A. La persistance de l'ignorance de la loi
Le préambule de la déclaration des droits de
l'Homme et du citoyen de 1789 énonce clairement que «
...l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les
seules causes des malheurs publics et de la corruption des
Gouvernements... ». L'Histoire du monde a révélé
que tout malheur public260 est nécessairement
précédé par l'ignorance, l'oubli ou le mépris des
lois. Rappelons que la loi est censée régir les rapports sociaux
et assurer le bien-être collectif. Pour y parvenir, elle devrait
être connue, comprise, acceptée et respectée de tous. Nul
n'est donc censé l'ignorer261. Cependant, la
difficulté pratique reste que tous les individus ne connaissent pas
forcément toute la loi. L'ignorance de la loi est un obstacle
réel au respect des droits de l'Homme et de la loi en
général. Certaines personnes se retrouvent en conflit avec la loi
par pure ignorance du caractère délictuel des actes posés.
Il en est ainsi de certaines pratiques coutumières persistantes dans le
« Togo profond262 » et qui constituent des infractions au
code pénal. C'est l'exemple de l'excision263, de
l'infanticide264, du phénomène des enfants
sorciers265 (pratique assimilable au délaissement d'une
personne hors d'état de se protéger266), de
l'inceste267, etc. L'ignorance de la loi n'est pas une preuve
d'innocence. Néanmoins, cette réalité devrait renseigner
l'opinion sur la nécessité de mener des actions adaptées
afin de vulgariser, de faire comprendre et de rappeler constamment les textes
de loi. Lors du passage du Togo devant le CAT en juillet 2019, l'expert et
rapporteur Claude Heller ROUASSANT avait souligné la
nécessité de
260 Insécurité, violation des droits de l'Homme,
etc.
261 Traduction de la formule latine « nemo censetur
ignorare legem »
262 Dans les milieux reculés
263L'excision constitue une infraction
délictuelle en droit positif togolais. Il est puni « d'une
peine de cinq (05) à dix (10) ans de réclusion criminelle et
d'une amende de cinq millions (5.000.000) à vingt-cinq millions
(25.000.000) de francs CFA ou de l'une de ces deux peines. » (Art 220
NCPT)
264 Souvent les enfants dits « sorciers » sont victimes
d'infanticide dans le Nord-Togo
265 Dans le Nord-Togo, de nombreux enfants « dits
sorciers » sont chassés de leurs localités sous
prétexte qu'ils seraient porteurs de pouvoirs magiques pour faire du mal
à autrui. Certains d'entre eux sont souvent
récupérés par de prétendus maîtres exorcistes
qui les exploitent dans l'agriculture. D'autres migrent vers Lomé
où ils deviennent des enfants en situation de rue. Ces enfants sont
victimes de violences inouïes et souffrent de l'exclusion.
266 Art186, al 1 « Toute personne qui délaisse, en
un lieu quelconque, une autre personne qui n'est pas en mesure de se
protéger en raison de son âge ou de son état physique ou
psychique est punie d'une peine d'emprisonnement de six (06) mois à deux
(02) ans et d'une amende de cinq cent mille (500.000) à deux millions
(2.000.000) de francs CFA ou de l'une de ces deux peines.
267 Puni à l'art 223 du code pénal
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renforcer la connaissance des individus sur les textes de loi,
spécifiquement pour renforcer la prévention de la torture. Ce
besoin est d'ordre général.
L'ignorance de la loi par les individus est un obstacle
à la réalisation de la protection légale de leur droit
à la liberté mis à l'épreuve par la
détention préventive. L'existence de cas de détention
arbitraire est parfois la conséquence de l'ignorance des textes des
droits de la défense. Certains prévenus ignorent
complètement quels sont les délais légaux de la
détention préventive. D'autres encore ignorent quelles sont les
voies de recours que la loi leur offre pour protéger leur droit à
la liberté avant le jugement. C'est l'exemple du droit de tout
prévenu de demander à rencontrer le juge d'instruction en charge
de son dossier lorsqu'un temps plus ou moins s'écoule sans que le
prévenu n'ait été appelé par ce dernier. Cette
demande est effectuée par la rédaction et le dépôt
d'une lettre de demande d'audience au cabinet du juge d'instruction en charge
du dossier. Dans ce cas d'espèce, la difficulté peut provenir de
la mise en oeuvre des droits de la défense. C'est le cas pour tout
prévenu qui ne sait ni lire, ni écrire. L'accès au droit
en général est limité par le taux encore
élevé d'analphabétisme au Togo. Selon le MICS 2011,
l'analphabétisme touche environ 43,3 % de jeunes et d'adultes de 15
à 44 ans au Togo. Les textes de loi sont usuellement publiés au
journal officiel en français, ce qui est peu en phase avec la
réalité ethnique au Togo. Il se pose une question d'appropriation
des textes de loi. Il est donc difficile pour la plupart des prévenus de
mettre en oeuvre les voies de recours dont ils disposent pour recouvrir la
liberté dans les délais. Pour éviter
l'irrecevabilité des requêtes pour cause de forclusion, la
doctrine propose en matière administrative, que le juge recourt à
une « interprétation validante268 » ou
à une certaine « mansuétude269 »
des requêtes. Il est en réalité question de «
réduire les fins de non-recevoir270 ».
268 R. ROUQUETTE, Petit traité du procès
administratif, D., 4ème éd., 2010, n° 322-21
269 C. GABOLDE, Procédure des Tribunaux
administratifs et des Cours administratives d'appel, Dalloz, 6ème
éd., 1997, p. 135.
270 R. ODENT, « Le destin des fins de non-recevoir »,
in Mélanges offerts à Marcel Waline, LGDJ, 1974, p.
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