B- Le détournement du nom ou de l'image par voie
de presse.
Nous étudierons d'abord l'atteinte à la vie
privée par le détournement du nom (1) avant de nous attarder sur
l'atteinte à la liberté de la vie privée par le
détournement de l'image d'une personne (2).
1) Le détournement du nom.
Le nom est, d'une manière générique, un
vocable qui sert à désigner une personne, un animal ou une chose.
Il est soit commun à tous les membres d'une espèce donnée
(exemple : l'homme, l'animal, le chien, le navire, etc.) soit propre à
un seul des membres d'une famille donnée (exemple : Coulibaly, Aka,
Koffi, Milou, Titanic...).
En droit civil des personnes, l'allusion au nom fait
référence au nom propre d'une personne, voire au nom patronymique
ou nom de famille.
A cet égard, le nom est défini comme «
l'appellation qui sert à désigner une personne dans la vie
sociale et juridique »1.
C'est le sens de l'article 1er de la loi ivoirienne
n°64-373 du 07 octobre 1964, modifiée par la loi n°83-799 du
02 août 1983 relative au nom qui dispose que : « toute personne doit
avoir un nom patronymique et un ou plusieurs prénoms
»2.
Ainsi défini, le nom est assurément en
Côte d'Ivoire comme partout dans le monde entier, l'élément
fondateur ou de base de la personnalité3.
1 A. Bogler, Cours de droit civil, les personnes, la
famille, première année licence 1997.
2 Code civil, loi relative au nom.
3 Anonyme,
http\`www.savoir.scdi.cndp-pr\rencontrelyon\gauvin\?1
KOFFI Aka Marcellin 76
Droit au respect de la vie privée et droit de
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Il n'y a donc pas de personne physique sans nom. Tout
être humain a obligatoirement un nom qu'il se doit de défendre ou
qu'il a le droit de protéger et de sauvegarder contre tout
détournement d'autrui. C'est d'ailleurs cela qui a fait dire à
certains auteurs que le droit de la personne sur son nom est un droit de
propriété, un patrimoine. On dit qu'il y a patrimonisation,
notamment de la vie privée et l'individu peut, en tant que
propriétaire des éléments constitutifs de sa vie
privée (paroles, images, voix, nom, etc.)1, les
protéger et les faire protéger par les pouvoirs publics à
chaque fois qu'un usage illicite ou illégitime en a été
fait par autrui, surtout par le journaliste. Cependant, précisons que
l'individu peut les aliéner et les introduire dans les rapports
marchands2 même si les droits de la personnalité ont
une valeur extrapatrimoniale. La tendance actuelle est à la
commercialisation des éléments constitutifs de la vie
privée. Il s'en déduit que le titulaire du nom
bénéficie d'une protection absolue toutes les fois qu'il n'a pas
donné expressément son assentiment pour l'utilisation qui doit
être faite.
Il peut, par conséquent s'opposer à toute
utilisation de son nom par autrui sans avoir besoin de justifier ni d'un
intérêt ni d'un préjudice. Ainsi, toute personne qui se
sert du nom d'autrui dans son propre intérêt peut faire l'objet de
poursuites judiciaires pour atteinte à la vie privée et partant
au nom car il y a détournement ou abus de la liberté d'expression
dont dispose le professionnel des médias.
Trois facteurs sont donc indispensables à une demande
de réparations. Il s'agit de la publication de l'identification, du
profit commercial et de l'absence d'autorisation. Si ces trois facteurs sont
réunis, l'atteinte au nom est incontestablement avérée et
les tribunaux ne feront que constater leur existence certaine pour rendre
l'auteur de la publication, responsable du détournement du nom d'autrui
par voie de presse.
Quid de l'atteinte à la vie privée par le
détournement de l'image ?
1 R. Charvin, J.P. Sueur, droits de l'homme et
libertés de la personne, édition Litec, Paris 1994, p.99.
2 B. Edelman, le droit saisi par la photographie,
dans les lois sur la presse, avec le consentement de l'individu (qui supprime
l'infraction) et avec le fait que la répression existe
indépendamment de tout dommage concret, la vie privée est, pour
une part, une marchandise dont la vente peut être rentable, et comme dans
un contrat de vente, celle-ci exige le consentement du vendeur in droits de
l'homme et libertés de la personne, op.cit, p.99. Voir aussi F. et A.
Demichel, M. Piquemal, pouvoirs et libertés, éd. Sociales 1978,
p.275, 276.
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2) Le détournement de l'image d'autrui par
voie de presse.
Toute personne a sur son effigie, son image, un droit exclusif
et peut de façon discrétionnaire en autoriser la diffusion ou la
reproduction. C'est dire qu'il est interdit aux tiers, en l'espèce les
journalistes, d'une part de fixer ou de reproduire l'image d'un individu par
quelques procédés ou moyens que ce soit, spécialement par
photographie sans le consentement de l'intéressé et d'autre part
de publier, voire de commercialiser le cliché sans son autorisation.
Ce consentement requis, en règle
générale, doit être exprès, spécial,
c'est-à-dire qu'il doit viser une reproduction ou une diffusion
spécifique donnée.
Ainsi l'intention pour laquelle le consentement a
été donné doit être respectée et non servir
à d'autres fins, en dehors de la valeur journalistique de l'image
divulguée ou de la pertinence du critère de l'illustration.
La conséquence qui en découle est que toute
personne qui se sert de l'image d'autrui, qu'il soit une personne publique ou
un simple quidam, dans son propre intérêt et non dans
l'intérêt de la collectivité peut faire l'objet de
poursuites judiciaires pour atteinte à la vie privée au moyen du
détournement du portrait d'autrui sans son consentement.
Le consentement est exprès lorsqu'il figure sur un
écrit, acte sous-seing privé ou acte authentique1.
Mais à côté du consentement exprès, le consentement
peut être tacite. C'est le cas des hypothèses ou exceptions au
principe de l'interdiction de photographier et a fortiori de divulguer la photo
d'une personne sans son autorisation. Ces dérogations, rappelons-le,
concernent la photographie d'un lieu public, la photographie d'une personne
célèbre dans l'exercice de ses fonctions ou de sa profession et
enfin la photographie d'une personne se trouvant au coeur de
l'actualité.
En dehors de ces cas exceptionnels précités, il
y a faute sur l'image d'autrui chaque fois que la représentation
à titre informatif ou commercial de l'image d'un individu est faite par
les médias sans le consentement de l'intéressé.
1 A.M. Assi-Esso, précis du droit civil,
op.cit, p.54.
KOFFI Aka Marcellin 78
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Tel fut le cas dans le jugement concernant la publication et
la commercialisation de la photo d'une danseuse de cabaret, en l'occurrence
dame Kamé N'Daw1.
Dans cette affaire dame Kamé N'Daw c/ Gilles Nourault
et la librairie de France, dame Kamé N'Daw danseuse de cabaret
travaillant à « la Boule Noire » se donnait tous les soirs en
spectacle. Revenant à Abidjan après un séjour au Mali,
elle eut la désagréable surprise de découvrir des cartes
postales la représentant au cours de son numéro, ainsi qu'une
brochure sur la Côte d'Ivoire reproduisant les mêmes photographies,
brochure qui était vendue et non pas distribuée gratuitement.
Elle assigne donc les auteurs desdites reproductions et la libraire de France
en justice pour atteinte à sa vie privée par détournement
de son image. La demanderesse eut gain de cause dans la mesure où les
facteurs constitutifs de l'atteinte à la vie privée
étaient réunis à savoir l'absence de consentement de dame
Kamé N'Daw mais aussi la commercialisation de sa photo sans son
autorisation.
Dès cette position jurisprudentielle, en l'absence de
lois fixant les conditions de l'utilisation des éléments de la
vie privée d'une personne, il est possible à tout individu de
faire sanctionner en justice la reproduction de son image lorsqu'il n'a pas
consenti. La liberté de la presse n'exonère donc pas les
journalistes de toute responsabilité lorsqu'ils présentent dans
les écrits périodiques ou sur les ondes la prestation d'un acteur
comme un reportage ou l'image d'un individu. De même, la publication de
photographie d'une comédienne, prise à son insu et
divulguée sans son autorisation, en donnant au surplus l'image d'un
être marqué par la souffrance et diminué physiquement,
porte atteinte au droit à l'image, nonobstant le caractère
bienveillant et optimiste du titre et du texte accompagnant ces
photographies2.
Egalement, il y a atteinte lorsque même dans
l'hypothèse où le consentement de l'intéressé a
été obtenu de façon expresse par une agence de presse
précise et que la photographie se retrouve publiée par un autre
organe de presse ou d'autres
1 Trib. P.I. Abidjan, 29 janvier 1976, n°228,
RID, 1976, n°1-2, p.35 .
2 Civ. 1ère, 10 juin 1978 : Bull. I,
n°191, p.41.
KOFFI Aka Marcellin 79
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l'information en côte - d'ivoire.
revues. C'est ce qui ressort des faits de l'arrêt de la
Cour d'Appel d'Abidjan1. En l'espèce, le sieur Yattien
Amigué avait donné son consentement pour que sa photo soit
publiée dans une revue générale africaine dans le cadre
d'une étude sur l'école des statistiques. A sa grande surprise,
il découvre que sa photo a été utilisée à
d'autres fins par des revues autres que la revue générale
africaine. Saisie de l'affaire en second degré, la C.A. a retenu
l'atteinte au droit à l'image en adoptant une interprétation
stricte du consentement donné.
Il en va de même pour la publication d'un cliché
représentant une artiste ou une personne dans une autre revue que celle
pour laquelle elle a donné son consentement2.
Aussi, a-t-il été sanctionné,
l'utilisation à des fins publicitaires, la photographie d'un
président de la République pilotant un bateau mû par un
moteur hors bord ; la publication de cette photographie, prise dans un lieu
public, pour illustrer les vacances du Chef de l'Etat n'aurait sans doute
encouru aucun reproche. Mais s'agissant de vanter un produit, l'atteinte au
droit à l'image et partant à la vie privée n'a pu
bénéficier d'aucun fait justificatif3.
En définitive, l'atteinte à la liberté de
la vie privée est consommée en cas de détournement du nom
ou de l'image d'une personne à d'autres finalités autres que
celles pour lesquelles la victime a donné ou non son consentement.
Le consentement, est donc, à notre sens, le facteur ou
l'élément déterminateur de l'atteinte ou non de la vie
privée des individus.
L'exploitation d'un élément de la vie
privée d'une personne est donc conditionnée par la volonté
de l'intéressé. Et c'est cette volonté, encore
appelée consentement (exprès ou tacite) qui permettra au juge de
guider son verdict quant à l'exploitation licite ou illicite de la vie
privée d'une personne publique ou non.
Le journaliste, a donc intérêt pour un meilleur
exercice de son métier à cerner les contours ou les conditions de
l'exploitation à but informatif des éléments,
1 C.A. Abidjan, 2 juillet 1982 (inédit). Voir
Annexe 3.
2 C.A. Paris, 14 mai 1975, D. 1976, p.291 .
3 G. Goubeaux, P. Birh, Les épreuves
écrites du droit civil (méthodes et modèles),
7e éd. LGDJ, Paris, 1993, pp.83-84.
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l'information en côte - d'ivoire.
composant la vie privée des gens même si notre
époque apparaît comme celle de décadence de la vie
privée. Le journaliste doit, à cet effet, se tenir constamment au
courant de l'évolution du domaine législatif et jurisprudentiel
pour une meilleure aise de l'exercice de son métier.
« Le journalisme est un métier très
noble. Par conséquent, son exercice doit se faire avec beaucoup
d'attention ». Ce qui nous ouvre le champ à analyser les
conséquences des atteintes par voie de presse sur la vie des personnes
victimes, surtout que les atteintes aux détails de la vie privée
des personnes se propagent à la vitesse de la lumière pour
atteindre les lieux les plus reculés de notre planète. Alors
question : quelle incidence des atteintes des médias sur la vie
personnelle et familiale des victimes ?
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