B. L'insensibilité au temps des délais de la
détention préventive
Le code de procédure pénale prévoit des
délais au-delà desquels la détention avant jugement perd
sa légalité. Le premier alinéa de l'article 113 CPPT
énonce que l'inculpé domicilié au Togo ne peut être
détenu plus de dix jours après sa première comparution
devant le juge d'instruction, lorsque le maximum de la peine prévue par
la loi est inférieur à deux ans d'emprisonnement. Le second
alinéa prévoit que le prévenu est mis en liberté
d'office lorsque la durée de la détention préventive
atteint la moitié du maximum de la peine encourue.
Précisément, ces deux alinéas méritent une analyse
approfondie. Il est évident que le premier alinéa prescrit une
détention préventive brève en cas de commission
d'infractions de faible gravité. Il doit en être ainsi pour toute
personne domiciliée au Togo et qui est poursuivie par exemple pour abus
frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse116 ;
violences volontaires légères117, blessures
involontaires118, acte de discrimination en matière d'emploi
et de profession119, etc. Le
114 En effet, la retranscription du procès dans cette
affaire a montré que toutes les preuves du dossier de l'accusation
avaient été recueillies avant le 1er juin 1988 et qu'aucune autre
enquête n'avait été menée après cette date.
Toutefois, le procès n'avait commencé qu'à partir du 6
octobre 1989.
115 « Tout individu arrêté ou
détenu du chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus
court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée
par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être
jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La
détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas
être de règle »
116 Punie d'une peine d'emprisonnement de six (06) mois à
deux (02), art 194 et suivants NCPT
117 Punie d'une peine d'emprisonnement de six (06) mois à
deux (02), art 226 NCPT
118 Punie d'une peine d'emprisonnement de six (06) mois à
deux (02), art 243 NCPT
119 Punie d'une peine d'emprisonnement de six (06) mois à
deux (02), art 308 NCPT
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second alinéa est le plus inquiétant. En effet,
il dispose « La mise en liberté est également de droit
lorsque la durée de la détention préventive atteint la
moitié du maximum de la peine encourue et que l'inculpé est
délinquant primaire ». Sur la première condition tenant
à un délai de la détention préventive correspondant
au maximum de la peine encourue, il faut distinguer selon que l'infraction
reprochée au prévenu est qualifiée de crime ou
délit. En droit positif togolais, un prévenu poursuivi pour une
infraction délictuelle, encourt au maximum cinq ans d'emprisonnement.
Conformément à l'article 113.b, la mise en liberté de
droit lui est acquise au terme d'une détention préventive de deux
ans et six mois (30 mois). Ce délai est long et ses conséquences
sont énormes pour les libertés individuelles. Il faut remarquer
que ce délai légal (30 mois) se rapproche largement de celui
incriminé par le comité des droits de l'homme dans l'affaire
« Boodoo c. Trinité-et-Tobago » (33mois) pour
violation du droit à être jugé dans un délai
raisonnable. L'atteinte à la liberté individuelle est
exacerbée lorsque le prévenu est poursuivi pour une infraction
criminelle. Après la révision du code pénal et son
adoption en novembre 2015, le maximum de la réclusion criminelle est
passé à cinquante ans. Le durcissement de la sanction se justifie
par la gravité des infractions reprochées120. Un
accusé encourt donc une peine maximale de cinquante ans s'il est
poursuivi pour « complicité d'assassinat » par exemple.
Conformément à l'alinéa b de l'article 113, il ne devrait
être éligible à la mise en liberté de droit
qu'après vingt-cinq ans de détention. C'est insensé.
Heureusement, une atténuation est apportée en matière
criminelle par l'article 7 du code de procédure pénale. Au terme
dudit article, l'action publique se prescrit si l'infraction n'a pas
été déférée à la juridiction de
jugement par citation ou ordonnance de renvoi dans un délai de
« dix ans en matière de crime ». Ce délai est
prolongé d'un an si l'instruction ouverte avant expiration du
délai n'est pas achevée. Cette disposition ramène le
quantum requis pour la mise en liberté de droit en matière
criminelle à onze ans, ce qui demeure n'en demeure pas moins insensible
au temps.
Par devers les délais légaux longs, bien que
proscrites par la constitution en son article 13121, les
détentions arbitraires sont courantes en pratique. Le droit positif
togolais ne répond pas clairement à la question de savoir quand
est-ce qu'une détention devient
120 Entre autres, torture, génocide, etc.
121 Art 13, al 2 de la constitution togolaise : « Nul ne
peut être arbitrairement privé de sa liberté »
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arbitraire ? Trois critères ont étés
dégagés par le groupe de travail sur la détention
arbitraire créé en 1991 par la commission des droits de l'Homme
des nations Unies. D'abord, s'il est manifestement impossible d'invoquer un
fondement juridique quelconque qui justifie la privation de liberté.
Ensuite, si la privation de liberté résulte de l'exercice par
l'intéressé des droits ou des libertés proclamés
dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et, pour autant
que les États concernés soient partis au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Enfin, si l'inobservation, totale ou
partielle, des normes internationales relatives au droit à un
procès équitable, énoncées dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les instruments
internationaux pertinents acceptés par les États
concernés, est d'une gravité telle que la privation de
liberté prend un caractère arbitraire.
Les détentions arbitraires sont courantes. À la
prison civile de Lomé, un prévenu accusé de
complicité de vol aggravé a été
incarcéré pendant 08 ans pour enfin être
libéré pour défaut de dossier. Son dossier était
introuvable122. Violenté lors de l'enquête
préliminaire, ce dernier a été hospitalisé pendant
presque toute la durée de sa détention. À la brigade pour
mineurs de Lomé en général, les mineurs poursuivis pour
délit de droit commun sont le plus souvent victime de détention
arbitraire. En effet, l'article 323 alinéa 2 du code de l'enfant dispose
que « la durée du placement provisoire ne peut excéder
trois (03) mois pour les délits... ». Ce délai n'est
pas très souvent respecté en pratique.
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