Paragraphe 2 : L'effet de la détention
préventive
Décider de priver un individu de sa liberté dans
le cadre d'une procédure judiciaire est une mesure grave. Au-delà
des motifs que peut avancer la jurisprudence pour légitimer le recours
au placement en détention préventive, il est indéniable
que le prévenu se retrouve dans une condition singulière
comparativement à l'accusé demeuré en liberté. La
doctrine s'est abondamment intéressée à la question de
savoir quelle est la répercussion du placement en détention
préventive sur la suite de la procédure (A). De nombreuses
études effectuées en ces sens, ont apporté la preuve d'une
différence de traitement entre le prévenu et l'accusé en
liberté, notamment lors du procès. A ces
122 Il a été arrêté le 12 octobre
2011 et a été relâché le 15 octobre 2019
après intervention du directeur de l'administration pénitentiaire
qui a eu connaissance de son cas lors d'une visite au cabanon
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études, il faut ajouter celles qui ont fait état
de l'effet destructeur de l'incarcération avant jugement sur le
prévenu (B).
A. Les effets sur la suite de la procédure
Le placement en détention préventive peut avoir
des incidences sur la suite de la procédure pénale jusqu'au
procès. De nombreux chercheurs ont sonné l'alarme en
révélant le lien étroit qui peut exister entre le
placement en détention préventive et la décision finale
à l'issu d'un procès. En recoupant différentes
études réalisées sur la question, la sociologue canadienne
Marie-Luce Garceau, a relevé le fait suivant : au Canada les
personnes qui font l'objet d'une mise en liberté provisoire ont des
issues plus favorables à leur procès que celles détenues
préventivement au moment du procès123. Une
étude similaire a été réalisée en France par
le statisticien Guillaume Vaney. À partir des chiffres du
ministère de la justice, le statisticien a recensé les peines
prononcées dans leur ensemble, puis les a comparés en fonction du
fait que la condamnation fait suite soit à une comparution
immédiate courte, soit à une détention préventive
courte ou longue, ou encore à une absence de détention
préventive. Il a pu observer que les personnes ayant fait de la
détention préventive sont le plus souvent condamnées
à des peines d'emprisonnement fermes. Il a également
relevé une relative sévérité de la peine lorsque la
détention préventive a été longue124.
Selon une étude de Marie-Marthe COUSINEAU « le
fait pour un prévenu de se présenter devant un juge risque fort
de lui être préjudiciable »125. Selon les
données de ses recherches, au Canada près de 62% des
accusés libres seraient reconnus coupable à l'issu de leur
procès ; tandis que le pourcentage se chiffrerait à près
de 86,2% pour les accusés détenus au moment de leur jugement.
Cela s'expliquerait par le fait que la détention avant jugement parait
inconsciemment comme un premier jugement où le suspect aurait
été reconnu coupable puisse qu'on ne doit normalement recourir
au
123 M. L. GARCEAU, « La détention provisoire au
Québec : une pratique judiciaire courante », in Criminologie,
1990, p. 19
124 G. VANEY, La détention provisoire des personnes
jugées en 2014, Ministère de la justice, 2016, note 346, p.
4
125 M-M COUSINEAU, « Détention provisoire au
Québec : éléments de connaissance et propositions de
réflexions », in Criminologie, Tome 2, 1995 , pp.15 et
suivants
37
placement en détention préventive qu'en dernier
recours. Les jurés partiraient alors sur la base erronée que
l'accusé placé en détention préventive serait
vraisemblablement « une mauvaise personne », sinon elle
aurait bénéficié d'une remise en liberté provisoire
avant le jugement. Le verdict de culpabilité serait donc plus facile
à émettre. Il faut ajouter à ce qui précède
ce que le doyen Carbonnier a appelé « le facies carceraria
», autrement dit un changement d'apparence physique,
conséquence des conditions de la détention. Cette apparence
antipathique influerait négativement sur la perception que peuvent avoir
les jurés sur l'innocence du prévenu.
Le placement en détention préventive porte
également atteinte aux droits de la défense. Le prévenu a
plus de difficultés pour préparer efficacement sa défense.
C'est le constat que fait le doyen Carbonnier, pour qui « il est
certain que l'inculpé détenu est placé, pour
l'organisation de sa défense, dans des conditions matérielles et
morales beaucoup plus défavorables que l'inculpé
libre126 ». Il a pu être observé que dans la
majorité des cas, les accusés détenus ont des
difficultés pour trouver un avocat, entrer en contact avec lui et
préparer efficacement leur défense. En droit positif togolais,
les avocats commis d'office ont très souvent connaissance du dossier peu
de temps avant le procès. Autant de facteurs qui préjudicieraient
l'efficacité de la défense du prévenu comparativement
à l'accusé demeuré libre. Autre fait marquant, le choc de
l'incarcération est tel que certains prévenus sont incités
à plaider coupable dans l'espoir que « le cauchemar s'arrête
». Au Canada où la procédure de comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité est appliquée,
certains auteurs ont relevé que « l'incitatif à plaider
coupable est d'autant plus grand lorsque l'infraction pour laquelle la personne
est détenue préventivement est une infraction mineure car la
période de détention provisoire peut souvent être plus
longue que celle qui aurait été imposée si elle avait
été trouvée coupable de l'infraction : donc si elle plaide
coupable, elle pourra être libérée
sur-le-champ127 ». Cette observation indique que le
placement en détention préventive a également un impact
sur le psychisme du prévenu.
126 D. TERRE, « Jean Carbonnier et la procédure
pénale », in L'année sociologique, 2007, Vol. 57,
p. 463
127 M-E. SYLVESTRE, C. BELLOT et N. BLOMLEY, « Une peine
avant jugement ? La mise en liberté provisoire et la réforme du
droit pénal canadien », in Réformer le droit criminel au
Canada : défis et possibilités, Ed. Yvons Blais, 2017, p.
219.
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