L'ordre public et la liberté de manifestation. Réflexions sur les limitations du régime de déclaration en droit comparé congolais et français.par Jean Faustin Bafwa Katombe Université officielle de Bukavu - Graduat en Droit, option Droit public interne 2019 |
§2. Impossibilité d'agir autrementEn dehors d'hypothèses tout à fait exceptionnelles, l'autorité de police administrative ne peut interdire de façon générale les manifestations. Elle doit apprécier la situation en faisant des estimations concrètes de l'éventuel trouble à l'ordre afin d'évaluer les ressources nécessaires pour neutraliser le risque d'affrontements violents. Jugé qu': « une interdiction générale des manifestations ne peut se justifier que s'il existe un risque réel qu'elles aboutissent à des troubles qu'on ne peut empêcher par d'autres mesures moins rigoureuses »48(*). Dans le même sens, à propos d'une manifestation d'opposition à la visite du Président chinois, le Conseil d'État français a affirmé que « s'il appartenait au préfet de police de prendre toutes les mesures appropriées, notamment aux abords de l'ambassade de Chine, pour prévenir les risques de désordres susceptibles d'être occasionnés par les manifestations envisagés [...], il ne pouvait prendre un arrêté d'interdiction générale qui excédait, dans les circonstances de l'espèce, les mesures qui auraient été justifiées par les nécessités du maintien de l'ordre public à l'occasion de cette visite »49(*). L'interdiction d'une manifestation qui risque de troubler l'ordre public est nécessaire dans une société. Cependant, lorsque la menace n'est pas grave, elle est susceptible d'être contenue par d'autres mesures moins sévères comme le changement d'itinéraire, de l'heure ou de la date, ou encore de mettre en place des mesures appropriées pour l'encadrement de la manifestation. §3. Respect du principe de proportionnalitéEn vertu du principe de légalité, toute restriction aux droits des individus doit être conforme à la loi, et la règle de droit limitant les droits doit être clairement énoncée, c'est-à-dire sans ambiguïté. En vertu du principe de nécessité et de proportionnalité, les États doivent démontrer que les limitations sont nécessaires en vue d'atteindre un but légitime et sont proportionnées audit but, c'est-à-dire que les États doivent prouver l'existence d'un lien direct et immédiat entre la restriction et l'intérêt protégé. Très souvent, cette exigence est très loin d'être respectée dans le cadre de la liberté de manifestation. L'extrait de l'arrêté ci-dessous peut illustrer le caractère disproportionné de la restriction quant à ce : Extrait de l'arrêté urbain n° 3073/04/2017 du 23 novembre 2017 portant mesures d'interdiction des manifestations publiques dans la ville de Kananga (province de Kasaï central) « Attendu que la ville de Kananga vient de sortir d'une situation calamiteuse due à l'incursion de la milice Kamuina Sapu et est déclarée jusqu'à ce jour 'secteur opérationnel militaire' ; Attendu que les manifestations publiques peuvent favoriser les infiltrations imprévisibles des forces négatives dans la ville si nous n'y prenons pas garde ; Attendu que l'adage qui dit que vaut mieux prévenir que guérir ; Attendu les circonstances et par la force des choses, DECIDE QUE : Article 1 : L'organisation de tout type de manifestation publique est interdite dans toute la ville de Kananga jusqu'à nouvel ordre [...] »50(*) Les conventions internationales en la matière soutiennent que toute restriction au droit à la manifestation doit être légale et nécessaire à la démocratie. Pourtant, l'on voit clairement que la décision du maire ne repose sur aucune base juridique. Elle laisse à penser que la ville se trouve en état d'urgence ou en état de guerre mais en réalité aucune de ces situations n'a été déclarée. Même en pareilles situations, la loi n'autorise nullement à restreindre sans limites les libertés et droits fondamentaux. Bref, la décision du maire est manifestement illégale et mérite d'être attaquée. * 48 CEDH, 18 juin 2013, Gün c/ Turquie, n° 8029/07, § 50, cité par A. DUFFY-MEUNER et T. PERROUD (dir), Op. cit., p. 39, avec note. * 49 CE, 12 novembre 1997, Communauté tibétaine en France, n° 169295, cité par A. DUFFY-MEUNER et T. PERROUD (dir), Op. cit., p. 39, avec note. * 50 AMNESTY INTERNATIONAL, Op. cit., p. 6. |
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