Dans les sociétés traditionnelles africaines,
l'un des fondements majeurs de la durabilité des ressources repose sur
les croyances surnaturelles portées sur les entités divines
toutes puissantes et garantes de leur subsistance. Il est de ce fait
indéniable de reconnaître avec DEBOUVRY P. (1998:46) repris par
FOUKOU G. (2003:97) qu'en Afrique, l'environnement naturel fait partie de la
cosmogonie traditionnelle et devrait être géré comme tel.
Terre- ciel- eau, divinités majeures ou éléments
sacralisés, sont peuplés de génies bons ou malfaisants,
intermédiaires entre les divinités et les hommes. Ils leur
dictent comportements, principes et interdits. Dans ce sillage et pour revenir
aux pêcheries de Nziou et de Londji I, les ressources halieutiques
appartiennent aux divinités, aux «dieux de la mer»
reconnus sous la désignation de «déesses de
mer» ou «mami water» envers qui les rites ont
été initiés depuis les temps anciens , afin de
régler les situations de désharmonie entre les vivants et le
monde divin, de solliciter leur soutien dans les circonstances d'incertitude.
En effet, «pour mener à bien et à terme leur projet de
vivre, satisfaire leurs besoins primaires, basiques, organiques, fondamentaux,
secondaires et sociaux, les hommes exercent leur intelligence sur
l'environnement naturel dans lequel ils
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vivent; ils inventent des pratiques, des
institutions[...]» MBONJI E.(2009:9-10). Dans ce sillage, STRAUSS L.
(1964: 343) estime à juste titre que: «Les rites apparaissent
comme un »para-langage» [...] les rites offrent à l'homme, le
moyen, soit de modifier une situation pratique, soit de désigner et de
la décrire». Dans les villages Nziou et Londji I, ceux vers
qui sont orientés les sacrifices ont les possibilités d'agir
positivement ou négativement sur la disponibilité du poisson
ainsi que sur la sécurité des hommes dans la mer. Seulement, pour
atteindre cette fin, l'exploitation judicieuse des ressources doit
s`opérer par l'adoption par les populations de pêcheurs, des
attitudes qui respectent l'éthique liée à l'environnement
marin. C'est en ce sens qu'en parlant des modalités d'exploitation
paisible des espaces communs partagés entre les êtres visibles et
invisibles (à l'instar de la mer), PAGEZY affirme que: «la
gestion n'est pas seulement un problème purement pratique, elle est
surtout une question philosophique... ce qui importe c'est d'éviter une
gestion athée, une gestion qui ne vise que le profit privé, qui
aborde le géré comme la propriété de
Personne» PAGEZY H. (1996 :457) citant SINGLETON M. (1982: 84). A
travers nos différents échanges avec les populations, il ressort
que ces diverses dispositions bien appliquées constituaient par le
passé une sorte de garantie quant à la disponibilité des
ressources halieutiques pour les populations locales.
Seulement, les pêcheurs dans leur immense
majorité estiment que l'efficacité d'antan n'est plus de mise.
Les rites sont pratiqués avec peu de résultats probants à
la fin. En même temps, la carence du poisson s'intensifie. Les causes
d'une telle situation sont imputables selon nos informateurs à l'esprit
d'égoïsme qui anime certains pêcheurs ainsi qu'au recours aux
forces magiques afin de maximiser les chances de capture au cours des
opérations de pêche. Toutes des attitudes contraires aux normes
éthiques recommandées par les «dieux de
l'eau». A juste titre, un de nos informateurs du village Londji I
estime en effet que:
Ce rite perd de sa valeur parce que les gens ne
respectent pas toujours les règles. Lorsqu'on demande aux gens de ne pas
aller en mer, pendant une période, ils partent toujours .Ils ne peuvent
pas supporter tous ces jours sans aller en mer. Ils partent avec leurs
saletés. Ce qui fâche les dieux de l'eau .Quand cela arrive, Ils
[les dieux de l'eau] se demandent si on est venu les tenter en faisant
le rite. C'est pourquoi ils n'envoient pas le poisson. Si on le fait
aujourd'hui et bien, et que les gens respectent les règles, il y aura
beaucoup de poissons, le poisson viendra retrouver les gens sur la plage. Mais
si les choses continuent comme elles sont, il n'y aura rien de bien
(NGOUNDI LUC, Mabi, Londji I, Le 12-01-2011).
A la question de savoir pourquoi certaines connaissances et
pratiques ancestrales en rapport avec la pêche sont de moins en moins
valorisées, les parents estiment que les jeunes sont devenus craintifs
de la tradition, ceci sous l'effet des nouvelles églises et mais aussi
de la modernité ambiante caractérisée par une
montée en puissance des actions individuelles. Ces
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derniers, dont le rôle dans le suivi des rites à
travers la surveillance des eaux afin qu'elles ne soient violées par des
inconnus mal intentionnés, sont de nos jours devenus les complices des
personnes qui s'y rendent s'ils n'en font pas partie de ces équipes. Le
souci principal de ces derniers comme tout citoyen dans une situation de crise,
consiste désormais à défendre de prime à bord leurs
intérêts personnels avant d'explorer dans quelle mesure le bien
être collectif peut être pris en compte.
Le travail au niveau du cercle familial n'est plus toujours
la chose la mieux partagée par les différents membres qui le
composent. En effet, les jeunes ont la possibilité de travailler en
toute indépendance en occupant une fonction dans la nouvelle
configuration (pêcheur principal, pêcheur assistant, de
chargeur...) auprès des propriétaires des matériels de
pêche implantés dans leur zone de résidence. Ceci
réduit les possibilités d'encadrement parental permanent et
conduit à une situation de méfiance entre les
générations qui sur le plan de la transmission des valeurs
culturelles n'est pas sans conséquence. C'est ainsi que les populations
observent une disparition progressive des maîtres desdites
cérémonies.
Toujours dans la rubrique des causes, un doigt accusateur est
porté sur les autorités traditionnelles censées conduire
en toute honnêteté les cérémonies. Ces
dernières se livrent quelquefois à des opérations
d'escroquerie de la population au détriment d'une réelle
communication avec le monde des ancêtres. En effet, bon nombre
d'informateurs estiment que des contributions financières ont
été exigées aux populations depuis environ dix mois et que
malheureusement, rien n'a été fait de manière
régulière dans le sens d'assurer ces dernières. En
pareille situation d'incertitude, pour répondre aux besoins de
subsistance, la voie du salut la plus recommandée reste pour bon nombre
de pêcheurs, l'adoption des «techniques de pointes» et toutes
les connaissances dont chaque acteur estime à même de lui
permettre de mieux capitaliser ses efforts pendant le temps consacré
à la pêche et /ou au fumage de poisson.