualifiés correspondant à ses besoins pour accomplir efficacement sa mission. Le Marasme économique (1996-2005), la crise économique des années 90 a affecté la politique des personnels enseignants au Cameroun par : - Le gel des recrutements dans la Fonction Publique, provoquant ; - Le déficit accru des personnels enseignants, provoquant ; - La recherche de solutions de rechange au niveau des pouvoirs publics. L'avènement des Instituteurs Vacataires avec ou sans formation initiale recrutés avec un mandat de deux ans renouvelable une fois et rémunérés sur des fonds propres de l'État ou sur les fonds PPTE. Cette période de morosité économique a néanmoins été marquée par deux vagues de recrutements de 1700 enseignants chacune en 2003 et en 2005. Les candidats avaient en commun d'être des enseignants justifiant d'une formation initiale. Au niveau de la communauté éducative, les forces vives se sont organisées partout pour ne pas voir mourir l'école dans au niveau de la communauté éducative : leur localité. Des solutions endogènes ont été mises en place pour pallier le déficit sans cesse accru en enseignants. D'où l'avènement de différentes catégories d'enseignants à désigner par leur rattachement à leur employeur. - Les Maîtres des Parents (recrutés et rémunérés par les Associations de Parents d'Élèves) ; - Les Maîtres Communaux (recrutés et rémunérés par les communes) ; - Les Maîtres des Entreprises Agro-industrielles ; - Les Maîtres de la Défense (recrutés et rémunérés par le budget du Ministère de la Défense pour les écoles des casernements militaires ; - Les Maîtres bénévoles formés ou non formés. Il s'agit de personnes ayant regagné leur village au moment de la crise économique et s'étant mis bénévolement au service de l'école.Avec une telle diversité d'enseignants, de types d'enseignants, et dans un contexte de relâchement de l'encadrement pédagogique, faute de moyens et la qualité de l'éducation ne pouvait que souffrir de cette situation. En 2003 par exemple on trouvait des classes ayant un effectif de 140 à 200 élèves pour un enseignant. Le déficit en personnel se chiffrait à 30.000106(*). En matière de recrutement des enseignants de l'éducation de base, le Cameroun malgré des épisodes difficiles - dispose d'un important vivier d'enseignants qualifiés qui l'autorise à ne recruter que des enseignants formés. Par contre c'est au niveau du recyclage que se situe le problème du Cameroun : celui d'assurer un recyclage des personnels formés ayant perdu pour diverses raisons la pratique du métier, sans oublier la formation continuée nécessaire de tous les enseignants. Les recueillisauprès de madame le proviseur du lycée classique de Garoua-Boulaï lors de notre entretien sont un bon plaidoyer pour le recrutement des enseignants. Il déclare : Pour résoudre le problème de manque criard des instituteurs au Cameroun, la meilleure solution serait le recrutement de cinquante 50 000 instituteurs formés. Et il faudrait que le gouvernement lance le concours d'ENIEG uniquement aux bacheliers ou aux licenciés. En ce qui concerne le cas du secondaire, l'Etat doit recruter seulement les candidats ayant la licence et le master 2par voie du concours d'école normale supérieure(ENS)107(*). Donc selon cette dernière, pour résoudre le problème de baisse de niveau des élèves au Cameroun, le concours d'ENIEG doit êtreréservé uniquement aux bacheliers ou licenciés ; au niveau du secondaire, la licence et le master sont requis pour postuler au poste de Professeur des Lycées d'Enseignement Général(PLEG) dans les différentes Écoles Normales Supérieures(ENS). 2-La suppression des frais des APEE et l'urgence d'une réelle gratuité de l'enseignement primaire § Plaidoyer pour la suppression des frais des APEE Ce n'est un secret pour personne que l'éducation de base en général et en particulier la gouvernance des fonds y relatifs souffre de tous les maux, avec des conséquences directes sur l'accès à l'enseignement primaire. L'accès à l'enseignement primaire fondamental gratuit et de qualité est devenu une vue de l'esprit et un idéal difficile à atteindre pour la plupart des camerounais qui en ont pourtant besoin. En fait, loin d'être un simple besoin, c'est d'abord et avant tout un droit.Le droit à l'éducation est un véritable droit fondamental de l'homme108(*), car nous sommes convaincus qu'une mauvaise éducation participe à la construction d'un mauvais citoyen et donc d'une mauvaise citoyenneté. Or, une bonne éducation suppose un financement adéquat du système éducatif et l'efficience de ces financements n'est possible qu'en présence d'une bonne gouvernance des fonds mobilisés. Ce droit est d'ailleurs protégé par plusieurs instruments juridiques internationaux auxquels le Cameroun est Etat-partie. De la DéclarationUniverselle des Droits de l'Homme à la Charte Africaine des Droits et du bienêtre de l'enfant, en passant par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention internationale sur les droits de l'enfant, le Cameroun s'est engagé à protéger et à garantir non seulement le droit à l'éducation mais aussi et surtout à s'engager à « fournir un enseignementprimaire gratuit et obligatoire » aux enfants camerounais. Par ailleurs, conformément aux provisions constitutionnelles, le Cameroun s'est effectivement lancé dans la décentralisation, avec en prime le transfert de compétences et de ressources des services centraux aux collectivités territoriales décentralisées. Le secteur de l'éducation de base est parmi les domaines entièrement transférés aux communes. Les communes qui normalement devraient être plus proches des populations et plus aptes à répondre plus efficacement à leurs besoins. Dans la même veine, le Cameroun s'est formellement engagé dans cette voie à travers l'affirmation solennelle de la gratuité de l'enseignement primaire par le Chef de l'Etat, lors de son traditionnel discours à la Nation du 10 février 2000 ; cet engagement politique s'est d'ailleurs concrétisé avec la signature quelque temps après du décret le matérialisant.Il est donc incompréhensible que plus d'une décennie après, les réalités et pratiques sur le terrain soient tout simplement contraires à l'esprit et à la lettre dudit texte.Il convient de rappeler que dans le cadre de ce projet, une étude préalable sur l'état de lieux des fonds scolaires a été menée ; ses résultats attestent de la nécessité et de l'urgence d'agir. Cette étude commande l'Action en faveur de l'amélioration quantitative et qualitative de la participation/implication des citoyens/parents dans les politiques publiques relatives à l'éducation de base. Cette participation/implication des parents est d'ailleurs consacrée dans la politique de l'éducation au Cameroun. Elle se fait actuellement à travers les Associations de Parents d'Élèves d'abord et Associations de Parents d'Élèves et Enseignants ensuite. Cette institutionnalisation de l'implication des parents d'élèves dans le système éducatif a été saluée et encouragée par la société civile.Au regard des spécificités des maux liés à l'enseignement primaire au Cameroun, force est de constater que l'option de la gratuité109(*) choisie par l'Etat était une décision judicieuse. En effet, bien plus qu'un simple arrimage à des agendas internationaux, cette décision était indispensable et urgente. Les données sur l'éducation primaire au Cameroun montrent, que «ce secteur est caractérisé par un accès à l'école primaire sans disparités sociales prononcées. Mais après l'accès à l'école, si les disparités selon le genre continuent de rester modérées, ce n'est pas le cas de celles selon le milieu de résidence et selon le niveau de richesse des parents qui s'avèrent relativement importantes dans l'ensemble des autres instances qui structurent les flux scolaires ; et cela vaut pour la rétention en cours de primaire.» Le rapport produit par laBanque Mondiale (2014) sur la question révèle : · Les disparités au niveaurégional Les comparaisons entre régions montrent qu'en 2011 le taux d'achèvement des études primaires dans les Zones d'Education Prioritaire (malgré l'attention accrue accordée) allait de 46 % (dans l'Extrême-Nord) à 81 % (à l'Est), contre plus de 94 % dans chacune des autres régions du pays. Or ces ZEP sont aussi les régions les plus pauvres du pays. · Les inégalitéssociales S'agissant des résultats scolaires, les différences entre catégories de revenus sont davantage marquées. Alors que la quasi-totalité (97 %) des élèves appartenant au groupe des 20 % des ménages les plus riches achève le cycle primaire, seuls 40 % du quintile le plus pauvre de la population y parviennent ; · La pauvreté en tant que principal facteur d'abandon de l'école Dans certaines zones rurales reculées du pays, on compte un seul enseignant pour 150 élèves ou plus. Aussi, dans les zones défavorisées, il n'existe pratiquement pas de manuels dans les salles de classe ou un seul manuel est disponible pour 50 ou 100 élèves. Ainsi, les parents des enfants des écoles primaires doivent prendre en main de nombreuses charges. Ce coût élevé de la scolarisation dans le primaire empêche de nombreuses familles d'envoyer leurs enfants à l'école et/ou de les maintenir. Selon la dernière enquête sur l'emploi et le secteur informel, le manque de moyens financiers est 48,6% (principale cause) responsable de non fréquentation et d'abandon scolaire. Il apparaît de toute évidence que si rien n'est fait, l'enseignement primaire au Cameroun risque de devenir progressivement un mécanisme d'exclusion et notamment des couches défavorisées.L'effectivité de la gratuité de l'enseignement primaire demeure de ce fait un impératif.L'Etat gagnerait alors à mieux encadrer cette gratuité et les citoyens à se l'approprier.En fin de compte, l'enseignement primaire au Cameroun connaît des difficultés spécifiques.La résolution de ces derniers interpelle les différents acteurs de la communauté éducative dans leurs missions respectives. Cependant, face aux discours institutionnels inadéquats à leurs réalités, lesAPEE peinent à se réapproprier du système éducatif au niveau local. Sans cadre juridico légal adéquat pour leur participation dans les écoles, elles restent incapables de remplir leurs missions qu'elles ignorent d'ailleurs. Ceci laisse place à toutes sortes d'abus dans leur fonctionnement. Elles restent de ce fait incapables de contribuer à une amélioration de l'accès à l'enseignement et la qualité de l'éducation dans le champ de l'enseignement primaire ; et ce malgré la décentralisation qui privilégie une démocratie participative au niveau local. Toutes choses qui concourent à des frustrations et démotivations chez les parents, entraînant leur distanciation de l'école avec son lot de conséquences pour le système éducatif. C'est fort de tout ce qui précède qu'il est proposé d'initier des réformes, en vue d'améliorer le système éducatif de base au Cameroun. Ladite réforme peut avoir de nombreuses approches et notamment celle de l'approche par acteurs. 3-La multiplication des emplois au Cameroun et l'interdiction de vente et de consommation des drogues La multiplication des emplois et l'interdiction de vente et de consommation des drogues sont des solutions très importantes de lutte contre la déperdition scolaire au Cameroun. Lors de nos investigations, sur les 302 personnes interrogées, 150 personnes affirment la multiplication des emplois et l'interdiction de vente de drogues au Cameroun seraient une solution à ce phénomène. Les propos recueillisauprèsd'une élève de la classe de 5ème au Lycée bilingue de Garoua-Boulaï, est très important cet égard. Cette dernière affirme : « une meilleure façonde redonner le goût de l'école aux élèves selon moi serait sans doute la création des nouveaux emplois. Cette mesure luttera contre la pauvreté et le chômage des jeunes diplômés »110(*). En ce qui concerne, la délinquance juvénile, une meilleure façon d'en empêcher cette pratique est l'interdiction de vente et de consommation des drogues par le gouvernement. Telles ne sont les seules solutions à la déperdition scolaire observée dans la commune de Garoua-Boulaï. Venons-en au rôle des élèves dans ce sillage. Bref, pour lutter contre la déperdition scolaire, la principale solution consiste à recourir au service civique. Ainsi, les jeunes pourront se revaloriser en réalisant des missions d'intérêt général. Le service civique encourage également des jeunes à se fixer un objectif qui les pousseront à se former. Du reste, la prévention, reste la meilleure solution. Pour ce faire, il est primordial de réviser les programmes scolaires et les systèmes de notation des élèves111(*). * 105B. Tournier & G. Gottelmann-Duret, 2015,« recrutement et formation des enseignants :questions et options», p.14. * 106B. Tournier & G. Gottelmann-Duret, 2015,p.18. * 107Entretien avec Y.L. Aissatou. Épse Yoko, proviseur, Garoua-Boulaï, 11/08/2020. * 108Edition spéciale. Plaidoyer Droit à l'éducation, «Plaidoyer pour réforme de l'APEE et effectivité de la gratuité», pp.12-13. * 109Edition spéciale. Plaidoyer Droit à l'éducation, «Plaidoyer pour réforme de l'APEE et effectivité de la gratuité», pp. 14, 15. * 110Entretien avec Asta Falatia, Garoua-Boulaï 12 septembre 2020. * 111L'abandon scolaire : causes et conséquences, https://www.didac-mip.fr/causes-et-conséquences/labandon-scolaire-causes-et-consequences, consulté le 25 octobre 2020. |
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