Paragraphe II- Les sanctions pénales.
La gravité des atteintes qui peuvent être
portées aux droits de la personnalité et leur multiplication a
conduit le législateur à le réprimer par des sanctions
pénales. Précisons toutefois qu'en droit pénal, le juge ne
punit que les faits qu'il définit et qualifie comme étant des
infractions. Cette considération résulte du principe de
légalité des infractions et des peines: « nullum crimen
nulla poena sine lege » le fondement textuel est l'art. 13 al. 1 du code
pénal. Selon cette disposition « le juge ne peut qualifier
d'infraction et punir un fait qui n'est pas légalement défini et
puni comme tel. Il ne peut prononcer d'autres peines et mesures de
sûreté que celles établies par la loi et prévues
pour l'infraction qu'il constate. »
En effet, les abus ou infractions des publications ou
diffusions journalistiques sont susceptibles d'entraîner la mise en jeu
de la responsabilité pénale des auteurs et de ceux- directeurs de
publication- sous l'autorité desquels ils agissent. L'état actuel
du droit fait que, en l'absence de codification , la définition des
infractions et des peines encourues, en matière de presse écrite
et de communication audiovisuelle, relève en partie, des deux nouvelles
lois du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse
écrite et de la communication audiovisuelle.
Ces nouvelles règles, en raison de leur adaptation
à l'évolution universelle des médias sont plus ou moins
favorables aux journalistes.
Ce qui constitue une avancée notable dans
l'évolution des législations en matière de presse de
façon générale.
KOFFI Aka Marcellin 99
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Ainsi pour qu'un abus au droit au respect de la vie
privée par voie de presse soit réprimé (B), il est
nécessaire, voire indispensable que l'abus ou l'atteinte en question
soit qualifiée d'infraction (A).
A- Les infractions pénales des journalistes
contre le droit au respect de la vie privée.
Ici, il y a une nécessité que l'atteinte au
droit au respect de la vie privée soit qualifiée infraction.
L'infraction est, aux termes de l'article 2 du code
pénal, « tout fait, action ou omission, qui trouble ou est
susceptible de troubler l'ordre ou la paix publique en portant atteinte aux
droits légitimes soit des particuliers, soit des collectivités
publiques ou privées et qui, comme tel, est légalement
sanctionné »1
L'infraction ainsi définie, il s'agira, en
l'espèce, de sanctionner des personnes (en l'occurrence des
journalistes, des directeurs de publication, voire des entreprises ou agences
de presse) qui ont commis des faits en diffusant des informations par voie
d'écrits ou d'autres médias dans des conditions prohibées
par la loi. Ces infractions, par conséquent, peuvent donner lieu
à des poursuites pénales.
L'action en justice ou la sanction pénale ayant pour
objet de mettre fin à la violation au droit au respect de la vie
privée.
Ces actions ou mesures dites limitatives de la liberté
d'expression ou du droit de l'information sont prescrites par le
législateur et par le juge des référés en cas
d'immixtion intolérable dans la vie privée, en cas d'atteinte
à l'intimité de la vie privée.
Le droit au respect de la vie privée étant le
droit de toute personne à ce que sa vie privée ne soit pas
l'objet de divulgation ni d'investigation, la personne dont la vie
privée est publiée, ou est l'objet d'immixtion, peut agir en
justice pour mettre fin à cette divulgation.1
1 Loi n° 81-640 du 31 Juillet 1981, instituant le
code pénal, modifiée par la loi n° 95-522 du 6 Juillet 1995
art.2
1 P. Kayser, la protection de la vie privée, op
cit, p. 238
KOFFI Aka Marcellin 100
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
A ce titre, certaines infractions sont qualifiées de
traditionnelles dans la mesure où elles existent de longue date et
concernent la diffamation et l'injure (1). D'autres, par contre, peuvent
apparaître comme modernes, soit qu'elles aient connu un essor particulier
à une époque récente soit qu'elles aient été
instituées par des textes adoptés ou modifiés il y a peu.
Il s'agit, par exemple, des investigations ou des intrusions dans la vie
privée des individus sans leur consentement ou sans une urgence
d'intérêt public ou de pertinence sociale (2)
1- Les infractions traditionnelles ou
anciennes.
A l'heure actuelle, les infractions pénales
traditionnelles contre la vie privée par voie de presse peuvent
revêtir la forme d'une diffamation ou d'une injure et ont
été invoquées les plus fréquemment dans le cadre de
la loi de 1881 sur la presse en France. Ces infractions portent, en effet,
atteinte à des droits qui touchent profondément les personnes et
leurs familles puis qui sont reconnues socialement puisqu'elles concernent leur
dignité profonde et interne, voire leur vie privée.
Les textes internationaux prévoient d'ailleurs la
nécessité de sanctionner de telles atteintes et le pacte
international des Nations Unies du 16 décembre 1966 les autorités
expressément dans de tels cas2
En côte d'ivoire, le législateur en
définissant ces deux concepts violateurs de l'honneur et de la
considération et par ricochet le droit au respect de la vie
privée s'est aligné sur la conception déjà retenue
par les textes internationaux et sur la loi française de 1881 sur la
presse (Art 29 al 1).
Les définitions qui en découlent sont fournies
naguère par la loi n° 91-1033 du 31 décembre 1991 portant
régime juridique de la presse, aujourd'hui remplacée par la loi
n° 2004-643 du 14 décembre 2004 portant également
régime juridique de la presse.1
2 Pacte International des Nations Unies du 16
décembre 1966, art 19 paragraphe 3a
1 Loi n° 91-1033 du 31 décembre 1991 art.
42 et remplacée par la loi n°2004-643 du 14 décembre 2004
art. 78 portant régime juridique de la presse
KOFFI Aka Marcellin 101
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
a- La diffamation
D'origine latine difame ou diffamare, diffamer est
l'action de divulguer ou de répandre un mauvais bruit ; dif est la
privation de fama (fameux, renommé) consistant en rumeurs ou en
création d'une opinion publique négative. Apparue au
14ème siècle, la diffamation est un acte de langage
énonçant par la parole ou par écrit un état de
chose, imputant un fait qui porte atteinte à la réputation d'une
personne2 ou qu'elle est le fait de chercher à nuire
publiquement à la réputation ou à l'honneur de quelqu'un
par des accusations vraies ou fausses3
La diffamation s'inscrit au croisement entre deux familles de
droit d'importance majeure : d'un côté la liberté
d'opinion, d'expression et de l'information comme fondement de la
liberté de la presse et de la société démocratique.
De l'autre côté, la protection de la vie privée de
l'individu et de sa réputation. Il s'agit là d'une tension
permanente entre l'expression et ses limitations.
La diffamation s'apparente, pour certains, à une
répression, une limitation et un contrôle de la liberté de
la presse.
Pour d'autres, elle est au contraire un moyen de canaliser
cette liberté d'expression, de la réglementer pour
l'empêcher de devenir synonyme de libertinage, d'excès, en donnant
aux uns et aux autres le sens de la responsabilité
sociale4
Au sens de la loi, la diffamation reste un délit de
presse. Un délit avec un statut hybride, civil et pénal à
la fois, susceptible d'une peine de prison ou d'une peine d'amende.
2 L'Organisation des Nations Unies pour l'Education,
la Science et la Culture (UNESCO), la diffamation dans les médias en
Afrique, publiée en 2004, Bureau Régional de Dakar secteur
Communication et Information, P.1
3 J. Girodet, Dictionnaire de la langue
Française, A -H éd. Bordas, Paris 1976, P. 808
4 UNESCO, op cit p.5
KOFFI Aka Marcellin 102
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Mais aujourd'hui les peines de prison ont laissé place
aux peines d'amende concernant l'aspect pénal de la diffamation, objet
de notre attention ici, selon les nouvelles législations1
En effet, la diffamation est assurément celle des
infractions définies dans la loi de 2004 portant régime juridique
de la presse qui est la plus fréquemment commise, poursuivie et
sanctionnée. Il s'agit, aux termes de l'article 78 alinéa 1 de
ladite loi, de (( toute allégation ou imputation d'un fait qui porte
atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne
ou du corps social auquel le fait est imputé »2 La diffamation est
donc une infraction contre la vie privée en ce sens que les
allégations ou imputations d'un fait telles les accusations
mensongères, de malversations ou de détournement de fonds dans
l'unique intention de nuire constitueraient une immixtion intolérable
dans la vie privée de l'intéressé.
La dépréciation de l'honneur et de la
réputation touche à la vie intime de toute personne et partant
porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée. C'est
pourquoi l'affaire Dame Dadié Clarisse contre le `'groupe Olympe» a
droit de citer. En effet, dans cette affaire Dame Dadié Clarisse contre
le groupe olympe, le tribunal de première instance d'Abidjan Plateau
statuant en matière correctionnelle décida ce qui suit : ((
attendu que l'article incriminé, présentant Dame Dadié
Clarisse comme esclavagiste des temps nouveaux, porte manifestement atteinte
à l'honneur et à la considération, à la vie
privée de celle-ci, surtout même que les prévenus ont
reconnu n'avoir opéré aucune vérification quant aux faits
qu'ils reprenaient, que dés lors les faits de diffamation à eux
reprochés sont établis »3
Ainsi, la diffamation contre la vie privée peut
résider dans le caractère dégradant ou humiliant de la
diffusion mais aussi dans le mensonge avec intention de nuire. Le mensonge
consistant en une publication erronée dans la mesure où
l'information véhiculée est susceptible de causer un
préjudice à la personne concernée.
1 Nouvelles lois sur la presse écrite et la
Communication Audiovisuelle du 14 décembre 2004.
2 Loi n° 2004-643 du 14 décembre 2004
portant régime juridique de la presse, art. 78 al.1
3 Trib. P.I Abidjan Plateau Ministère public C/
Soum Junior- JMK AHOUSSOU et le Journal `'INTER», 20 Mai 2005
n°2111.
KOFFI Aka Marcellin 103
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
En somme, pour qu'il y ait délit de diffamation, il
faut que l'imputation traduise une intention coupable de l'auteur, qu'elle ait
été publique, qu'il s'agisse d'un fait déterminé
dont on puisse vérifier l'exactitude ou la fausseté, que ce fait
soit contraire à l'honneur ou à la morale établie (par
exemple un vol, une fraude, un adultère), et que la personne
diffamée soit, même si elle n'est pas nommée, facile
à reconnaître.
b- L'injure
Du latin « injuria », l'injure, au sens
commun, est une parole extrêmement blessante, d'une
grossièreté méprisante.1
En droit et selon les dispositions de la loi de 2004 portant
régime juridique de la presse, précisément en sont article
78 alinéas 3, l'injure est définie comme « toute
expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme
l'imputation d'aucun fait »2
La référence à aucun fait est normalement
ce qui permet de distinguer l'injure de la diffamation surtout que c'est un
même article qui les définit. L'injure ne renferme l'imputation
d'aucun fait au contraire de la diffamation qui renferme l'imputation d'un fait
pour être constituée. Cependant, la distinction n'est pas toujours
aisée. Cela oblige celui qui engage la procédure ou qui este en
justice, au risque pour lui d'échouer dans son action, à prendre
parti sur la nature exacte de l'infraction. Ce qui est pourtant bien loin
d'être toujours très simple ou évident. C'est la
référence ou l'absence de référence à un
fait qui doit, dans les conditions parfois bien délicates et
incertaines, permettre de faire la différence entre la diffamation et
l'injure. Traiter quelqu'un d' « incapable », de «
malhonnête », d' « ivrogne », de « débile
», d' « homosexuel », de « pédophile », ou d'
« adultérin » par exemple, en l'absence de mentions ou de
précisions même de référence à un fait, sera
considéré comme injurieux et d'attentatoire au droit au respect
de la vie privée.
1 J. Girodet, Dictionnaire de la langue
Française, op cit, I-Z page 1645
2 Loi n° 2004 -643 du 14 décembre 2004 op
cit art.78 al. 3
KOFFI Aka Marcellin 104
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
En résumé, le droit au respect de la vie
privée ayant pour but de protéger la paix et la liberté de
la vie personnelle et familiale, une atteinte peut ne pas être une
atteinte à l'honneur ou une diffamation ou une injure, et à
l'inverse une diffamation ou une injure peut ne pas être une atteinte au
droit au respect de la vie privée1. La victime ne peut alors
se prévaloir que des modes de protection de la vie privée ou de
ceux de l'honneur. Mais la plupart des atteintes au droit au respect de la vie
privée sont en même temps des atteintes à l'honneur ou
à la considération, parce qu'elles consistent en des divulgations
de la vie privée qui portent atteinte à l'honneur et à la
considération. La victime peut se prévaloir des modes de
protection de la vie privée et de ceux de l'honneur et de la
considération, puisque le même fait matériel constitue une
atteinte au droit au respect de la vie privée et une atteinte à
l'honneur ou à la considération. Il en est ainsi quand une
publication contient, à la fois, des allégations constitutives
d'une atteinte au droit au respect de la vie privée et des
allégations constitutives d'une atteinte à l'honneur et à
la considération.2
A côté des infractions dénommées
traditionnelles contre le droit au respect de la vie privée, figurent
aussi celles dites modernes ou nouvelles.
2- Les infractions modernes ou nouvelles contre le
droit au respect de la vie privée.
A l'opposé des infractions pénales
traditionnelles contre le droit au respect de la vie privée se trouvent
également les infractions appelées modernes ou nouvelles contre
ce droit. En effet, ces infractions sont qualifiées modernes ou
nouvelles parce qu'elles relèvent de textes relativement
récents.
Notre droit pénal comporte depuis longtemps des
infractions qui ont en partie pour fin de protéger les personnes contre
des atteintes d'une gravité particulière.
1 La déclaration Universelle des droits de
l'homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques
réunissant dans une même disposition ou article la protection de
la vie privée et celle de l'honneur :art.12 de la déclaration et
17 du pacte.
2 C'est le cas de l'allégation, dans un article
de journal, de l'homosexualité d'une personne constitutive d'une
atteinte à l'intimité de sa vie privée et de la
description de son déguisement et de son maquillage en un personnage
ridicule, constitutive d'une atteinte à l'honneur et à la
considération. Paris, 1ère ch. B, 20 Février
1986, D, 1986 IR, 236.
KOFFI Aka Marcellin 105
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Notre code pénal, dans sa partie spéciale
consacrée aux crimes et délits contre les personnes, en
l'occurrence le titre II et notamment le chapitre 4 portant atteinte à
la liberté et la tranquillité des personnes ne fait pas cas de
façon expresse des infractions contre le droit au respect de la vie
privée par voie de presse. Ce qui pourrait nous faire penser qu'il n'y a
pas 'infraction contre le droit à la vie privée relevant du code
pénal de 1981 modifié par la loi n°95-522 du 6 juillet
1995.
Cependant, pour éviter tout libertinage de la part des
journalistes dans le traitement de l'information, les atteintes ont
été étendues par le législateur et elles sont
interprétées par la jurisprudence d'une manière extensive
afin d'assurer une protection plus complète du droit au respect de la
vie privée par voie de presse, surtout que le journaliste est un citoyen
comme les autres en dépit de la liberté dont il jouit dans
l'exercice de son métier ne peut être au dessus de la loi en usant
d'excès.
Ces infractions nouvelles concernent notamment les
investigations dans la vie privée des individus en vue de leurs
divulgations. C'est le cas, parmi les premières, des délits de
violation des correspondances qui protègent non seulement la
liberté d'expression de la pensée par la correspondance mais
aussi les secrets de la vie privée qu'elle contient
souvent.1
Egalement, des délits de violation de domicile. En
effet, l'inviolabilité du domicile, proclamée par la constitution
du 1er Août 2000 (art. 4), puis par l'article 384 et suivants
du code pénal mais le domicile, lieu par excellence d'expression de la
vie privée, sa violation est un délit contre le secret et la
violation de la vie privée.
Mais concernant ces investigations dans la vie privée
par la violation de la correspondance et du domicile, ce sont les divulgations
qui peuvent elles-mêmes constituer des infractions pénales. La
violation de la vie privée est également susceptible de
constituer le délit de violation du secret professionnel, quand
l'auteur, en l'espèce, le journaliste a une connaissance du fait
divulgué en raison de son état ou de sa profession (art. 380 et
suivants du code pénal).
1 J. Pelissier « la protection du secret de la
correspondance au regard du droit pénal » revue science criminelle
et droit pénal, 1965 p.106.
KOFFI Aka Marcellin 106
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Parmi les secondes, il faut citer les délits
d'espionnage audiovisuel de l'intimité de la vie privée et le
délit de conversation, communication et utilisation du produit de cet
espionnage puis, le délit de captation au moyen d'un appareil, des
paroles ou de l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé,
sans son consentement (art. 380 et suivants du code pénal). Une
personne, un journaliste peut porter atteinte à l'intimité de la
vie privée d'une autre en opérant une investigation dans
celle-ci. A partir de cette première atteinte, une autre peut être
réalisée par la communication et l'utilisation du produit de
cette investigation. Ainsi la première n'est le plus souvent
effectuée qu'en vue de la seconde. Aussi, la personne dont les paroles
ou l'image ont été captées doit -elle être dans un
lieu privé. Peu importe, en revanche, le lieu où se trouve
l'appareil que sert à les capter. Il peut être
indifféremment dans un lieu privé ou dans un lieu
public.1
Au total, les infractions pénales dans leur ensemble
peuvent être qualifiées par le juge. Mais comment ces infractions
peuvent elles être sanctionnées, voire réprimées
?
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