2- La France pays mandataire : artisane de la
laïcité de l'Etat camerounais
La France fut la dernière puissance colonisatrice
à conduire le Cameroun jusqu'à l'indépendance, L'analyse
de Maurice Kamto sur le lien entre la constitution de 1996 du Cameroun et celle
de la révolution française de 1789 sont autant
d'éléments qui peuvent établir le rôle de la France
dans le choix de la laïcité par le Cameroun.
Après la première guerre mondiale82
et la conférence de paix, la Société des Nations (S.D.N.)
place entre autre, les territoires allemands sous mandat.83 Le
Cameroun faisait parti de ces territoires et les pays mandataires
étaient la France et la Grande-Bretagne. Dès lors ces deux
puissances sont mandataires de cette ancienne colonie germanique. Malgré
la deuxième guerre mondiale, plus grande chose ne va changer. On sait
seulement que le régime de mandat va simplement se transformer en
tutelle de l'O.N.U84. Pour ce qui est de l'administration
française qui nous concerne d'ailleurs, il faut dire que le pays
hérité est considéré comme une nouvelle colonie.
Dès lors, la politique appliquée ici est celle de l'assimilation.
Il serait dont question de faire du territoire camerounais une copie pâle
de la métropole. Le pays a connu
80 Ibid.
81 Ibid.
82 B. Delaveau, C. Mongnet et al ;
Décolonisation et problèmes de l'Afrique
indépendante, Paris, Edicef, 1983, p. 84.
83 A. Ahidjo, L'Encyclopédie de la
République Unie du Cameroun, Yaoundé, Les Nouvelles Editions
Africaines, 1981, p. 57.
84 Ibid. p.
son évolution dans le cadre des réformes que
faisait la métropole pour ses colonies de l'AOF et de l'AEF. D'abord
l'Union Française en 1946. Cette constitution qui fut rejetée
d'abord le 5 mai 1946 par ce qu'elle ne répondait pas aux
intérêts des colons85 se verra pour la deuxième
tentative adoptée le 27 octobre 1946. Celle-ci créa l'Union
Française. Elle était formée d'une part de la
République Française qui comprend la France
métropolitaine, les départements et les territoires d'Outre-mer,
d'autre part, des territoires et Etats associés86. L'impact
de cette constitution au Cameroun fut le droit accordé à son
territoire d'élire des représentants à l'Assemblée
Nationale Française, le territoire était également
représenté au Conseil de la République Française et
au Conseil Economique Français87.
La loi-cadre Gaston Defferre de 1956 apportait d'autres
réformes pour l'évolution politique du Cameroun. Ainsi les
élections au sein de toutes les assemblées du Cameroun
Français allaient désormais être faites par un
collège unique. Grâce à cette loi, le territoire obtint sa
première constitution en 1957 et eut son premier chef du gouvernement le
15 mai 195788. Et le 1er janvier 1960, le Cameroun
accédait à son indépendance sous la direction d'Ahidjo.
Alors nous constatons que dans son processus vers l'autodétermination,
le pays fut accompagné par la France. Dès lors penser que la
nature laïque de l'Etat du Cameroun est une signature de la France serait
justifié, car cette dernière était déjà
laïque depuis plusieurs siècles et ne trouvait pas son
intérêt à donner une autre nature à son ancienne
colonie qui devenait un Etat. Surtout quand-t-on sait que pendant cette
période tout était fait par les Français. Ce qui
signifierait que les constitutionalistes de cette première heure
seraient ceux-ci.
D'autres facteurs internes peuvent expliquer l'orientation du
Cameroun vers une république laïque. Celui d'une multitude de
religions sur son sol depuis la colonisation allemande. En effet, le Cameroun
allemand était un territoire partagé entre plusieurs religions.
Le Grand Sud chrétien (Missions Baptistes de Londres, Mission
Protestante Américaine, la Mission Allemande de Bâle) et le Grand
Nord musulman89. Ainsi quand les Français arrivent en 1916,
ils trouvent cette réalité. Cette diversité des religions
était déjà un facteur de laïcité. Car il
85 Les milieux coloniaux avaient
parfaitement pris conscience du danger qui les menaçait, car l'extension
du système démocratique et du suffrage universel les rendait
minoritaires dans les territoires et donc incapables d'orienter la politique
dans le sens de leurs intérêts.(B. Delaveau, C. Mongnet et al ;
Décolonisation et problèmes de l'Afrique
indépendante, Paris, édicef, 1989, P.70.).
86 B. Delaveau, C. Mongnet et al ;
Décolonisation et problèmes de l'Afrique
indépendante, Paris, édicef, 1989, P.71.
87 V. J. Ngoh, Cameroun 1884-1985 Cent ans
d'histoire, Yaoundé, CEPER, 1990, p. 116.
88 Ibid. p. 140.
89 Ibid. pp. 7-27.
était difficile pour le pays de pencher pour une
religion quelconque de peur de léser une partie de la population
à cause de son attachement à une religion différente.
A propos de cette laïcité de l'Etat Cameroun,
beaucoup de juristes camerounais pensent que le pays l'a hérité
des droits classiques français de 1789. C'est le cas de Maurice Kamto
qui citait dans `'Chroniques Juridiques» en 1996 quelques droits
classiques hérités de la révolution de 1789. Ils sont :
- Le principe d'égalité ;
- La sûreté personnelle ;
- L'inviolabilité du domicile ;
- Le secret de la correspondance ;
- L'accès à la justice ;
- La liberté de conscience et de culte ;
- La liberté d'expression et de presse ;
- La laïcité de l'Etat90.
Parmi ces droits fondamentaux il se trouve que la
laïcité de l'Etat y figure, preuve que le Cameroun aurait
hérité des droits classiques français dans ses
différentes constitutions. Alors à travers l'examen du rôle
de la France dans le processus de décolonisation au Cameroun, les
facteurs internes matérialisés par une multitude de religions et
la position de Maurice Kamto, nous avons tenté de montrer que la nature
laïque de l'Etat camerounais viendrait de la France. Mais alors, il est
sans doute que d'autres sources de la séparation de l'Eglise et l'Etat
au Cameroun existent.
|