IV- L'ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE DANS LE SECONDAIRE
L'enseignement de l'histoire au Cameroun a connu un chemin
tortueux. En effet, de ses programmes à ses méthodes
d'enseignement en passant par ses manuels et son personnel scolaire, toute
évolution s'est faite dans la lenteur. Comme si l'histoire était
une discipline inutile ou encombrante. D'où sa banalisation et parfois
la méfiance qu'elle pouvait susciter chez les décideurs de ce
pays. C'est ce parcourt de combattant de l'enseignement de l'histoire au
Cameroun que nous nous proposons d'analyser.
A- LES PROGRAMMES DE L'HISTOIRE
Selon Ibrahim Baba Kaké, la discipline historique
`'permet à l'enfant de se rattacher à ses ancêtres qui
peuvent lui inspirer des modèles à imiter, lui montrer des
erreurs à éviter»21. Si
20 A. AN, Loi n°98-4 du 14 avril 1998
d'orientation de l'éducation au Cameroun.
telle est la fonction de l'enseignement de l'histoire, nous
comprenons pendant très longtemps les programmes d'histoire
élaborés au Cameroun pendant une période de trente ans
étaient inadaptés. Car cette période marque l'absence de
l'histoire du Cameroun dans les programmes d'enseignement.
Jusqu'en 1964, l'histoire qu'on enseigne au Cameroun est celle
héritée de la période coloniale. Ce que confirme Salvador
Eyezo'o quand il dit : `' Au lendemain de l'accession à
l'indépendance, l'enseignement de l'histoire au Cameroun se faisait
encore sur la base de programmes hérité de la
colonisation''22. Hors ceux-ci avaient été
adaptés au contexte de colonisation. Pendant cette période le
Cameroun comme le reste de l'Afrique noire ne possédait pas d'histoire
écrite. On pallia à ce manque par l'histoire de la
métropole à laquelle on ajoutait quelques pages sur la
colonisation. L'enseignement devenait ainsi un moyen de répandre
l'idéologie coloniale et de justifier la politique qui en
découlait23. Pour les colons français, il fallait
inculquer au colonisé dès son jeune âge, la certitude de
son infériorité. A coté de son état intellectuel
émotif, il fallait ajouter la barbarie de ses ancêtres. Pourtant
Ki-Zerbo faisait remarquer que : `'quand un général romain
faisait exécuter son fils pour des raisons de discipline, on met cela au
compte de l'héroïsme patriotique. Quand Samori en fait autant, on
crie à la barbarie''24. Après cet exercice qui
consistait à montrer la négation du monde noir au jeune africain,
on pouvait facilement lui montrer la magnanimité, la bonté, la
générosité et la puissance de la nation colonisatrice. Car
celle-ci l'avait délivré de la tyrannie de « barbares
sanguinaires » comme Samori et lui apporter la paix et les bienfaits la
civilisation25. Voila le constat fait par Ki-Zerbo :
`'résultat écrit-il, ce sont les phrases comme celle-ci que j'ai
rencontrées dans les deux tiers des devoirs d'élèves
africains en 1964 : Samori était un homme sans foi ni loi, un
sanguinaire. Heureusement il a été éliminé par les
Français''26. Cette remarque est logique, si on s'en tient
à la déclaration du gouverneur général Ernest Roume
en 1924 :
21 L. Kaptué, `'Historiographie et enseignement
de l'histoire au Cameroun : problèmes et perspectives'' in La
recherche en histoire et l'enseignement de l'histoire en Afrique Centrale
francophone, Colloque International, Publications de l'Université
de Provence, 1997, p. 383.
22 S. Eyezo'o, `'L'enseignement de l'histoire dans
le secondaire au Cameroun'' in La recherche en histoire et l'enseignement
de l'histoire en Afrique Centrale francophone, Colloque International,
Publications de l'Université de Provence, 1997, p. 383.
23 R. Goufo Fosso, `'L'enseignement des sciences, p.
44.
24 J. Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique Noire :
d'hier à demain, Paris, Hatier, 1978, p. 28.
25 R. Goufo Fosso, `'L'enseignement des sciences, p.
44.
26 J. Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique, 1978,
p. 28.
Tout l'enseignement de l'histoire doit tendre à montrer
que la France est une nation riche, puissante, capable de se faire respecter,
mais en même temps grande pour la noblesse des sentiments,
généreuse et n'ayant jamais reculé devant les sacrifices
d'homme et d'argent pour délivrer les peuples asservis ou pour apporter
aux peuplades sauvages avec la paix, les bienfaits de la civilisation. Chantons
les chefs si braves qui prirent Samori ! Plus de fers, plus d'esclaves, nos
vainqueurs, merci27.
Dès lors, le jeune africain conscient de son
état sauvage embrassait sans ambages la civilisation occidentale.
L'extrait des programmes ci-après est un exemple clair
de ce que nous venons de démontrer. Il s'agit ici des programmes de
classe de terminale pour l'année scolaire1963-196428.
? L'Europe de 1848 à 1914
1. La révolution en France et la seconde
république.
2. Les révolutions de 1848 en Europe et leurs
conséquences.
3. Le seconde Empire : l'histoire intérieure et
extérieure.
4. La formation de l'l'unité italienne et de
l'unité allemande.
5. La France de 1871 à 1914 (histoire
intérieure).
6. Histoire intérieure des principaux Etats
européens : Angleterre, Autriche-Hongrie, Russie de 1849 à 1914,
Allemagne, Italie de 1871 à 1914.
? Le monde de 1848 à 1941
1. L'expansion européenne sous ses différentes
formes de 1849 à 1914. Les Empire coloniaux.
2. Les Etats-Unis d'Amérique de 1865 à1914.
3. L'Extrême-Orient du milieu du XIXe siècle
à 1914.
4. L'Eglise catholique du milieu du XIXe siècle
à 191429.
A travers ce programme de terminale, nous constatons que
l'histoire de la France et celle de l'Europe font la part belle dans les
programmes. Pour une raison de convenance, on ajoute deux leçons sur
l'histoire de l'Amérique et du l'Extrême orient. Comme ça
jusqu'en 1964 le Cameroun continuait à se sentir comme une région
de la France. Les vainqueurs de la conquête coloniale étaient
toujours les maîtres de leurs anciens territoires
27 C. Marchand,
L'enseignement au Cameroun sous le mandat français (121-1939),
Québec, université de Laval, 1970, p. 91.
28 E. Mveng Evina, `'l'histoire du
Cameroun dans les programmes de l'enseignement secondaire au Cameroun de
1960nà nos jours» in La recherche en histoire et l'enseignement
de l'histoire en Afrique Centrale francophone, Colloque International,
Publications de l'Université de Provence, 1997, p. 360.
29 R. Goufo Fosso, `'L'enseignement
des sciences, p. 45.
quatre ans après leur départ. A coté de
cette histoire des vainqueurs, les français ajoutaient un peu d'histoire
africaine. Qui dans son fond, était plutôt celle de la
conquête européenne de l'Afrique. Ce que confirment Sonolet et
Pères :
En ce qui concerne l'Afrique, il faudra donc se borner
à donner une idée sommaire de la pénétration
française, (histoire de l'Afrique étant faite des traditions
imprécises et dénuée de tout enchainement) ; quant
à notre histoire nationale, elle devra surtout fournir à
l'âme indigène d'exemples héroïques et inciter
à elle l'admiration30.
A travers le tableau que nous propose Mveng31 sur
l'évolution des programmes de l'histoire dans l'enseignement secondaire,
nous retenons ceci. Entre 1967 et 1990, la dynamique des programmes se
présentent comme ceci :
- 1960 à 1967, 283 cours d'histoire proposés
dans toutes les classes du secondaire dont 110 concernent l'histoire de
l'Afrique et 173 concernant celle de l'Europe ;
- 1967 à 1990, 296 cours d'histoire proposés
dans toutes les classes du secondaire dont 108 pour l'Afrique et le reste pour
le monde ;
- 1990, 163 cours d'histoire proposés dans toutes les
classes du secondaire dont 50 pour l'Afrique, 35 pour le Cameroun et le reste
pour le monde.
Ce tableau analytique montre ou mieux illustre le retard
qu'à connu le pays dans l'adaptation des programmes d'histoire avec le
nouveau contexte de pays indépendant ayant sa propre histoire. Le
tableau nous présente un vide de l'histoire du Cameroun dans les
programmes entre 1960 et 1990. Peut-être les inspecteurs chargés
d'élaborer les programmes n'étaient pas des nationaux ou ils
l'étaient mais n'ont pas trouvé d'intérêt à
l'histoire locale. Dans une troisième hypothèse, nous pensons le
contexte aurait favorisé cet oubli ou la mise en écart de la
mémoire d'un peuple. Cette hypothèse est corroborée par
Mveng Evina quand il évoque le manque de volonté politique ou la
manifestation d'une politique d'exclusion délibérément
voulue par les gouvernants32. Ainsi, il argumente en disant ceci
:
L'absence de l'histoire du Cameroun dans les programmes
officiels de l'enseignement de l'histoire au Cameroun peut aussi se justifier
par un choix politique. On peut plus précisément admettre que
c'est l'application d'une politique délibérée d'exclusion
par les gouvernants très soucieux de sevrer les Camerounais de leur
histoire. Cette deuxième approche est vraisemblable. Cette
volonté gouvernementale de maintenir les Camerounais dans l'ignorance de
leur passé glorieux était plus perceptible dans ses
30 C. Marchand, L'enseignement au Cameroun sous,
p. 91.
31 E. Mveng Evina, `'l'histoire du Cameroun dans les
programmes, p. 371.
32 Ibid. p. 377.
33 Ibid.
34 Ibid. p.175.
manifestations à travers le comportement inquisiteur de
ceux qui tenaient les rênes du pouvoir ou une parcelle du pouvoir
vis-à-vis des enseignants d'histoire. C'est ainsi que dans nos
lycées et collèges, de nombreux professeurs furent
inquiétés, séquestrés, emprisonnés,
déportés à cause d'une allusion historique faite lors d'un
cours d'instruction civique. Certains noms étaient proscrits du langage
courant : U.P.C., Um Nyobé, Félix Moumié, Ossende Afane ;
etc. De même certaines périodes de l'histoire de notre pays
étaient interdites à évoquer, exemple :
1947-196033.
Nous pouvons conclure que le problème n'était
pas seulement lié à la France, mais il était beaucoup plus
la volonté de Yaoundé. Pourtant nous notons une place très
importante qu'on accorde à l'histoire de l'Afrique, de l'Europe et du
Monde.
Il faut attendre 1990 pour voir l'histoire du Cameroun
s'insérer dans les programmes. Mais la encore on a raté le coche
de rattraper le grand retard a accusé dans l'intégration de son
histoire. Car sur un total de 163 leçons, on accorda seulement 35
à l'histoire du pays.
Alors, fort de ce que nous venons de constater comment un
peuple a-t-il pu être sevré de son histoire pendant 30 ans ?
Qu'est ce qui s'est passé pour que cette situation ne déplaise
à personne ? Mais cette erreur monumentale ne s'est pas arrêter
seulement au niveau des programmes, le personnel enseignant a toujours
posé un sérieux problème.
|