B- La détermination des sanctions.
De prime abord et comme leur nom l'indique, ces sanctions, en
effet, ne sont que civiles. Nous avons écarté de notre
étude, ici, l'atteinte à l'honneur et à la
considération, droits subjectifs certes capitaux et permanents, mais
leur reconnaissance est traditionnelle, leurs poursuites par la diffamation et
l'injure sont pénales d'origine et d'essence. Et même lorsque
celles-ci sont limitées au civil, elles n'en sont pas moins
enfermées dans une procédure spécifique et complexe
définie par les nouvelles lois sur la presse du 14 décembre 2004.
Par ailleurs, si l'atteinte à la vie privée de la personne peut
aussi donner lieu à des sanctions pénales, les poursuites sont,
en ce sens, très rares car elles supposent l'emploi de
procédés techniques de captation (enregistrement, transmission
à l'insu).
Pour traiter de la sanction civile des atteintes au droit au
respect de la vie privée, nous allons, successivement, recenser deux
types de sanctions. Les unes tendent à la réparation de
l'atteinte (1) tandis que les autres visent d'autres actions (2).
KOFFI Aka Marcellin 92
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
1- La réparation pécuniaire des
atteintes au droit au respect de la vie privée.
Au regard de la loi, l'existence de la responsabilité
civile a pour effet d'obliger celui par la faute de laquelle cette
responsabilité a été établie à
réparer le préjudice causé sous la forme de dommages et
intérêts1. Aux abus commis par écrits,
reportages et réalisations journalistiques, s'appliquent ou devraient
normalement s'appliquer les dispositions des articles 1382 et suivants du code
civil qui déterminent le régime général de la
responsabilité civile. Tout fait « qui cause à autrui un
dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le
réparer. » Il appartient au juge, dans le cadre d'un contrôle
a posteriori, en cela respectueux de la liberté d'expression,
d'établir la faute et la relation de cause à effet entre la faute
et le dommage, et de déterminer, par voie de conséquence, le mode
de réparation qui lui apparaîtra le mieux adapté. Par une
telle responsabilité civile, il s'agit d'assurer la réparation du
dommage subi par la victime des abus commis par les auteurs ou professionnels
des médias. Cela contribue bien davantage à rétablir dans
leur droit les personnes injustement mises en cause et doit normalement suffire
à dissuader les auteurs de commettre de tels excès ou de telles
violations. Cette forme de responsabilité paraît souvent mieux
adaptée aux excès commis du fait de la rédaction d'un
texte ou de la diffusion d'un reportage2. La victime d'une atteinte
à son droit à la vie privée peut donc obtenir du juge des
dommages et intérêts pour indemniser le préjudice subi. En
général, il s'agit de l'allocation ou de l'attribution à
la victime d'une somme d'argent compensatoire qui constitue la
réparation proprement dite (notamment du préjudice moral et
matériel). Les dommages et intérêts sont censés
réparer l'intégralité du préjudice direct et
prévisible subi par la victime. L'évaluation du dommage et
intérêt est du ressort du juge. A cet effet, lors de l'atteinte au
droit à l'image de dame Kamé N'daw, le juge statuant
publiquement, contradictoirement en matière civile et en premier ressort
avait condamné in solidum les éditions Jean Claude Nourault et la
librairie de
1 Code civil, art. 1382
2 J. L Martin - Lagardette, op cit, p.232
KOFFI Aka Marcellin 93
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
France, prises en la personne de leurs directeurs respectifs,
à la demanderesse la somme de 500 000 francs à titre de dommages
et intérêts.1
Par contre, le droit de réclamer des dommages et
intérêts pour non respect des droits de la personnalité est
un droit personnel. Il ne peut donc être exercé que par la
personne victime des intrusions des journalistes et non par sa famille,
même proche2. C'est ainsi que la veuve d'un homme filmé
lors d'une tentative infructueuse de réanimation par une équipe
de secours n'a pas eu le droit d'intenter un procès pour atteinte
à la vie privée, après la diffusion du reportage. Seul son
époux, s'il avait survécu, aurait pu intenter une telle
action.
De façon générale aux Etats-unis, les
journalistes sont rarement condamnés. Toutefois, le montant des dommages
et intérêts versés est souvent considérables
(plusieurs centaines de milliers de dollar) lorsque le défendeur est une
maison d'édition ou une chaîne de télévision
importante3
Toutefois une critique fondamentale est apportée
à cette réparation pécuniaire. Le dommage résultant
du droit de la personnalité étant par hypothèse extra
patrimonial, comment peut-il être réparé en argent ?
A ce propos, on admet que l'indemnité pécuniaire
qu'on accorde à la victime de l'atteinte du fait du journaliste ne
répare pas ce qui est par essence irréparable mais offre à
tout le moins une compensation satisfaisante A cet égard, après
verdict de la cour d'appel d'Abidjan en date du 28 juillet 1999 qui s'est
montée plus clémente en condamnant les journalistes
prévenus Diégou Bailly et Joachim Beugré au paiement de
cinq millions de francs CFA à titre de dommages et intérêts
au ministre Ezan Akélé, soit le centième de ses
prétentions .
Mais dans tous les cas, le juge peut accorder, une
réparation autre que pécuniaire lorsqu'elle apparaît plus
appropriée. C'est par exemple le cas de la publication forcée de
la décision de condamnation ou d'un extrait de cette décision,
1 Trib.P.I Abidjan, 29 juillet 1976, RID, n° 1-2
p. 36
2 Anonyme, vie privée, droit de la
personnalité aux Etats-unis http// :www.senat.fr/IC33/C33/htm/# fn8
3 Idem
KOFFI Aka Marcellin 94
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
rectifiant ainsi, auprès du public, une information
trompeuse ou erronée et en modifiant ou atténuant les
effets1.
En revanche, d'autres mesures peuvent accompagner ou
suppléer la réparation pécuniaire.
2- Les autres mesures ou sanctions.
Les autres actions tendant à la réparation de
l'atteinte issue de la diffusion illicite de la vie privée visent toutes
mesures propres à faire cesser l'atteinte et le droit de
réponse.
a- Toutes mesures visant la cessation de
l'atteinte.
Toute victime d'une atteinte aux droits modernes de la
personnalité peut, en effet, à sa demande, obtenir du juge
l'ordonnance de toute mesure visant à faire cesser immédiatement
l'atteinte ou pour prévenir les atteintes ultérieures.
Ces mesures sont expressément issues de l'art. 9 du
code civil français, applicables aussi en Côte d'Ivoire selon les
mesures prises dans ce sens par le juge ivoirien.
Cet article stipule : « chacun a droit au respect de sa
vie privée (loi du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la
garantie des droits individuels des citoyens).
Les juges peuvent, prescrire toutes mesures telles que
séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire
cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée...
».
Dans cette perspective, le premier remède prévu
par les dispositions légales et réglementaires en matière
de presse pour violation des droits modernes de la personnalité, en
l'espèce, le droit à la vie privée est l'action en
cessation.
Dès que les conditions légales sont
réunies, c'est-à-dire lorsque la personne, victime de la
publication a subi un préjudice (moral ou matériel), le juge
doit, sur requête de l'intéressé, donner l'ordre de
cessation de l'acte illicite. La cessation peut prendre la forme d'une
interdiction absolue de la publication ou certains
1 E. Derieux, « justice pénale et droits
des médias », justices, D, n° 10, Avril-Juin 1998, p. 139-149
et « la responsabilité des médias, responsables, coupables,
condamnables, punissables ? » JCP, 1999, I, 153.
KOFFI Aka Marcellin 95
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
passages de la publication seulement s'il y a
possibilité de répétition de l'article illicite, le juge
peut agir préventivement.
De plus, le juge peut ordonner d'autres mesures telles que
séquestre, saisie ou retrait du commerce des publications
incriminées (photographies par exemple), la suppression de certains
passages assimilables à une vraie censure et ne se justifient que si les
descriptions ou divulgations incriminées revêtent un
caractère intolérable compte tenu de leur gravité. C'est
pourquoi dans l'affaire Kamé N'daw, le juge ordonna la saisie et la
destruction des clichés, des cartes postales et de l'ouvrage
intitulé « Côte d'Ivoire » au besoin sans astreinte
comminatoire de 5.000 francs par jour de retard.1 Et l'article 72 de
la loi n° 2004-643 du 14 décembre 2004, portant régime
juridique de la presse confirme ces dites mesures. Il dispose :« les
exemplaires d'un journal ou d'un écrit périodique peuvent faire
l'objet d'une saisie par voie judiciaire dans les cas de toutes formes de
violences exercées à l'encontre des personnes physiques et
morales ainsi que sur leurs biens »
Le juge peut aussi prescrire la publication de la
décision de condamnation. Autrement dit le juge peut ordonner
l'insertion de la décision de justice dans la presse.
Ces mesures sont propres à empêcher ou faire
cesser une atteinte à l'intimité des droits modernes de la
personnalité à savoir le droit à l'image, le droit
à la vie privée, le droit à la présomption
d'innocence, le droit au nom, le droit à la voix, le droit à la
propriété intellectuelle. Par ailleurs, le juge peut
reconnaître à la personne lésée un droit de
réponse.
b- Le droit de réponse ou réparation en
nature.
Le droit de réponse est, pour les cours et tribunaux
qui le rappellent ou l'ordonnent très souvent, « un droit
général et absolu »2. En consacrant ce droit en
son article 13, le législateur français de la loi du 29 juillet
1881 et aujourd'hui tous
1 Trib.P.I Abidjan, 29 janvier 1976, RID, op. cit. p.
36
2 J. Ravanas, op. cit, p. 333
KOFFI Aka Marcellin 96
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
les législateurs nationaux et internationaux, avec en
ce qui nous concerne les deux nouvelles lois du 14 décembre 2004 sur le
droit de l'information en général, a attendu rétablir un
certain équilibre entre les particuliers et la presse. Face à la
puissance considérable de la presse, qui s'exerce notamment par
l'influence qu'elle a sur le jugement de ses lecteurs, auditeurs et
téléspectateurs puis sur la formation de l'opinion publique, il
est nécessaire d'assurer à tout individu la défense de sa
personnalité. Le droit de réponse n'est point une réplique
à une mise en cause d'un individu ou d'un organe de presse comme
pourrait le penser certaines personnes. Il est la sanction d'une atteinte
illicite aux droits de la personnalité d'un individu. C'est pourquoi,
« on ne saurait trop insister sur l'importance de cette
institution..., elle est apparue comme le moyen le plus approprié de
lutter contre l'abus le plus criant, le plus dangereux de la liberté
d'expression : la diffusion de fausses nouvelles. »1
Ce qui a fait dire à Ruy Barbosa que « le
remède du mensonge est dans la vérité. »2
Le droit de réponse est donc une sanction qui permet de
mettre les deux droits et libertés c'est-à-dire les deux droits
de l'homme à savoir droit de l'information et droit au respect de la vie
privée sur le même pied d'égalité pour ne pas que le
premier abuse du second compte tenu des moyens qu'il utilise pour son
exercice.
Ce droit de réponse a été ainsi
instauré pour protéger les personnes mises en cause dans les
médias contre les abus des journalistes.
En Côte d'Ivoire, ce sont les articles 55 et 150
respectivement des lois n° 2004-643 portant régime juridique de la
presse et n° 2004-644 portant régime juridique de la communication
audiovisuelle du 14 décembre 2004 qui définissent le droit de
réponse.3
Selon la première disposition « toute personne
mise en cause dans un journal ou écrit périodique peut exiger
l'insertion d'une réponse, si elle estime que la
1 F. Terrou et Lucien Solal, le droit de
l'information, UNESCO, paris, 1951 in le droit de réponse de Freitas
Nobre, nouvelles éditions Latines, paris, 1973, p. 8
2 F. Nobre, le droit de réponse, Nouvelles
éditions latines, paris, 1973 p. 8
3 J.O. de République de Côte d'Ivoire,
n° spécial, Accords de Linas Marcoussis, quarante sixième
année, n° 2 du jeudi 30 décembre 2004, p. 71 et 88
KOFFI Aka Marcellin 97
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
citation qui la concerne est erronée, diffamatoire ou
qu'elle porte atteinte à son honneur, à sa réputation,
à sa dignité.» Pour ce faire, le directeur de publication
sera tenu d'insérer dans les trois jours de leur réception, les
réponses de toute personne mise en cause dans le journal ou écrit
périodique quotidien, et dans le plus prochain numéro pour les
autres. Cette insertion devra être faite à la même place et
dans les mêmes caractères que l'article qui l'aura
provoquée et sans aucune intercalation.1 Pour ce qui est des
journaux ou écrits périodiques non quotidiens, le Directeur de
publication sera tenu d'insérer la réponse dans le prochain
numéro.
Aux termes de la seconde disposition « toute personne
physique ou morale dispose d'un droit de réponse dans le cas où
des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou
à sa réputation auraient été diffusées dans
le cadre d'une activité de communication audiovisuelle ; le demandeur
doit préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre
et la teneur de la réponse qu'il propose d'y apporter. La réponse
doit être diffusée dans des conditions techniques
équivalentes à celles dans lesquelles a été
diffusé le message contenant l'imputation invoquée. Elle doit
également être diffusée de manière que lui soit
assurée une audience équivalente à celle du message
précité. »
La demande d'exercice du droit de réponse doit
être présentée dans les huit (8) jours suivant la diffusion
du message contenant l'imputation qui la fonde. En cas de refus ou du silence
gardé sur la demande par son destinataire dans les quatre (4) jours
suivant sa réception, le président du tribunal sur saisine du
demandeur peut ordonner sous astreinte la diffusion de la réponse. Il
peut déclarer une ordonnance exécutoire sur minute nonobstant
toutes les voies de recours.2
La réponse doit être pertinente
c'est-à-dire non abusive. En outre, l'insertion de la réponse
doit être gratuite.
En définitive, dans les deux cas, qu'il s'agisse de la
réparation pécuniaire ou des autres actions ou sanctions, le juge
peut statuer en référé. C'est ce qui ressort
1 Loi n° 2004-643 du 14 décembre 2004
portant régime juridique de la presse, art. 56
2 Loi n° 2004-644 du 14 décembre 2004
portant régime juridique de la communication audiovisuelle, art. 151
KOFFI Aka Marcellin 98
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
de l'article 9 du code civil français in fine «ces
mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en
référé.» et qui sont aussi appliquées par la
jurisprudence ivoirienne.
A côté de ces sanctions civiles, si l'usage ou la
diffusion des droits de la personnalité et partant du droit au respect
de la vie privée fait apparaître une intention de nuire, l'affaire
sera alors traitée au pénal. En conséquence, des sanctions
pénales pourraient en résulter.
|