L'ordre public et la liberté de manifestation. Réflexions sur les limitations du régime de déclaration en droit comparé congolais et français.par Jean Faustin Bafwa Katombe Université officielle de Bukavu - Graduat en Droit, option Droit public interne 2019 |
SECTION 2 : LE RÉGIME JURIDIQUE DES MANIFESTATIONS EN DROITS CONGOLAIS ET FRANÇAISNous commencerons par étudier les textes de loi relatifs à l'exercice de la liberté de manifestation en droit positif congolais avant de voir ce qu'il en est en droit français. §1. Cadre juridique de la liberté de manifestation en droit congolaisAvant la promulgation de la Constitution, un texte réglementaire en l'occurrence le Décret-loi n° 196 du 29 janvier 1999 régissait ce droit. En effet, l'article 4 de ce texte est ainsi formulé : « Sans préjudice des dispositions de l'article 1er du présent décret-loi, les manifestations et réunions visées à l'article 3, alinéa 1, sont soumises à une déclaration préalable auprès des autorités politico-administratives compétentes. Toutefois, les manifestations et les réunions organisées sur le domaine public peuvent être subordonnées à l'autorisation préalable »24(*). Ce texte prévoit deux régimes à savoir celle de déclaration de principe et celle d'autorisation d'exception, mais ne détermine pas dans quelles circonstances les manifestations sur la voie publique peuvent être subordonnées à l'autorisation. Cependant, l'alinéa 2 de l'article 4 de ce texte est devenu caduc, donc de nul effet, avec l'entrée en vigueur de la Constitution qui, en son article 26, dispose : « La liberté de manifestation est garantie. Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air, impose aux organisateurs d'informer par écrit l'autorité administrative compétente. Nul ne peut être contraint à prendre part à une manifestation. La loi en fixe les mesures d'application »25(*). Cette disposition constitutionnelle a établi un système de simple notification préalable à l'autorité administrative habilitée - dont nous aurons l'occasion de parler dans le second chapitre de ce travail - en modifiant l'ancien régime institué par le Décret-loi de 1999 ci-dessus. Elle veut cependant que les conditions de mise en application du principe par lui posé soit coulées dans une loi particulière. Par ailleurs, la Loi électorale régit les manifestations en période de la campagne électorales (rassemblements électoraux), et les manifestations en la matière sont soumises au régime de déclaration comme voulu par la Constitution. En effet, sur pied de l'article 29 de cette loi : « Les rassemblements électoraux, au cours de la campagne électorale, se déroulent conformément aux dispositions légales relatives aux manifestations publiques. Seuls sont habilités à organiser des réunions électorales, les partis politiques, les regroupements politiques et les candidats indépendants. Les réunions électorales se tiennent librement sur l'ensemble du territoire national. Déclaration écrite en est faite au moins vingt-quatre heures à l'avance à l'autorité locale compétente qui en prend acte. Les organisateurs des manifestations et rassemblements électoraux veillent à leur bon déroulement, notamment en ce qui concerne le maintien de l'ordre public et le respect de la loi. Ils peuvent, le cas échéant, demander l'assistance des agents de la Police nationale congolaise »26(*). Cette disposition a le même esprit de celle constitutionnelle en ce qui concerne la déclaration préalable, mais elle est plus précise et plus méticuleuse notamment en ceci qu'elle cite limitativement les personnes physiques et morales dignes d'organiser un rassemblement à caractère électoral ; fixe le délai minimum de 24 heures pour déclarer une manifestation à l'avance à l'autorité compétente du lieu qui l'acte ; donne la possibilité aux organisateurs de demander aux forces de l'ordre de leur prêter main forte ; mentionne que la responsabilité de veiller à la bonne tenue du rassemblement incombe aux organisateurs qui doivent respecter l'ordre public et la loi ; et, le plus important, souligne que ces rassemblements ont lieu librement (sans entrave) sur tout l'espace étatique. Il sied de faire remarquer que cette loi est dans ce domaine précis, une loi spéciale qui déroge à la règle générale du fait de la matière particulière qu'elle traite à savoir les élections. Dans la foulée, quatre mois seulement après l'entrée en vigueur de la Constitution, le ministre de l'intérieur avait pris une note circulaire afin de rendre conforme le cadre juridique infra constitutionnel au principe posé par le constituant. De fait, le ministre n'avait pu que rappeler certaines dispositions du Décret-loi et de la Loi électorale respectivement celles relatives au délai de déclaration et à la faculté de l'autorité de changer les date, itinéraire et lieu de la manifestation projetée. Peut-on lire dans la note circulaire : « [...] de commun accord avec les organisateurs, différer la date ou modifier l'itinéraire ou le lieu de réunion ou des manifestations envisagés si les raisons de sécurité et de l'ordre public l'imposent »27(*). Pourtant, en matière de droit administratif, il n'est pas possible de négocier les mesures d'ordre public. Cette affirmation est appuyée par le professeur Telesphore Muhindo Malonga en ces termes : « [...] le pouvoir de police ne se délègue pas et ne saurait faire l'objet de contrat »28(*). La circulaire devrait plutôt prévoir la consultation des organisateurs et leur accord ou pas devrait être sans effet. Se voulant explicative, l'on comprend vite qu'elle n'a fait que reprendre in extenso les dispositions de l'article 7, alinéa 2, du Décret-loi de 1999 lequel, nous le verrons ci-dessous, a été modifié par la proposition de loi Sesanga sur les manifestations et réunions publiques, pendante au parlement. Dans la pratique, en revanche, les autorités continuent de soumettre les manifestations publiques, ainsi que des rassemblements privés, à une autorisation préalable en vertu de l'article 4, alinéa 2, du Décret-loi de 1999, bien que ses dispositions soient nulles et de nul effet puisque contraires à l'article 26 de la Constitution qui institue le régime de déclaration et à son article 221 aux termes duquel les textes législatifs et réglementaires en vigueur restent valables à condition qu'ils ne lui soient pas contraires... « Le 16 novembre 2013, le député de l'opposition Delly Sesanga Hipungu a présenté à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à fixer les mesures d'application du droit à la liberté de manifestations publiques, conformément aux articles 25 et 26 de la Constitution de 2006. Si elle est adoptée, cette loi remplacera le Décret-loi du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et des réunions publiques, aux termes duquel toutes les manifestations et réunions organisées sur la voie publique ou dans des lieux publics ouverts peuvent être subordonnées à une autorisation préalable [...] Après de nombreux aller-retours au sein du Parlement, la proposition de loi Sesanga a finalement été adoptée par les députés et les sénateurs en octobre 2015 et transmise au Président de la République pour promulgation. Cependant, le président Joseph Kabila ne l'a jamais promulguée et a annoncé, lors d'une conférence de presse tenue le 26 janvier 2018 à Kinshasa, qu'il avait renvoyé ce texte devant le Parlement pour réexamen ».29(*) Cette proposition de loi, bien que critiquée par l'analyse de Amnesty international, semble être en accord avec l'idée de l'ordre public. En effet, elle prévoit désormais l'invalidité de la déclaration préalable déposée par les organisateurs si certaines conditions ne sont pas respectées. Lesdites conditions sont énumérées à son article 10 : «...identité, adresse, téléphone et/ou adresse électronique des organisateurs ; identité, adresse, téléphone et/ou adresse électronique des représentants si l'organisateur est une personne morale ; objet, date et durée de la manifestation ; parcours ou lieu du rassemblement »30(*). En outre, à l'article 13, il est dorénavant donné à l'autorité habilitée le pouvoir d'imposer aux organisateurs le changement de la date, du lieu et de l'itinéraire d'une manifestation. Ce qui est conforme au caractère non négociable des mesures d'ordre public. Tout compte fait, la faiblesse de la loi Sesanga réside dans le fait qu'elle prévoit un délai minimum très long (7 jours) pour le dépôt de la déclaration. * 24 « Décret-loi du 29 janvier 1999 portant réglementation des manifestations et des réunions publiques », in www.leganet.cd/Legislation/Droit%20Public/Ordre/DL.29.01.1999.htm, [consulté le 20 septembre 2019]. * 25 J.O.R.D.C., 52ème année, Op.cit., p.15. * 26 J.O.R.D.C., 58ème année, Loi N°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales en RDC telle que modifiée et complétée à ce jour par la Loi n° 17/013 du 24 décembre 2017, première partie, n° spécial, 29 décembre 2017, p. 9. * 27 « Note circulaire n° 002/2006 du 29 juin 2006 relatives aux manifestations et aux réunions publiques », in http://desc-wondo.org/wp-content/uploads/2003/08/Note-Circulaire-relative-aux-manifestations-et-aux-reunions-publiques.pdf, [consulté le 02 août 2019]. * 28 T. MUHINDO MALONGA, Op. cit., p. 161. * 29 AMNESTYINTERNATIONAL, « Analyse juridique de la législation de la République démocratique du Congo sur le droit à la liberté de manifestation pacifique », 12 octobre 2018, pp. 8-9, in https://www.google.com/url?q=https://www.amnesty.org/download/Documents/AFR6291902018FRENCH.pdf&sa=U&ved=2ahUKEwjl8ZLYiI3lAhUST8AKHcwFDGUQFjAAegQIARAB&usg=AOvVaw0UTJrlB9g1IvkACk_XHkdl, [consultéle25septembre2019]. * 30Idem, p.10, note 38. |
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