Chapitre I :
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE ET DROIT DE
L'INFORMATION : DEUX NOTIONS OPPOSEES.
« Le libéralisme, c'est d'abord la non
ingérence de l'Etat dans la vie privée, le respect d'une
sphère individuelle où chacun obéit à sa propre
conscience »1.
Cependant, l'Etat n'est pas le seul « ennemi » du
libre épanouissement de chacun : la société civile toute
entière exerce une pression diffuse, qui peut devenir explicite si
chacun n'est pas protégé dans sa vie privée des immixtions
de l'autre2. En l'espèce et dans le cadre de notre
étude, c'est le droit de l'information pour ne pas dire la presse qui
exerce une pression explicite dans ses rapports avec la vie privée des
individus. Toute situation qui semble entretenir un conflit entre ces deux
droits de l'homme à savoir droit au respect de la vie privée des
individus et droit de l'information. La transparence sociale est
revendiquée de toute part. Mais chaque citoyen souhaite en ce qui le
concerne personnellement rester opaque aux autres.
Il est vrai que la ligne de partage entre la vie privé
et la vie publique est incertaine, voire difficile à déterminer,
surtout que ce qui est privé chez l'un ne l'est pas forcément
chez l'autre. Toutefois tout acte (privé ou public) retentit sur la
société. L'histoire du droit positif, à chacune de ses
étapes, détermine un espace privé plus ou moins vaste,
reflet d'un régime politique et d'une société civile
travaillée en permanence par des forces contradictoires allant dans le
sens de l'élargissement ou d'un rétrécissement de cette
sphère d'intimité3.
1 R.G. Schwartzenberg, in les libertés
publiques, dossiers et documents du monde, févr. 1975, p.4.
2 Il est banal de considérer que le
progrès technique (dans le domaine de l'information, de
l'électronique, de la photographie, etc.) est une menace nouvelle pour
la vie privée de l'individu (V. par exemple, Th. Maulnier,
liberté et organisation : Le Figaro, 7 juillet 1970). Or il
apparaît, qu'en tout état de cause, il n'y a pas une sorte de
fatalité, ce n'est que l'homme qui toujours menace l'homme, et non ses
techniques.
3 Il n'est pas certain, contrairement à la
démarche universaliste à la mode, que l'élargissement de
cette sphère d'intimité face aux pouvoirs publics, à la
presse, soit valide et appréciée dans toutes les civilisations.
Le confucianisme, par exemple, qui a imprégné profondément
diverses sociétés d'Asie, conduit à ce que la formation
sociale, la société civile toute entière, soit
vécue comme une sorte de grande famille, basée sur la
piété filiale et la protection absolue de l'enfant, sans
distinction entre le privé et le public. Il y a là, à la
fois une autre conception de l'individu (élément indissociable de
la société, et des rapports entre les hommes. On s'étonne
de découvrir, en revanche, que jusqu'au milieu du XIXe
siècle, la caricature était interdite en France ... sauf
autorisation de l'intéressé (voir J.M.
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
En tout état de cause, le droit au respect de la vie
privée est le droit dont dispose le citoyen de vivre à l'abri des
regards d'autrui. En d'autres termes, toute personne est seul maître de
la divulgation des secrets de sa vie privée. Il est libre de mener sa
propre existence avec le minimum d'ingérences extérieures.
A côté du droit au respect de la vie
privée, coexiste un autre droit qui lui est concurrent : le droit de
l'information. En effet, le droit de l'information est le droit pour chacun
d'utiliser librement l'organe de presse de son choix pour exprimer sa
pensée en la communiquant aux autres ou pour accéder à
l'expression de la pensée ou de la vie d'autrui quelle que soit la forme
et la finalité1.
A première vue, donc, la distinction
définitionnelle (section I) et fonctionnelle (section II) entre le droit
au respect de la vie privée et le droit de l'information consacre a
priori, l'antinomie apparente entre ces deux notions de sens opposé.
Section I- Le droit au respect de la vie privée
et le droit de l'information, deux libertés opposées dans leur
nature.
Saisi stricto sensu, le droit au respect de la vie
privée est la règle en vertu de laquelle chacun a droit au
respect de sa vie privée. Toute immixtion ou intrusion non
autorisée d'autrui dans sa sphère d'intimité serait en
contradiction flagrante avec le principe du droit au respect de la vie
privée. Or les droits de la personnalité dans leur ensemble et de
façon particulière le droit à la vie privée se
situent au centre de l'activité journalistique qui n'est que le droit
d'exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par
l'écrit, par l'image et de s'informer librement.
De ce point de vue, le droit au respect de la vie
privée et droit de l'information s'opposent en ce sens que le premier
semble s'enfermer sur lui-même, c'est-à-dire un droit introverti
(Paragraphe I) tandis que le second semble être porté sur
l'extérieur c'est-à-dire un droit extraverti (Paragraphe II). Il
s'agit là d'une opposition concernant le sens, la signification des deux
notions.
Cotteret et C. Emeri, vie privée des hommes politiques in
mélanges, J. Ellul, 1983, p.675).
1 Ve BOUA, extrait de la communication au
séminaire sur la presse de Yamoussoukro du 28 août 1992 in la
presse ivoirienne face aux défis des temps nouveaux, p.8.
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Paragraphe I- Le droit à la vie privée, un
droit introverti.
Le droit au respect de la vie privée est d'apparition
relativement récente, à l'instar des autres droits de la
personnalité. La jurisprudence a commencé à le
protéger de façon effective et sur la base de textes
légaux mais de portée internationale que depuis 19481.
Cette légalité internationale susmentionnée trouve son
application en Côte d'Ivoire, dans le préambule de la constitution
lorsqu'elle affirme « ... proclame son adhésion aux droits et
libertés tels que définis dans la Déclaration Universelle
des Droits de l'homme de 1948 et dans la Charte Africaine des Droits de l'Homme
et des Peuples de 1981... »
En France, le droit au respect de la vie privée est
protégée par la jurisprudence sur la base d'un texte
législatif interne depuis la loi n°70-643 du 17 juillet 1970 qui a
donné naissance au nouvel article 9 du Code civil qui dispose comme suit
: « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
Le Code civil, en Côte d'Ivoire, ne lui fait pas
explicitement référence comme c'est le cas en France. Cependant,
cet article est non applicable en Cote-d'Ivoire. Malgré cette absence de
texte précis , le droit au respect de la vie privée existe tout
de même et est protégé.
Mais au fond, que faut-il entendre par droit au respect de la
vie privée ?
Aucun texte ne donne une définition de ce droit . La
jurisprudence ne donne pas non plus de définition précise mais
s'attache en cerner les contours. De ses appréciations successives, le
droit au respect de la vie privée est, comme les autres droits
subjectifs, sanctionné par une violation. Ce droit étant le droit
de toute personne à ce que sa vie privée ne soit pas l'objet de
divulgations ni d'investigations. En d'autres termes, le droit au respect de la
vie privée est le droit pour toute personne d'être libre de mener
sa propre existence avec le minimum d'ingérences extérieures.
Malgré cette approche définitionnelle, il faut,
au regard de la presse, faire la distinction entre la vie privée et la
vie publique. La frontière entre ce qui ressort de
1 Voir art. 12 de la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme, 10 décembre 1948. Art. 5 de la Charte Africaine
des Droits de l'Homme et de Peuples de 1981.
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
ces deux notions est parfois difficile à cerner, voire
étroite. La seule attitude d'ostentation ou de discrétion
adoptée par l'individu peut bouleverser l'analyse1.
Tenons-nous à quelques développements.
En effet, ne ressortit pas évidemment de la vie
privée et par conséquent ressortit de la vie publique, ce qui
constitue l'exercice d'activités officielles ou professionnelles, de
manifestations publiques ou ce qui survient à cette
occasion2. C'est le cas par exemple du récit d'un
déplacement d'une personnalité étatique (ministre) ou
politique (le leader d'un parti politique), personnalités
rencontrées, lieu et menu d'un repas officiel, nom des convives, de
manifestations d'activités socioculturelles ou sportives3.
Ces éléments sus indiqués font partie de la vie publique.
En conséquence, ils peuvent être portés à la
connaissance générale ou du public sans préjudice de
poursuites judiciaires.
En revanche, appartiennent, par nature, à la vie
privée, et ne peuvent être divulgués, du moins
auprès de quiconque qui n'a aucun intérêt à en
connaître, et quelles que soit l'exactitude ou la tonalité de la
présentation, la plupart des éléments identificateurs ou
localisateurs de la personne4. Il s'agit, en l'espèce, de la
date et lieu de naissance, nom d'origine, adresses, numéros de
téléphone, références bancaires5.
En outre, les domaines inclus dans la vie privée
comprennent l'intimité corporelle comme un handicap, l'état
transsexuel, un traitement médical suivi, la santé (physique ou
psychique), l'attente d'un enfant au moins au début ; la vie
sentimentale et familiale (la liaison, la mésentente avec le conjoint,
la paternité (exacte ou erronée), les moeurs sexuelles ; les
appartenances philosophiques ou religieuses ; l'image, les conversations, les
correspondances et plus généralement, tout ce qui relève
du comportement ou de la vie intime. Telle est la liste
1 J.P. Gridel, chronique - doctrine - presse,
liberté de la presse et protection civile des droits modernes de la
personnalité en droit positif français. Recueil Dalloz 2005,
n°6, p.391.
2 Idem.
3 Ibid.
4 Ibidem, p.392.
5 J.P. Gridel, op.cit, p.392.
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
schématique de la vie privée et de ses
composantes que permet une lecture des recueils consultés.
Par contre, les événements relevant de la
sphère intime comme le mariage, la naissance, le décès
échappent à la notion de vie privée. Ce sont, en effet,
certes des faits privés mais ils tombent dans le domaine public du fait
de leur caractère social.
Le contenu de la vie privée est vaste et rencontre des
difficultés dans ses rapports avec le droit de l'information surtout
lorsqu'il s'agit des personnes publiques ou politiques .Ainsi, on admet
généralement que le domaine de la vie privée d'une
personnalité publique puisse, en certaines circonstances, être
plus restreint que celui d'un simple citoyen. Leur vie publique se mêle
pratiquement avec leur vie privée. Comment faire donc la part des choses
dans le souci de l'information ?
La vie privée, au-delà de ce que nous venons
d'analyser se compose également du droit à l'image et du droit
à la présomption d'innocence.
Il suit de ce qui précède que la vie de toute
personne comporte une part repliée sur la personne elle-même, sur
les membres de sa famille, sur ses amis. Elle ne se confond donc pas avec la
vie publique car elle est cette partie de la vie qui a pour siège
principal la demeure, lieu de sécurité et de bien-être
personnel.
Ainsi, elle ne doit pas être l'objet d'investigations ni
de divulgations parce que les unes et les autres blessent le sentiment de la
pudeur à l'égard de la vie personnelle et
familiale1.
En définitive, le droit à la vie privée
s'oppose au droit de l'information dans la mesure où la vie
privée est un sentiment personnel, individuel et paisible qui dispose
chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se
retirer à l'écart avec sa famille et ses amis de telle sorte que,
après s'être ainsi créé une petite
société à son usage, il abandonne volontiers la grande
société à elle-même2.
1 V.M. Scheler, la pudeur, édition Aubier. La
permanence du sentiment de la pudeur n'est pas infirmée, mais au
contraire attestée, par les variations de son objet, in P. Kayser, la
protection de la vie privée, op.cit, p.6 .
2 Cité par M. Perrot, Histoire de la vie
privée, de la révolution à la Grande Guerre, Tome 4,
p.612.
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
La vie privée, en somme, est un vase clos, une vie
introvertie c'est-à-dire repliée sur elle-même à
l'abri des luttes d'intérêts sociaux. Une telle conception nous
semble, à coup sûr, opposée à la notion de droit de
l'information.
Au contraire du droit au respect de la vie privée qui
est un droit relevant de l'intimité du foyer, de la vie conjugale et
sentimentale, et donc un droit personnel, individuel, le droit de l'information
est un droit ouvert sur l'extérieur, voire un droit extraverti.
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