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La protection du droit à la liberté à l'épreuve de la détention préventive en droit positif togolais


par P. Roger KPAKOU
Université de Parakou - Master en droit pénal et sciences criminelles 2020
  

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B. Les effets sur le présumé innocent

La détention préventive peut avoir des conséquences désastreuses sur le présumé innocent. Il se retrouve au croisé des tensions : la première est externe et la seconde interne. En ce qui concerne les effets de la détention préventive au niveau externe, l'on peut relever en premier lieu le stigmate attaché à l'incarcération. L'incarcération est perçue dans nos sociétés africaines comme une humiliation publique. Du fait de son caractère humiliant et dégradant, il ne peut être infligé qu'aux pires des criminels. Ainsi, loin d'être présumé innocent par la société, l'incarcération d'une personne avant jugement peut être perçue comme une preuve de culpabilité. Le déshonneur et l'humiliation sociale qui en découle persiste même après la libération du suspect. Cette confusion dans la perception des populations est compréhensible lorsque l'on considère la similitude des conditions dans lesquelles sont incarcérées les prévenus et les condamnés. En effet, au Togo, il n'y a pas de maison d'arrêt pour accueillir uniquement les prévenus. Ils sont donc incarcérés dans des prisons pour peines, ensemble avec les personnes condamnées. Le lien familial est largement entamé par cette rupture brutale avec le prévenu. Ce dernier perd très souvent, l'appui inestimable de sa famille au fur et à mesure que la procédure perdure. Sa santé mentale en est affectée. En effet, « Le stress, l'angoisse, les frais d'avocats, les réactions de la famille, la perte d'amis, le sort réservé aux enfants dans la cour d'école, sont tous des facteurs qui font que, lorsqu'on est accusé d'un crime, notre vie n'est plus la même »128. Pour permettre au détenu de conserver le contact avec le monde extérieur, les règles Nelson Mandela garantissent à l'article 58.1.a : le droit de recevoir des visites. Force est de constater que dans les prisons civiles du Togo, les visites aux détenus sont payantes129 sauf s'il s'agit des avocats. Il faut alors que les proches du détenu payent le droit de pouvoir rencontrer le présumé innocent incarcéré. Cette pratique est attentatoire aux droits et libertés fondamentales des personnes incarcérées conformément à l'article 58.1.a des règles Nelson Mandela. Ce « passe payant » contribue à la dégradation du lien entre les détenus et la société, notamment avec leurs familles.

128 M. GIROUX et E. O'SULLIVAN, procédure pénale, ibidem, p. 77

129 Les frais de visites sont fixés à 200 FCFA par l'administration pénitentiaire

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« Si la privation de liberté impose au condamné une gêne parfois très sensible, elle présente pour sa réadaptation sociale des difficultés certaines 130». Cette condition est également celles des prévenus en droit positif togolais. L'incarcération plonge le prévenu dans un monde inimaginable131. Il y est exposé à des risques importants pour sa sécurité physique et psychique. La surpopulation est le premier facteur à la base des violences commises dans les prisons. Le risque sécuritaire est constant pour le prévenu. Il ne peut pas seulement compter sur la sécurité qu'offre l'administration pénitentiaire puisque derrière les portes de chaque prison, les détenus ont leur propre organisation sécuritaire. Cette organisation défavorise « les faibles 132». Les violations sont légions, pourtant rares sont les dénonciations133. En ce sens, les efforts entamés par l'administration pénitentiaire et les organisations de protection des droits de l'Homme doivent être renforcés afin d'éviter que la prison ne soit un milieu de non-droit.

Le choc de la détention préventive est surtout au niveau du psychique. Nul ne peut contester l'impact irréversible que l'incarcération a sur la vie d'un individu. Plus encore, la détention préventive peut engendrer une multitude de sentiments allant de la frustration à un sentiment de colère et d'injustice au fil du temps jusqu'à une volonté de suicide parfois. Après une longue détention, il a pu être observé un trouble du comportement chez certains ex détenus, allant de la paranoïa, à la schizophrénie et à la folie134. Les longues incarcérations coupent le prévenu de sa vie et finissent par lui faire perdre tout optimisme en l'avenir étant persuadé qu'il a échoué sa vie. À terme, le détenu qui « n'espèrent plus rien en dehors de la prison135 » est plus susceptible de sombrer à nouveau dans les voies de la délinquance. La perte de repères sociaux et affectifs peut se traduire par un renfermement sur soi et une dégradation physique du détenu. Plus la détention préventive va durer et plus le prévenu risque de perdre son emploi ou de son

130 B. BOULDOC, Pénologie, Ed. Dalloz, 1991, p. 27

131 Dans le sens péjoratif

132 Ceux qui n'ont pas de moyens financiers, ceux qui ne sont pas physiquement fort, etc.

133 Selon les informations reçues à l'issues des échanges avec les détenues, il règle une certaine loi du silence que tous les détenus respectent au risque de subir des représailles de la part de leurs codétenus

134 À titre illustratif, un jeune prévenu mis en liberté provisoire après plus de quatre ans de détention préventive passé à la prison civile de Lomé dans une affaire de meurtre, présente des troubles psychiques avancés. Il est physiquement en bonne santé mais il lui arrive de perdre sa lucidité par moment. La prison a des effets dévastateurs sur les individus. Le recours à la détention préventive doit être solennel.

135 C'est véritablement la pensée de certains détenus rencontrés au cours des actions d'assistance juridique du CACIT à la prison civile de Lomé. La plupart d'entre eux sont condamnés à de longues peines et ont un faible niveau d'éducation scolaire

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activité génératrice de revenus, d'être expulsé de son logement, de manquer de moyens financiers, de vendre des biens pour payer son avocat par exemple, etc. Au-delà du prévenu, c'est sa famille qui est également sanctionnée par l'incarcération. L'incarcération est vécue par plusieurs détenus comme un bannissement, un oubli de la société. Autant de souffrances qui sont vécus par un individu frappé dans son innocence par un mandat de dépôt avant jugement.

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