Paragraphe 1 : La violation du droit à une
détention brève
Le philosophe BECCARIA affirmait que «
L'emprisonnement est donc uniquement le moyen de s'assurer du citoyen
jusqu'à ce qu'il soit jugé coupable, et cette mesure étant
essentiellement pénible doit durer le moins de temps possible et
être le moins rigoureux qu'il se peut »105. Il est
fondamental que la détention préventive soit utile et
brève. En pratique, les délais ne sont pas respectés. La
lenteur judiciaire en est une cause. Dans un premier temps, la notion de
détention préventive sera abordée (A) et dans un second
temps, il sera développé l'insensibilité au temps des
délais de la détention préventive (B).
A. La notion de droit à une détention
brève
En droit positif togolais, le droit de toute personne
d'être jugée dans un délai raisonnable est un droit
constitutionnel, prévu au premier alinéa de l'article 19 qui
proclame : « Toute personne a droit en toute matière à
ce que sa cause soit entendue et tranchée équitablement dans un
délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale
». L'intention du législateur est d'éviter de garder
des personnes en incarcération préventive dans un état
d'incertitude et de façon prolongée. Comme le
105 C. BECCARIA, Des délits et des peines,
ibidem, p. 33
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clame une maxime célèbre dont l'origine remonte
à la Magna Carta106 « Justice delayed is justice
denied107 ».
Le droit d'être jugé dans un délai
raisonnable est une composante du droit à un procès
équitable. Elle ne vise pas seulement la protection du prévenu.
L'on peut lui trouver trois bienfaits. La première est dans
l'intérêt de la victime, afin de lui faire droit et de permettre
une réparation de son préjudice (par la sanction de l'auteur et
le paiement éventuels des dommages et intérêts). La seconde
est dans l'intérêt de la justice, en faveur d'une bonne
administration de la justice pour ce qui concerne la collecte des preuves par
exemple108. La troisième est encore dans
l'intérêt de la politique criminelle, en ce qui concerne la
sanction du prévenu. Très souvent, lorsque la peine est
infligée longtemps après la commission de l'acte, le
condamné peut peiner à faire le lien entre la sanction et le
comportement incriminé. La société peut elle aussi peiner
à « comprendre, surtout s'il a été remis en
liberté provisoire, comment il se fait qu'il peut jouir d'une longue
période de liberté sans avoir eu à subir de procès
»109. Sur ce dernier point, la conséquence peut
être une suspicion de corruption ou de collaboration mafieuse entre les
juges et le mis en cause. Ceci contribue à une perte de confiance des
justiciable en la justice.
Certaines considérations pertinentes peuvent toutefois
justifier un retard dans le traitement d'une affaire. Le comité des
droits de l'Homme et la cour européenne des droits de l'Homme en dresse
une liste non exhaustive. Le retard peut s'expliquer par la complexité
des questions juridiques déterminées110, la nature des
faits à établir111, le nombre de personnes
accusées ou des parties dans les procédures civiles et de
témoins apportant des preuves112, ou être le
résultat de toute procédure d'appel113.
106 La grande charte en Angleterre en 1215
107 Justice différée est justice refusée
108 Par exemple, la qualité des témoignages peut
être dégradée après un trop long temps
écoulé depuis la commission de l'infraction
109 M. GIROUX et E. O'SULLIVAN, procédure
pénale, Ed. Yvon Blais, 1999, p. 76
110 Deisl c. Autriche, Comité des droits de l'homme
(HRC), Communication 1060/2002, UN Doc CCPR/ C/81/D/1060/2002 (2004), par.
11.2-11.6
111 Triggiani c. Italie [1991] CEDH 20, par. 17 (partie
« En droit »)
112 Angelucci c. Italie [1991] CEDH 6, par. 15 (partie
« En droit »)
113 Deisl c. Autriche, Comité des droits de
l'homme (HRC), ibidem
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Le délai raisonnable est appréciable à
compter du moment à partir duquel une personne est arrêtée
jusqu'à ce que le jugement soit rendu et que tous les appels ou les
révisions applicables soient effectués. Certains critères
jurisprudentiels peuvent être cités pour évaluer le
caractère raisonnable de la durée de la détention avant
jugement. Le Comité des droits de l'homme a considéré dans
l'affaire « Teesdale c. Trinité-et-Tobago » qu'il y
avait une violation au droit d'être jugé dans un délai
raisonnable114. Dans une autre affaire, « Boodoo c.
Trinité-et-Tobago », le Comité a également
conclu que la période de 33 mois entre l'arrestation et le procès
sur une accusation de vol simple, constituait un délai injustifié
et ne pouvait pas être considérée comme compatible avec les
dispositions de l'article 9.3 PIDCP115. Le droit à un
procès rapide est plus important dans le contexte où
l'accusé est privé de sa liberté.
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