SECTION 2 : Des conditions de détention
contraires à la dignité humaine
La surpopulation carcérale est la réalité
la mieux partagé dans les prisons au Togo en l'état actuel. Elle
induit des conditions de détention désastreuses. Les 13 prisons
civiles du Togo sont presque toutes au bord de l'implosion avec des taux de
surpopulation qui culminent à 609%136. L'article 16 de la
constitution togolaise prescrit en son premier alinéa « Tout
prévenu ou détenu doit bénéficier d'un traitement
qui préserve sa dignité, sa santé physique et mentale et
qui aide à sa réinsertion sociale. ». Le constat en
pratique est que peu de moyens sont disponibles pour le bon traitement des
prévenus et des détenus. Il faut déjà relever
l'absence d'une loi portant organisation du régime
pénitentiaire137. La gestion des lieux de détention en
est également affectée. Dans cette section, il sera abordé
le caractère attentatoire de la surpopulation carcérale sur les
droits fondamentaux (paragraphe 1) et l'insuffisance de la prise en charge dans
les prisons (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La surpopulation carcérale
attentatoire aux droits fondamentaux
La situation des prévenus dans les prisons civiles au
Togo est alarmante. Ils ne bénéficient pas d'un traitement
préférentiel ou d'une séparation catégorielle. Ils
sont détenus dans des prisons pour peine, ensemble avec les
condamnés. La surpopulation carcérale engendre des risques
importants. La promiscuité et l'absence d'une séparation
catégorielle entre les détenus produit des effets contraires aux
objectifs poursuivis par la politique criminelle. Pour cerner la condition des
prévenus face à la surpopulation
136 Statistique de la prison civile de Tsévié en
Janvier 2020, DAPR
137 L'arrêté du 1er Septembre 1933 organisant le
fonctionnement des centres de détention au Togo a été
abrogé en 1992 sans être remplacé. L'avant-projet de la loi
déposé en 2010 n'a pas encore été adopté
41
carcérale, il convient d'aborder dans un premier temps
l'absence d'une séparation catégorielle entre prévenus et
condamnés (A) et dans un second temps les conséquences
inéluctables de la promiscuité (B).
A. L'absence d'une séparation catégorielle
entre prévenus et condamnés
La règle 11 des règles minima Nelson Mandela
distingue quatre niveaux de séparation obligatoires dans les lieux de
privation de liberté. La première est la séparation entre
les hommes et les femmes en détention. En effet, les femmes
détenues doivent être gardées dans des aires
différentes de celles des hommes et leur surveillance doit
également être assurée par des gardes du genre
féminin. Il en va de leur sécurité physique et du respect
de leur intimité. Dans les prisons civiles du Togo, cette
séparation est respectée en général, même si
les gardiens ne sont pas toujours du genre féminin138.
Également, les fouilles sur les femmes sont effectuées par des
gardes du genre féminin.
Le second niveau de séparation est celui entre les
prévenus et les condamnés. Pour peu que l'on s'en soucie, il
relève du bon sens que les personnes non jugées soient
incarcérées dans des aires différentes de celles
réservées aux personnes reconnues coupable d'avoir commis une
infraction. Ces deux catégories de détenus ne devraient pas
être gardées ni dans les mêmes établissements
pénitentiaires, ni subirent les mêmes restrictions139
au cours de l'incarcération. En droit positif togolais, cette
séparation n'est pas respectée. Il faut déjà
remarquer l'absence de « maisons d'arrêt » dans le
parc des infrastructures pénitentiaires au Togo. Les maisons
d'arrêts sont des établissements où sont uniquement
incarcérés les prévenus. Elles sont différentes des
« prisons pour peines » qui elles sont affectées
à la purge d'une peine de condamnation. Le Togo dispose uniquement de
prisons pour peine à ce jour. La séparation en l'état
actuel revient à garder les prévenus et les condamnés dans
des quartiers différents. À la question de savoir si la
séparation les prévenus et les condamnés est
respectée au sein des prisons
138 Exemple de la prison civile de Lomé où les
geôliers sont des hommes
139 En droit positif togolais, le droit de vote des
prévenus n'est pas mis en oeuvre par exemple
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civiles du Togo, la plupart des acteurs de la chaine
pénale rencontrés140 ont tendance à
répondre par l'affirmative. Toutefois, la finesse leur recommande de
conditionner cette réponse par une subtile locution : « si les
conditions le permettent ». Il y a là une volonté
manifeste de mettre en oeuvre les principes et règles dictant la
séparation catégorielle entre prévenus et condamnés
dans les lieux de détention. Toutefois, l'application de cette
séparation reste tributaire de la capacité d'accueil des
structures pénitentiaires. Il faut rappeler que la grande surpopulation
des 13 prisons civiles du Togo ne permet pas toujours la réalisation de
cet impératif. Néanmoins, la nouvelle prison civile de
Kpalimé inaugurée le 21 septembre 2016 respecte la
séparation entre prévenus et condamnés. Quelle est donc la
portée du statut de présumé innocent si en pratique la
détention préventive est similaire à une peine
d'emprisonnement ? Ce sont toutes ces considérations qui amènent
les spécialistes en la matière à se demander si la
détention préventive n'est pas une exécution
anticipée de la peine. En effet, le temps passé en
détention préventive est pris en compte dans l'exécution
de la peine d'emprisonnement. Ceci pourrait laisser penser que la
détention préventive est une peine anticipée. En ce sens,
le député et ancien ministre français Patrick Devedjan
relevait le 3 avril 1998, lors d'une séance à l'Assemblée
nationale portant sur la proposition de loi n° 577/98 tendant à
réformer la détention provisoire que « la meilleure
preuve que la détention provisoire est une pré condamnation est
qu'elle est décomptée au temps de la peine
»141. En droit positif togolais c'est l'article
496142 du code de procédure pénale qui prévoit
l'imputation de la durée de la détention préventive sur la
peine à subir.
Le troisième niveau de séparation prescrit par
la règle 11 des règles minima Nelson Mandela concerne «
Les condamnés à la prison pour dettes ou à une autre
peine civile » et les « détenus pour infraction
pénale ». Ces aménagements interviennent au cours de
l'exécution de la peine. Elles sont donc étrangères aux
prévenus. Le quatrième niveau de séparation concerne les
jeunes détenus et les adultes. Au Togo, il n'existe qu'une
140 Au cours de notre enquête réalisée au
tribunal de première instance de Lomé, à la prison civile
de Lomé, à la brigade pour mineurs de Lomé et à la
direction de l'administration pénitentiaire
141 V. PINEL, La détention provisoire et son impact sur
les droits des justiciables, UNIVERSITÉ DE LAVAL, Canada, 2019, p.62
142 Art 496 du code de procédure pénale togolais
« Quand il y aura eu détention préventive, la
durée de celle-ci s'imputera sur la peine à subir à moins
que le juge n'ait ordonné par une disposition spéciale que cette
imputation n'aura pas lieu ou qu'elle n'aura lieu que pour partie.
»
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seule structure spécialement dédiée
à l'accueil des mineurs en conflit avec la loi. Il s'agit de la brigade
pour mineurs de Lomé. Elle est compétente pour recevoir les
mineurs arrêtés, gardés à vue ou
déférés par les juridictions de Lomé et de
Tsévié143. Les 11 autres prisons civiles du Togo
(hormis la prison civile de Lomé et celle de Tsévié)
disposent d'un quartier pour mineurs où sont gardés distinctement
les mineurs en conflit avec la loi. Il faut préciser qu'à la
prison civile de Tsévié, les mineurs sont détenus dans les
mêmes cellules que les adultes. La principale raison de cette violation
des textes est la surpopulation carcérale.
B. Les conséquences inéluctables de la
promiscuité
La surpopulation carcérale a pris des proportions
alarmantes depuis des années au Togo. La prison civile de Lomé
qui a une capacité d'accueil de 666 personnes comptait près de
1049 détenus à la date du 31 janvier 2020 et 1105 détenus
à la date du 19 mars 2020 soit un taux de surpopulation de près
de 293%. La surpopulation carcérale atteint son extrême à
la prison civile de Tsévié qui est la prison la plus
surpeuplée au Togo. Construite pour accueillir 56 personnes, l'effectif
des détenus à la prison civile de Lomé était de 341
en janvier 2020, soit un taux de surpopulation de 609%144. Les
cellules sont occupées en moyenne par plus de cinquante détenus
alors qu'elles sont prévues pour une quinzaine de personnes. Du fait de
l'encombrement des cellules, une forte chaleur est
présente145. En 2014, le SPT a visité certaines
prisons au Togo (prison civile de Lomé, Notsè,
Tsévié). Il a observé que les détenus disposaient
d'un espace de 0.30m2 d'espace maximum pour dormir146.
Dans ces circonstances nombres d'entre eux sont obligés de rester debout
ou assis pendant toute la nuit et ne peuvent donc dormir.
La contamination criminelle peut être définie
comme un processus de transmission de l'identité criminelle et
d'apologie de la délinquance observable lorsque des personnes
condamnées pour des peines mineures sont incarcérées
pendant un temps plus ou moins
143 Avec la pandémie de la COVID-19, des mineurs
détenus y ont été transférés depuis mars
2020, en provenance des prisons civiles de Vogan, Notsè et
Aného
144 Selon les statistiques de la DAPR en Janvier 2020
145 Atteignant plus de 40 °C dans certains cas (Voir
Rapport du SPT, Visite au Togo menée du 1er au 10 décembre
2014 : observations et recommandations adressées à l'État
partie, par. 22, p. 6)
146 Observation de l'expert et rapporteur du CAT Claude HELLER
ROUASSANT lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019
44
long, avec des personnes condamnées pour des crimes
graves. De nombreux criminologues s'entendent d'ailleurs pour affirmer que la
prison est une « école du crime ». En 1975, le philosophe
français Michel Foucault publie un essai qui aura de l'influence :
« Surveiller et punir. Naissance de la prison ». Il y
relève que les critiques formulées depuis longtemps contre le
système carcéral sont toujours d'actualité. En effet, la
prison ne diminue pas la criminalité, elle constitue plutôt
l'école du crime et fabrique même indirectement des
délinquants en appauvrissant la famille du détenu147.
Lors d'une visite de monitoring à la prison civile de Lomé le 13
février 2020, un débat participatif a été
animé avec les détenus membres du « club
sentinelle148 » créé par le CACIT. Ces derniers
ont été invités à se prononcer sur la question de
savoir si la prison était une bonne ou une mauvaise école selon
leur expérience. Les avis étaient partagés. Certains
soutenaient que la prison était une bonne école. Selon
ceux-là, la prison leur avait permis de prendre conscience de leur
état d'ignorance face à la loi pénale et de la
nécessité de la prudence dans les affaires quotidiennes. La
majorité des autres personnes ont soutenu par contre que la prison
était une mauvaise école. Selon ces derniers, le comportement de
certains détenus s'empire après leur
incarcération149. Ils ont affirmé qu'au sein des
prisons, la violence est le langage privilégié. Il faut paraitre
dangereux et être violent pour mériter le respect et avoir de la
quiétude selon eux. En effet, l'incarcération peut renforcer le
parcours criminel et socialiser le détenu avec des cercles
criminogènes. Alexis de Tocqueville écrivait en ce sens «
On sait qu'une des sources les plus fécondes de corruption parmi les
détenus est la conversation qu'ils ont entre eux. Elle n'a jamais
d'autre objet que le récit des crimes passés, ou le projet de
nouveaux attentats. C'est dans ces entretiens que la théorie du crime
est professée hautement, dans une sorte d'enseignement mutuel où,
le crime étant le seul titre aux suffrages de tous, chacun fait valoir
ses forfaits et se dispute les honneurs de l'infamie150 ».
Il est à craindre que la promiscuité ait perverti la mission
assignée à la prison, lui enlevant sa fonction dissuasive. La
prison serait « criminogène » en raison de l'absence de
séparation catégorielle entre détenus, du fort taux de
surpopulation et des
147 M-C. LAVOIE, « Un aperçu des alternatives
à l'incarcération », in Alter justice, p. 6
148 Club juridique des détenus à la prison
civile de Lomé créé le CACIT pour sensibiliser les
détenus sur leurs droits et les former à soumettre des
requêtes
149 Rapport de visite à la prison civile de Lomé,
12 février 2020, CACIT, p. 2
150 A. Tocqueville, Écrits sur le système
pénitentiaire en France et à l'étranger, Tome IV,
Gallimard 1984, p. 58
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mauvaises conditions de détention. La situation des
prévenus est doublement inquiétante. Plongés dans ce monde
inimaginable malgré l'absence d'une preuve certaine de leur
culpabilité, ils apprennent malgré eux à y survivre. Au
minimum, cet état de fait est ressenti comme une « injustice »
par tous ceux qui ont le fatal privilège d'être
incarcéré dans le cadre d'une procédure pénale
avant jugement. Ce qui contribue à cristalliser la crise de confiance
entre le système judiciaire et les citoyens151.
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