Les techniques de pêche et de conservation des
ressources halieutiques propres à chacune des communautés de
pêcheurs présentent dès le départ pour ses
praticiens, des atouts et des limites comme nous l'avons relevé dans les
deux précédents chapitres. Ces remarques portées sur les
techniques propres à chaque communauté de pêcheurs ouvrent
la voie à une potentielle intégration dans l'arsenal existant,
des savoir-faire actualisés ou nouveaux à même de combler
les défaillances constatées. Dans ce sillage, les acteurs de
pêche dans une situation de cohabitation et de contact permanent,
observent et portent des jugements sur la diversité des techniques
existantes dans leur milieu de vie, jugements qui expriment leur degré
d'intéressement ou non aux différents savoirs. Dans cet
élan, les Batanga et Mabi sans toutefois totalement remettre en cause
les qualités reconnues aux techniques endogènes, estiment que les
connaissances en matière de capture des pêcheurs ouest africaines
notamment celles des ressortissants Béninois sont d'une
efficacité sans pareille. Ces derniers en veulent pour preuve la
capacité et la rapidité par lesquelles les pêcheurs ouest
africains capturent et transforment les produits de pêche. De leur
côté par contre, les pêcheurs béninois et
nigérians jugent les techniques employées par les acteurs locaux
de `'techniques en dessous de la moyenne», c'est-à-dire des
savoir-faire «inefficaces» selon leurs expressions. En croisant ces
perceptions mutuelles,
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l'on peut aisément comprendre pourquoi entre ces
communautés de pêcheurs, une disparité se fait ressentir au
niveau de l'intégration à sens unique des nouvelles connaissances
dans leurs pratiques de pêche. A ce sujet, nous pouvons nous
référer au tableau de synthèse ci-dessous.
Tableau 8: Récapitulatif des techniques
phares de capture et de conservation du poisson et les communautés qui
en font usage.
A titre illustratif, la pêche au `'tirez-tirez»,
la pêche à la canne, la pêche à la ligne, la
pêche à la palangre pour ce qui relève du domaine de
pêche, l'emploi des fûts, des fumoirs en piquets (petites
dimensions) pour le fumage, tous relevant du savoir-faire local en constituent
une preuve patente. Par contre les savoir-faire introduits à l'instar du
mode de pêche de trois jours, la technique d'emprisonnement ou
d'encerclement, la technique d'écoute ou de sondage, les fumoirs en
piquets de grande dimension, la congélation, le fumage
amélioré, l'emploi des nouvelles sources substitution au bois
etc...se propagent plus rapidement au sein de tous les groupes en
présence.
En toute connaissance de cause, d'autres dimensions relatives
à la spécificité des techniques de pêche entrent en
compte dans le processus d'adoption des nouvelles compétences.
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Bien que la technologie dans le domaine de la pêche
possède une grande souplesse et une facilité remarquable à
assimiler les nouveautés les plus originales et à les
intégrer à la panoplie traditionnelle (BABA, M., 1985:31), il est
indéniable de reconnaître qu'au delà des qualités
intrinsèques d'une nouvelle technologie, sa force d'imposition se trouve
aussi dans sa capacité à susciter l'adhésion de nombreux
alliés dans un contexte précis. Dans notre situation
d'étude, font partie de ce groupe d'adhérents: les principaux
acteurs de pêche identifiés. Ainsi, dans un environnement
où prévalent la carence ainsi que la concurrence pour
l'accès aux ressources, l'efficacité d'une technique peu importe
son origine constitue une condition stimulante des différents acteurs
qui les adoptent. Au niveau des captures, l'océan principal milieu de
collecte des ressources halieutiques pour les populations est un espace de
liberté ; pour cela, le seul moyen pour les pêcheurs de tirer le
maximum de profit, reste l'acquisition et l'emploi d'un ensemble de savoir
adapté à cet écosystème.
A ce sujet, CHLOUS D. (2005:56) citant DUFOUR A. (1997),
estime qu'étant un: «Bien public, l'espace maritime est, en
effet, inaliénable. Il ne peut être possédé en
propre par un individu ou une collectivité. Si possession il y a, elle
est technique et cognitive et se fonde non sur l'espace lui-même mais sur
un capital de gestes, de savoirs, de mémoire...», dont doivent
disposer les différents groupes de personnes qui fréquentent et
vivent au dépend des ressources qui s'y trouvent. Ces connaissances
construites et/ou acquises, donnent aux acteurs de pêche une assurance et
une autorité sur leur environnement ainsi que les ressources dont il
contient. A juste titre, CHLOUS D. (2005:56) à propos des savoirs des
pêcheurs d'ormeaux, pense que: «Les savoirs participent à
la construction de la légitimité de ces acteurs, ils sont une
forme d'appropriation symbolique du territoire». Dans cette optique,
au sein des communautés de pêcheurs de Nziou et de Londji I, la
technique qui s'impose qu'elle soit au niveau de la pêche ou de la
conservation du poisson, est celle qui apporte dans une certaine mesure du
nouveau dans le quotidien des populations, qui de manière pratique vient
contribuer à l'épanouissement de ces dernières en
réduisant les contraintes inhérentes à leurs
activités.
En d'autres termes, les techniques de capture qui suscitent
l'engouement des populations offrent à ces dernières plusieurs
opportunités. Ainsi, elles peuvent permettre d'alourdir les cargaisons
au cours des opérations de pêche; tandis que la congélation
favorise une disponibilité permanente des produits frais et donne la
possibilité d'effectuer la pêche de longues durées, pendant
que les techniques de transformation améliorée du poisson
augmentent les possibilités d'un séchage rapide et harmonieux des
produits. D'une manière sommaire, la maîtrise des technologies
`'fortes» et `'enviées» en matière de capture par les
acteurs de pêche, favorise aux côtés des habiletés
acquises par expérience, des connaissances individuelles ou de groupe,
«la
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sûreté du geste, la rapidité de la
décision, l'élimination des temps morts» (DELBOS, G. et
JORION, P., 1990:33). L'ensemble de ces éléments constituent dans
une moindre mesure des sources de motivation en vue d'adopter des savoir-faire
actualisés.