Conclusion
C'est vrai qu'on ne peut pas faire des omelettes sans casser
des oeufs, mais en ce qui concerne les rapports entre le droit au respect de la
vie privée et le droit « de l'information », droit « du
journalisme », « de la presse », « de la communication
» ou « des médias », les limites juridiques et
éthiques doivent permettre aux journalistes ou professionnels de
médias de faire le moindre mal possible à autrui compte tenu de
la puissance de leurs instruments de travail. Car comme l'écrit Me
André Bertrand, « il n'y a pas d'information qui
intrinsèquement porterait atteinte à la vie privée.
»
En effet, les lois et règlements qui concernent les
notions de « bien », de « mal » et de « devoir moral
», sur la presse font peser une responsabilité particulière
sur le journaliste. La société joue un rôle important dans
l'établissement des règles du jeu en ce qui concerne la vie
privée.
Par ailleurs, il appartient à chaque consommateur de la
presse de se faire sa propre opinion et de construire son point de vue, en
sachant que tout ce qui est écrit dans un journal, entendu à la
radio ou vu à la télévision n'est et ne peut pas
être la vérité absolue. A chacun de nous de chercher les
moyens de passer au crible les divers sujets d'actualité que les
médias nous présentent car le pouvoir, à la
vérité, c'est nous aussi qui l'avons. Nous n'avons donc pas
à nous torturer pour un article de presse ou un reportage incluant
certains aspects de notre vie privée.
Enfin, les litiges entre droit au respect de la vie
privée et droit de l'information ou les atteintes illicites au droit au
respect de la vie privée par voie de presse trouvent leur
règlement ou résolution dans des sanctions à l'encontre
des auteurs desdites atteintes.
Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Chapitre II :
LES SANCTIONS DES ATTEINTES AU DROIT A LA VIE
PRIVEE DES PERSONNES PAR VOIE DE PRESSE
La règle de droit implique nécessairement
contrôle de son application et sanction de non respect, par la mise en
jeu, normalement devant un juge ou éventuellement quelque autre
institution (autorité de régulation et d'autorégulation,
instance disciplinaire, structure professionnelle...) de la
responsabilité des personnes reconnues coupables ou, tout au moins
tenues en tant que responsables d'assurer les conséquences de sa
violation. Sans contrôle véritable, la collectivité et les
particuliers seraient privés de la protection et des garanties que le
droit est pourtant censé leur apporter. Tout serait alors qu'illusion.
Le secteur des médias et le droit qui leur est applicable
n'échappent pas à cette exigence.
Le principe de la liberté d'expression et de
communication n'exclut pas, bien au contraire, que des limitations y soient
apportées et que puisse et doive même être engagée la
responsabilité de ceux qui passeraient outre1. Les textes
nationaux et internationaux fondamentaux le prévoient2.
Il s'agit pour chacun d'assumer les conséquences de ses
actes, et en l'espèce, de ses écrits et reportages s'ils sont
constitutifs d'une faute ou causerait un dommage. Un tel régime de
responsabilité représente le minimum de ce que comporte le droit
applicable aux activités d'information. C'est, en droit ivoirien comme
en droit universel, l'exacte mise en oeuvre du principe posé par
l'article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789, selon lequel : « La libre communication des pensées et
des opinions est un des droits le plus précieux de l'homme, tout citoyen
peut donc parler, écrire et imprimer librement, sauf à
répondre de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi. »
1 E. Derieux, communication audiovisuelle, la
responsabilité des médias, responsables, coupables, condamnables,
punissables ? JCP la semaine juridique, n° 28, 14 juillet 1999, p.
1335.
2 Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789, art. 11 ; convention européenne des droits de l'homme
de 1950 art. 10
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Dans un tel système, les violations ou fautes sont
définies par la loi et leur sanction, répression et
réparation, est assurée par le juge dans le cadre d'un
contrôle de type judiciaire, normalement répressif a
posteriori.
Ainsi, dans le souci de la conciliation et du respect des
droits et libertés apparemment contradictoires, un mécanisme de
contrôle et de sanction du non respect des obligations et interdictions
est institué et effectivement mis en oeuvre. Il dépend notamment
de la nature et de la gravité de la faute commise et des
conséquences que celle-ci peut avoir pour la collectivité toute
entière ou certains intérêts privés plus
particulièrement.
De façon plus large et générale encore,
la référence faite au droit au respect de la vie privée en
rapport avec le droit de l'information permet de dégager la
responsabilité des médias. On cherche ici à identifier ou
à décrire les différents modes de sanctions existants,
conséquences ou aboutissements des contrôles exercés. Dans
cette relation de cause à effet entre la sanction et le droit, on ne
retiendra que les sanctions de nature juridique (prévues par des textes,
décidées par des autorités officiellement investies d'une
telle compétence, dont l'exécution s'impose)1. On
envisagera pour cela successivement celles des sanctions qui sont
prononcées par le juge et plus exactement et précisément
le juge judiciaire (section
I) et celles qui, déterminées par d'autres
instances ou autorités sont d'une autre nature (section II). Ainsi est
assurée la conciliation entre la liberté d'expression, dont seuls
les abus sont sanctionnés, et les droits et intérêts
individuels ou collectifs malmenés2.
Section I- Les sanctions judiciaires.
Les sanctions judiciaires visent selon les cas, à
assurer la protection du droit au respect de la vie privée face aux
médias soit par la réparation du dommage soit par la
répression de l'infraction. A cet égard, nous distinguons deux
types de sanctions. D'une part les sanctions civiles (paragraphe I) et d'autre
part les
1 E. Derieux, op. cit. p. 1338
2 J.L Martin-Lagardette, le guide l'écriture
journalistique, 5ième édition, la découverte, P
225
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
sanctions pénales (paragraphe II). Mais la demande
doit, à défaut de disposition contraire, être portée
devant les tribunaux de première instance ou leurs sections
détachées.
Paragraphe I- Les sanctions civiles.
Le non respect du droit à la vie privée comporte
des sanctions civiles ordinaires des droits subjectifs. Partie
intégrante du droit de la responsabilité civile, axée
principalement sur la recherche d'une faute (délictuelle ou quasi
délictuelle), la théorie de l'abus du droit, en l'espèce,
l'abus du droit de l'information porte à considérer que cet abus
peut entraîner à la charge de son auteur, soit une
réparation par l'attribution notamment de dommages et
intérêts, soit le juge peut ordonner alors des mesures propres
visant à supprimer le dommage, voire à l'empêcher de
naître1.
Autrement dit, le titulaire d'un droit peut obtenir la
réparation du dommage que lui cause la lésion (violation) de ce
droit. Quel est le fondement des sanctions civiles c'est-à-dire du droit
à la réparation (A) et comment peut-il être
réparé (B) ?
A- Le fondement de la sanction civile.
Parlant des fondements de la sanction civile, une
précision s'avère indispensable en ce sens que deux conceptions
s'affrontent.
Pour certains auteurs comme B. Edelman, les droits de la
personnalité sont des droits de propriété. Par
conséquent, la simple atteinte c'est-à-dire la diffusion d'un
droit de la personnalité sans l'accord de la victime et sans une
pertinence certaine devrait donner droit à réparation sans que
l'intéressé ait à prouver une faute et un préjudice
réel ou prévisible.
En revanche, pour d'autres auteurs, ils estiment que pour que
la responsabilité de l'auteur de la diffusion soit retenue, il faut que
la divulgation de l'élément de la vie privée ait
causé un préjudice à la victime et que ce préjudice
ait une connexité avec la faute, en l'espèce la diffusion
litigieuse.
1 F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, droit
civil, les obligations, 8ème, Paris, Dalloz 2002 p. 716
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
Pour notre part, nous nous alignons sur cette dernière
conception pour la simple raison que si la publication illégitime d'un
détail de la privée devrait être obligatoirement
sanctionnée, cela paralyserait beaucoup les activités de la
presse. D'où la nécessité pour la personne, victime de
l'abus de la liberté de la presse de prouver l'existence d'une faute
(1), d'un dommage dont elle a souffert (2) et d'un lien de causalité
entre la faute et le dommage (3). Soulignons, outre mesure que, le droit au
respect de la vie privée est sanctionné par la
responsabilité civile de leur auteur fondée essentiellement en
Côte d'Ivoire sur les articles 1382 et 1383 du code civil. En France,
plusieurs textes interviennent dans ce domaine. En effet, la
responsabilité civile en matière d'usage abusif de la
liberté de l'information est sanctionnée principalement par la
loi du 29 juillet 1881 puis les art.9-1 du code civil, à
côté du vieil article 1382 du même code.
1- La nécessité d'une
faute.
Le système de responsabilité qu'a reconnu le
code civil repose essentiellement sur l'analyse du comportement de l'auteur du
dommage car seul le comportement constitutif de faute ouvre droit à
sanction ou à réparation. La responsabilité est dite
subjective dans un tel cas et c'est précisément le système
que consacre l'article 1382 du code civil lorsqu'il énonce que «
tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige
celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer
». La faute, selon certains auteurs, à l'instar de Planiol se
présente comme la violation d'une obligation préexistante dont la
loi ordonne la réparation quand elle a causé un dommage à
autrui.
Pour d'autres auteurs, la faute est tout simplement un acte
illicite, autrement dit un acte contraire soit aux lois, soit aux usages ou
coutumes, soit à la justice sociale. En somme, la faute est un fait se
présentant comme un écart de conduite que le juge va
apprécier cas par cas, par référence à un
modèle abstrait donné. A vrai dire, le caractère fautif
d'un comportement dommageable est apprécié in abstracto par les
juges. Ainsi, la violation de la vie privée, l'atteinte ou la faute
consistera par exemple en ce qui concerne le droit à l'image, dans la
reproduction
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
(photographie) et la publication de l'image d'autrui sans son
consentement, en dehors des faits justificatifs de diffusion .S'agissant de la
vie privée tout court, c'est la révélation d'un secret
inhérent à la personne sans raison valable.
2- La nécessité d'un dommage ou d'un
préjudice.
La violation de la vie privée par le journaliste,
qu'elle soit prouvée ou présumée n'entraîne la
responsabilité que si un dommage en ait résulté pour la
victime. Celle-ci doit donc prouver le préjudice que lui fait subir la
divulgation d'un élément de sa personnalité. Ce
préjudice doit être direct et certain, c'est-à-dire qu'il
soit actuel ou futur et doit porter atteinte à un intérêt
juridiquement protégé.
Aussi le dommage peut-il être matériel ou
moral.
A titre d'illustration, dans le droit au respect de la vie
privée, lorsqu'un article révèle l'homosexualité
d'une personne publique ou non, il y a un préjudice moral qui
résulterait de l'atteinte à sa vie privée et partant
à son honorabilité et à sa réputation s'il voulait
tenir cet aspect caché. Quant au préjudice matériel, il
s'agira de la divulgation d'un secret entraînant par exemple une perte
d'emploi pour la victime, l'exploitation d'une image en porte à faux
avec la réalité ou la diffusion d'une information
mensongère. Confère jugement n°
502/civ/7ième du 20 juin 2001(affaire Bohouri José
Marius contre Gecos Formation et Koné Laman).
Le préjudice matériel résulterait de la
perte de l'emploi.
Quelque soit la nature du dommage, il doit avoir un lien de
connexité, de causalité entre la faute et le dommage.
3- La nécessité d'un lien de
causalité entre la faute et le dommage.
La victime de l'atteinte aux droits de la personnalité
doit prouver que le préjudice dont elle a souffert résulte
directement de la faute commise par le journaliste ou l'éditeur,
l'auteur des faits.
Ainsi, le juge saisi ne conclura à la
responsabilité civile de l'auteur de l'atteinte à la vie
privée sous le fondement de l'article 1382 du code civil que si la
victime
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Droit au respect de la vie privée et droit de
l'information en côte - d'ivoire.
démontre qu'il existe un lien de cause à effet
entre la divulgation par exemple des éléments de sa vie
privée (faute) et le préjudice subi.
Dans notre second exemple, la personne licenciée devra
démontrer que la publication de l'article relatif à sa vie
privée a été la cause exclusive de la rupture de son
contrat de travail ou de son congédiement. S'il était
démontré que la rupture du contrat de travail avait une autre
cause (abandon de poste, faute lourde par exemple) le lien de causalité
ferait défaut. La réunion cumulative des trois conditions (faute,
préjudice et lien de causalité) aura pour conséquence la
condamnation par le juge de l'auteur de l'atteinte par une réparation ou
tout autre action.
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