B. Les effets sur le présumé innocent
La détention préventive peut avoir des
conséquences désastreuses sur le présumé innocent.
Il se retrouve au croisé des tensions : la première est externe
et la seconde interne. En ce qui concerne les effets de la détention
préventive au niveau externe, l'on peut relever en premier lieu le
stigmate attaché à l'incarcération. L'incarcération
est perçue dans nos sociétés africaines comme une
humiliation publique. Du fait de son caractère humiliant et
dégradant, il ne peut être infligé qu'aux pires des
criminels. Ainsi, loin d'être présumé innocent par la
société, l'incarcération d'une personne avant jugement
peut être perçue comme une preuve de culpabilité. Le
déshonneur et l'humiliation sociale qui en découle persiste
même après la libération du suspect. Cette confusion dans
la perception des populations est compréhensible lorsque l'on
considère la similitude des conditions dans lesquelles sont
incarcérées les prévenus et les condamnés. En
effet, au Togo, il n'y a pas de maison d'arrêt pour accueillir uniquement
les prévenus. Ils sont donc incarcérés dans des prisons
pour peines, ensemble avec les personnes condamnées. Le lien familial
est largement entamé par cette rupture brutale avec le prévenu.
Ce dernier perd très souvent, l'appui inestimable de sa famille au fur
et à mesure que la procédure perdure. Sa santé mentale en
est affectée. En effet, « Le stress, l'angoisse, les frais
d'avocats, les réactions de la famille, la perte d'amis, le sort
réservé aux enfants dans la cour d'école, sont tous des
facteurs qui font que, lorsqu'on est accusé d'un crime, notre vie n'est
plus la même »128. Pour permettre au détenu
de conserver le contact avec le monde extérieur, les règles
Nelson Mandela garantissent à l'article 58.1.a : le droit de recevoir
des visites. Force est de constater que dans les prisons civiles du Togo, les
visites aux détenus sont payantes129 sauf s'il s'agit des
avocats. Il faut alors que les proches du détenu payent le droit de
pouvoir rencontrer le présumé innocent incarcéré.
Cette pratique est attentatoire aux droits et libertés fondamentales des
personnes incarcérées conformément à l'article
58.1.a des règles Nelson Mandela. Ce « passe payant »
contribue à la dégradation du lien entre les détenus et la
société, notamment avec leurs familles.
128 M. GIROUX et E. O'SULLIVAN, procédure
pénale, ibidem, p. 77
129 Les frais de visites sont fixés à 200 FCFA par
l'administration pénitentiaire
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« Si la privation de liberté impose au
condamné une gêne parfois très sensible, elle
présente pour sa réadaptation sociale des difficultés
certaines 130». Cette condition est également
celles des prévenus en droit positif togolais. L'incarcération
plonge le prévenu dans un monde inimaginable131. Il y est
exposé à des risques importants pour sa sécurité
physique et psychique. La surpopulation est le premier facteur à la base
des violences commises dans les prisons. Le risque sécuritaire est
constant pour le prévenu. Il ne peut pas seulement compter sur la
sécurité qu'offre l'administration pénitentiaire puisque
derrière les portes de chaque prison, les détenus ont leur propre
organisation sécuritaire. Cette organisation défavorise «
les faibles 132». Les violations sont légions, pourtant
rares sont les dénonciations133. En ce sens, les efforts
entamés par l'administration pénitentiaire et les organisations
de protection des droits de l'Homme doivent être renforcés afin
d'éviter que la prison ne soit un milieu de non-droit.
Le choc de la détention préventive est surtout
au niveau du psychique. Nul ne peut contester l'impact irréversible que
l'incarcération a sur la vie d'un individu. Plus encore, la
détention préventive peut engendrer une multitude de sentiments
allant de la frustration à un sentiment de colère et d'injustice
au fil du temps jusqu'à une volonté de suicide parfois.
Après une longue détention, il a pu être observé un
trouble du comportement chez certains ex détenus, allant de la
paranoïa, à la schizophrénie et à la
folie134. Les longues incarcérations coupent le
prévenu de sa vie et finissent par lui faire perdre tout optimisme en
l'avenir étant persuadé qu'il a échoué sa vie.
À terme, le détenu qui « n'espèrent plus rien en
dehors de la prison135 » est plus susceptible de sombrer
à nouveau dans les voies de la délinquance. La perte de
repères sociaux et affectifs peut se traduire par un renfermement sur
soi et une dégradation physique du détenu. Plus la
détention préventive va durer et plus le prévenu risque de
perdre son emploi ou de son
130 B. BOULDOC, Pénologie, Ed. Dalloz, 1991, p.
27
131 Dans le sens péjoratif
132 Ceux qui n'ont pas de moyens financiers, ceux qui ne sont pas
physiquement fort, etc.
133 Selon les informations reçues à l'issues des
échanges avec les détenues, il règle une certaine loi du
silence que tous les détenus respectent au risque de subir des
représailles de la part de leurs codétenus
134 À titre illustratif, un jeune prévenu mis en
liberté provisoire après plus de quatre ans de détention
préventive passé à la prison civile de Lomé dans
une affaire de meurtre, présente des troubles psychiques avancés.
Il est physiquement en bonne santé mais il lui arrive de perdre sa
lucidité par moment. La prison a des effets dévastateurs sur les
individus. Le recours à la détention préventive doit
être solennel.
135 C'est véritablement la pensée de certains
détenus rencontrés au cours des actions d'assistance juridique du
CACIT à la prison civile de Lomé. La plupart d'entre eux sont
condamnés à de longues peines et ont un faible niveau
d'éducation scolaire
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activité génératrice de revenus,
d'être expulsé de son logement, de manquer de moyens financiers,
de vendre des biens pour payer son avocat par exemple, etc. Au-delà du
prévenu, c'est sa famille qui est également sanctionnée
par l'incarcération. L'incarcération est vécue par
plusieurs détenus comme un bannissement, un oubli de la
société. Autant de souffrances qui sont vécus par un
individu frappé dans son innocence par un mandat de dépôt
avant jugement.
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