La problématique de la candidature en droit électoral camerounais.par Valéry DJOBA KALVOKSOU Université de Maroua (Cameroun) - Master en droit public interne 2019 |
2. L'INSTRUMENTALISATION INSTITUTIONNELLEL'office du juge fait référence à l'idée que le juge doit faire ce que son devoir lui commande. En effet, chargé de remplir une double mission, notamment régler le litige et dire le droit, le juge exerce « un rôle à la fois unificateur et réfléchissant du droit dans une société de plus en plus polycentrique (...). Il doit donner un contenu concret aux principes pour chaque situation »172(*). Il en résulte que le juge doit exercer sa mission dans des conditions qui lui permettent de juger dans une liberté d'âme et de conscience. Madame la professeure Maryse DEGUERGUE remarque à ce propos que « l'office du juge est essentiellement la fonction de trancher les litiges au service de la justice et du respect des règles de droit. Le juge doit remplir cet office en toute neutralité »173(*). S'il est impératif que le juge soit entouré de toutes les garanties qui lui permettent de remplir sa mission en toute sérénité, il n'en va pas toujours ainsi dans la pratique. Le professeur ALIOUNE BADARA FALL écrit d'ailleurs sur la question que le juge africain est dénigré parce qu'il ne manifeste à l'égard de l'appareil politique aucune réelle indépendance lui permettant de garantir son impartialité174(*). Poser la question de l'instrumentalisation institutionnelle de
l'office du juge électoral amène à s'interroger sur son
statut, eu égard au caractère sensible du domaine
de Si l'on admet que l'efficacité de l'office du juge résulte de la qualité de la loi, il convient de préciser avec Jean CARBONNIER que « le droit est trop humain pour prétendre à l'absolu de la ligne droite. Sinueux, capricieux, incertain, (...) dormant et s'éclipsant, changeant mais au hasard, et souvent refusant le changement attendu, imprévisible par le bon sens comme par l'absurdité »176(*). Cette description du droit, si elle paraît excessive, ne s'éloigne pas de la réalité en ce qui concerne le droit électoral camerounais qui a connu plusieurs mutations législatives depuis l'avènement d'élections disputées. Le cadre normatif laisse transparaître beaucoup de malléabilité et prête le flanc à diverses interprétations par le juge électoral, de la règle de droit lacunaire ou imprécise. L'instrumentalisation institutionnelle de l'office du juge électoral se manifeste ainsi au travers de l'isolement du juge par un cadre juridique prolifique et par l'hermétisme du langage juridique employé. S'il est manifeste que le Cameroun croule sous le poids d'un foisonnement de textes juridiques qui neutralisent l'office du juge électoral, l'isolement du juge par la dispersion normative se dégage au travers de la multitude de textes juridiques existants qui encadrent et limitent son office. Dans un premier temps, son office est fragilisé par la difficulté éprouvée par les requérants peu habitués à la complexité du langage juridique, puisqu'ils doivent recourir à plusieurs textes juridiques pour rassembler les éléments qui leur permettent d'organiser leur action. En second lieu, la dispersion normative pourrait entraîner le juge électoral sur deux pentes sur lesquelles il ne faut pas se laisser glisser : celle du «laisser-faire» qui crée une insécurité générale dans la société au libéralisme débridé, et celle du « trop-faire » qui aboutit à un blocage ou une asphyxie177(*). La garantie des droits civils et politiques des citoyens impose que des normes soient réformées de manière réaliste et simplifiée afin de faciliter un accès efficace au juge électoral. La dispersion des textes juridiques constitue un facteur d'immobilisme de l'office du juge électoral et ne saurait concourir à une véritable érection d'un État démocratique doté d'institutions fortes. Monsieur Alain Lambert, condamnant l'inflation normative qu'il juge être une menace, une charge qui étouffe la démocratie, exhorte à ne pas tomber dans le juridisme178(*) qui donne l'impression que le droit est fabriqué en laboratoire et en dehors de la réalité179(*). * 172 GARAPON A., « La question du juge », in Pouvoirs, n°74, 1995, p. 13-27. * 173 DEGUERGUE M., « Des influences sur les jugements des juges », in L'office du juge, Les actes du colloque du Sénat, op.cit., p. 370-387. * 174 FALL A.B., « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans les systèmes juridiques en Afrique », op.cit., p.329. * 175 Le professeur Roland Ricci estime en effet que la légitimation du juge se manifeste en une sorte de processus qui décrit la rencontre entre la satisfaction des conditions nécessaires pour qu'un groupe social accepte le pouvoir juridictionnel, et la volonté des autorités juridictionnelles d'obtenir l'assentiment du groupe social. Ricci R., « La légitimation du juge constitutionnel : un législateur dérivé gardien des valeurs de la démocratie », in L'office du juge, Les actes du colloque du Sénat, op.cit. p. 490-527. * 176 Selon Hans Kelsen, une norme est efficace lorsqu'elle attache à la condition d'une certaine conduite la conséquence d'une sanction, ou lorsqu'elle est appliquée dans les cas concrets par les organes compétents. KELSEN H., Théorie pure du droit, 2ème édition, Paris, Dalloz, 1962, p. 15. * 177 LAMBERT A.,
Intervention sur le thème « Mettre fin à l'inflation
normative, rendre sa compétitivité à notre * 178 Le juridisme est défini comme un « formalisme de l'esprit qui incline à faire prévaloir rigoureusement l'application des textes sur des mesures dictées par la justice ou l'équité ». Définition tirée du portail lexical du CNRTL. [En line], site : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/juridisme. (Consulté le 20/05/2015). Le juridisme apparaît comme une pathologie de la règle de droit et pourrait se présenter sous deux aspects qui se complètent et s'interfèrent : la sclérose-- qui entraîne la prolifération de nouvelles règles inefficaces-- et la prolifération anarchique-- qui favorise la sclérose des règles inutiles-- de la règle de droit. Lire sur la question, DE NAUROIS L. « Le juridisme et le droit », p. 1064-1082. [En ligne], site : http://www.nrt.be/docs/articles/1968/90-10/1445-Le+juridisme+et+le+Droit.pdf. (Consulté le 20/04/2019). * 179 LAMBERT A.,
Intervention sur le thème « Mettre fin à l'inflation
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