CHAPITRE II : UN CADRE D'ACCUEIL LAIC POUR
L'ENSEIGNEMENT DU FAIT RELIGIEUX
Après plusieurs années de colonisation
marquées par l'exploitation, les humiliations et la servitude, plusieurs
pays africains accèdent à l'indépendance dans la
période de 1960. A l'instar de ces Etats, le Cameroun devient un
territoire souverain le 1ere janvier 1996054. Pourtant avant 1884 il
n'existe pas en tant que tel. Il faut attendre la signature du traité
germano-douala pour voir naitre un vaste territoire peuplé de plusieurs
communautés ethniques55. Ce nouvel Etat est une
république « laïque ». Ce qualificatif semble être
une distinction liée à ses rapports avec les églises.
Pourtant tout reste à croire que cette terminologie est nouvelle pour
les Camerounais. Dès lors se poser la question de savoir comment ce
territoire est devenu une république laïque ne surprendrait
personne. Et comment cette laïcité s'applique à
l'école ? A cet effet, des réponses à ces
préoccupations sont évidentes. Pour se faire, nous allons tenter
d'examiner les sources de la laïcité au Cameroun et montrer comment
celle-ci s'applique dans le milieu scolaire.
I- LA LAICITE AU CAMEROUN
`'La république laïque du
Cameroun»56n'est pas une invention des Camerounais, cette forme
d'Etat aurait était inspirée par beaucoup de
réalités historiques. A travers l'impact de la colonisation
française, les lois internationales sur les droits de l'homme et la loi
fondamentale du Cameroun, nous allons essayer d'établir les sources de
la laïcité de l'Etat camerounais.
D- UNE LAÏCITE CALQUEE SUR LE MODELE
FRANÇAIS
Plusieurs siècles avant le Cameroun, la France
était déjà une République laïque. En nous
appuyant sur la nature des relations coloniales entre le Cameroun et la France,
il serait facile de conclure que la laïcité a était l'effet
de diffusion au Cameroun à travers les acteurs coloniaux.
54 B. Delaveau, C. Mongnet et al.,
Décolonisation et problème de l'Afrique
indépendante, Paris, édicef, 1989, p. 86.
55 Ibid. p.84.
56 In « préambule de la
constitution du 4 mars 1960 ».
1- La France : une République laïque
La France devenue une République laïque
après la révolution de 1789 transfert cette laïcité
à l'école en 1905.
C'est sans conteste à partir de la révolution
française, que le concept de laïcité prend racine. Elle
marque le point de départ d'une laïcisation de la
société. En effet à partir du 14 juillet 1789 la France
monarchique va connaitre un bouleversement. Le peuple et le parlement demande
un certain nombre de concessions au roi Louis VI57. Mais celui-ci de
peur de perdre ses privilèges hésite et tente de faire intervenir
les troupes pour disperser l'Assemblée et pense faire appel ses
alliées européennes58. Mais cette réaction du
roi n'est pas persuasive pour les députés qui dans la nuit du 4
août vote la déclaration des droits de l'homme et du
citoyen59. C'est cette déclaration pose les bases de la
laïcité60. Les philosophes du siècle des
lumières critiquent vivement l'emprise que l'Eglise a pu avoir sur les
esprits.
Incontestablement, les idées qui animeront la foi
laïque prennent leur premier élan dans l'Encyclopédie de
Diderot, dans le dictionnaire philosophique de Voltaire et son essai des
moeurs, dans le contrat social de Rousseau (..). Le message novateur proclame
la tolérance universelle, dissocie la morale et le dogme, conçoit
et propose une honnêteté naturelle indépendante du
catholicisme traditionnel et distincte de la religion61.
Cette citation que l'on doit à Louis Capéran,
montre l'ampleur et les prémices de la naissance de la
laïcité dans un contexte de Critique des abus de l'Eglise par les
élites intellectuelles62.
En 1792, le marquis de condorcet émet l'idée,
à travers son projet intitulé `'Rapport et projet de
décret sur l'organisation générale de l'instruction
publique», d'un système éducatif séparé de
l'influence importante de l'Eglise depuis des siècles63. Il
veut une école obligatoire, gratuite et sans religion mais
également égalitaire des garçons et des filles. Bien que
très mal accueilli, ce projet constituera la base de
référence un siècle plus tard avec Jules Ferry. Il
57 En effet, le 5 mai 1789 à Versailles a
lieu les Etats généraux. Cette rencontre réunissait les
députés du tiers état, ceux de la noblesse, du
clergé et le roi. Il était question que le roi annonce des
grandes réformes sur les domaines sociales et juridiques. Mais le roi
Louis VI n'a fait aucune annonce. Cette situation crée une
déception chez les députés qui décident de doter le
pays sans le consentement du souverain d'une constitution qui encadre les
droits et les libertés des citoyens. (M. Ivernel, a. Carol et al,
Histoire Géographie 4è, Paris, Hatier, 2002, pp.
66-67.
58 Ces alliées sont les royaumes d'Angleterre,
de Hollande, d'Autriche Prusse, d'Espagne et de Sardes.
59 M. Ivernel, a. Carol et al, Histoire
Géographie 4è, Paris, Hatier, 2002, p. 66.
60 Confère une copie de la déclaration
des droits de l'homme et du citoyen (Annexe I).
61 L. Capéran cité par C. Nabor,
`'Enseigner le fait religieux», p. 14.
62 C. Nabor, `'Enseigner le fait religieux, p. 14
63 Ibid.
propose notamment de `'n'admettre dans l'instruction publique
l'enseignement d'aucun culte''. Condorcet voue une farouche hostilité
à l'influence de l'Eglise64.
La France connait une période de grande violence
anticléricale, la déchristianisation, qui culmine dans les
années 1793-1794. La décision de 1795 est la première
séparation de l'Eglise et de l'Etat) censée apaiser les tensions,
n'y parvient pas vraiment et la laïcisation de l'Etat prend fin en 1801
avec le Concordat65.
Ce Concordat signé le 15 juillet 1801 entre le premier
consul Bonaparte et le Pape Pie VII met fin aux guerres civiles et religieuses
qui avaient divisé les Français pendant la révolution
française66. Cette situation de l'institution de la loi de
laïcité et sa levée par Bonaparte est comparable à la
danse Bafia. Il faut attendre 1905 pour assister à la vraie
séparation de l'Eglise et de l'Etat67. Emile Combes avait
lutté de manière radicale contre les congrégations en 1902
puisqu'elles sont presque toutes interdites, et en 1904, 2000 écoles
avaient été fermées. Combes ayant été
forcé de démissionner, c'est le président du conseil
Maurice Rouvier qui fait voter la loi préparée par Aristide
Briand, lui-même conseillé par Jean Jaurès. Le projet de
Combes était très dur et celui qui aboutit à la loi est
plus souple.
L'article 4 de la loi admet les différences
d'organisation interne des l'Eglises et la structure hiérarchique de
l'Eglise catholique68. Jaurès pensait qu'il fallait penser
à long terme, en espérant une évolution interne de
l'Eglise catholique qui s'acclimaterait progressivement à la
laïcité. La loi prône la liberté de penser librement,
le droit de penser à l'égard des dogmes et des
préjugés et ne va nullement à l'encontre de la
liberté de conscience ; c'est pourquoi, on ne saurait confondre la
laïcité et l'athéisme.
Il s'agit à travers de cette loi, la
laïcité de la République puisque celle-ci prône d'une
part que `'L'Etat assure la liberté de culte, dans le respect de l'ordre
public''69 puis d'autre part que `'l'Etat ne cautionne et ne
subventionne aucun culte''70. La loi de 1905 est l'aboutissement
d'un long conflit, de plus d'un siècle en France ; celui-ci aura
opposé l'église catholique aux héritiers
révolutionnaires. Cette laïcité sera
réconfortée à travers les constitutions de 1946 et celle
de 1958.
64 C. Nabor, `'Enseigner le fait religieux'', p. 14
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Confère loi du 9 décembre 1905
concernant la séparation des Eglises et l'Etat (Annexe II).
68 Article 4 de la loi du 9 décembre 1905
concernant la séparation des Eglises et l'Etat
69 Article 1 de la loi du 9 décembre 1905
concernant la séparation des Eglises et l'Etat
70 Article 2 de la loi du 9 décembre 1905
concernant la séparation des Eglises et l'Etat
La constitution de la quatrième République
datant du 27 octobre 1946 reconnait le concept de la laïcité. En
effet, il est instauré dans le préambule de celle-ci lorsqu'il
est écrit que : `'L'organisation de l'enseignement public gratuit et
laïque à tous les degrés est un devoir pour
l'Etat''71. De plus, dans l'article premier de la constitution de
1946, il est affirmé que `'la France est une République
indivisible, laïque, démocratie et sociale''72. En 1958,
une nouvelle constitution est promulguée. Elle conforte le texte de la
constitution de 1946 et donc la reconnaissance de la laïcité. Son
préambule en reconnait l'attachement du peuple français aux
droits définis dans la déclaration de 1989. Le premier article
reprend d'autre part la formule figurant dans la constitution de 1946, à
savoir que la `'République assure l'égalité devant la loi
de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle
respecte toutes les croyances''73. Alors fort de ce qui
précède, nous constatons que le caractère laïque de
la République Française a connu une évolution en dent de
scie. Mais dès le début du XXe siècle cette
laïcité est confortée. En se défaisant de la
prééminence de la religion sur l'Etat, le domaine de
l'enseignement n'a-t-il pas été affecté par cette
réforme ?
Le système de l'enseignement d'un pays est tributaire
de la nature de son Etat. C'est pourquoi nous pensons que la révolution
qu'a connue depuis 1789 a aussi eu des effets sur le domaine scolaire. Trois
étapes marquent la laïcité dans l'alphabétisation. En
abolissant la loi de 1795, Bonaparte reliait à nouveau l'Etat à
la religion. Ce contexte conforte l'Eglise et les cléricaux, qui se
méfient de la République et des intellectuels. Ils donnent la
priorité à l'éducation religieuse sur
l'instruction74.
En effet, en 1816, une ordonnance royale accorde la
priorité à l'éducation religieuse et rend obligatoire le
catéchisme. Ceci est dû à la nature du régime qui
est une monarchie constitutionnelle très cléricale, souhaitant
restaurer par tout, l'influence de l'Eglise. Les écoles religieuses se
développent considérablement sous la restauration
(1815-1830)75. Pourtant ce recul de la laïcité soutenu
par Bonaparte et l'Eglise n'empêche en rien du sentiment
anticlérical. Celui-ci progresse notamment pour prôner le
mépris envers le catéchisme.
C'est sous la monarchie de juillet (1830-1848) que Guizot,
grand historien, impose de par cette loi, à chaque commune d'ouvrir une
école publique, sans pour autant dégager l'enseignement primaire
de la tutelle de l'Eglise : `'L'instruction primaire est privée ou
71 In « préambule de la constitution de
1946 ».
72 Extrait de l'article Ier de la constitution de
1946.
73 C. Nabor, `'Enseigner le fait religieux, p. 18.
74 Ibid. p. 15.
75 Ibid.
publique». Avec cette loi, l'instruction primaire
élémentaire comprend `'l'instruction morale et religieuse, la
lecture, l'écriture, les éléments de la langue
française et du calcul, le système légal des poids et
mesures». Cette loi marque un premier pas pour faire de l'école une
`'affaire d'Etat»76.
La loi Falloux de 185077 veut redonner à
l'Eglise le contrôle sur l'école. Elle rétablit notamment
le contrôle du curé et établit la totale liberté de
l'enseignement secondaire favorable aux écoles religieuses qui doivent
concurrencer le secondaire laïque78.
Les lois laïques de 1879-188279 marquent la
dernière étape de l'alphabétisation. L'instruction
publique est un enjeu majeur de la troisième République dans un
contexte de combat idéologique et conflictuel avec l'Eglise. En 1880,
Camille Sée crée les collèges et lycées de filles
et exclut l'enseignement religieux des heures de classe, mettant fin à
la loi Falloux de 1850.
En 1881 et 1882, jules Ferry alors ministre de l'Instruction
publique, remanie l'enseignement primaire. Il propose ce que l'on nomme les
`'lois laïque» en se fondant sur l'utopie de Condorcet . La loi de
1881 instaure l'école gratuite et obligatoire pour les garçons et
les filles de 6 à 13 ans. Un an plus tard en 1882, l'école
publique devient laïque. Les programmes scolaires sont
laïcisés, la religion étant affaire privée, le
catéchisme n'est plus enseigné. De plus Jules Ferry affirme que
ces deux lois ne sont pas des lois de combat dans une circulaire de 1883
adressée aux enseignants. Voici le contenu : `'L'instruction religieuse
appartient aux familles et à l'Eglise. L'instruction morale à
l'école. La loi a pour premier objet de séparer l'école de
l'Eglise, d'assurer la liberté de conscience et des maitres et des
élèves, distinguer entre deux domaines trop longtemps confondus,
celui des croyances, qui sont personnelles, libres, variables, et celui des
connaissances qui sont communes et indispensables à tous». C'est
ainsi que dans les programmes l'instruction morale et religieuse est
remplacée par l'instruction morale et civique qui est basée sur
un fondement philosophique. L'article premier de la loi du 28 mars 1882
énonce les disciplines enseignées à l'école
primaire et accomplit la réforme la plus déterminante en faisant
disparaitre l'instruction religieuse des anciens programmes issus de la loi
Falloux.
76 C. Nabor, `'Enseigner le fait religieux, pp.
16-17.
77 Ibid. 78Ibid. 79Ibid.
Jean Marie Mayeur insiste sur le fait que `'l'obligation, la
gratuité et la laïcité formait aux yeux des
républicains un atout inséparable. La gratuité permet
l'obligation qui, dans un pays divisé de croyance, impose la
laïcité''80.
La loi Goblet datant du 30 octobre 1886 interdit aux
ecclésiastiques d'enseigner dans le public, il s'agit de par cette loi
d'imposer la laïcisation du personnel dans les écoles publiques.
L'école de la République a été un
franc succès avec d'une part la laïcité et d'autre part la
centralisation notamment en ce qui concerne les programmes scolaires
remaniés et la loi de 1886 qui impose de manière statutaire la
laïcisation des personnels enseignants. Le principe de laïcisation de
l'école ayant été consacré, restait à
l'étendre à l'ensemble de l'Etat81. En somme, le
domaine de l'enseignement a emboité le pas à la laïcisation
de la République Française. Alors à travers ce qui
précède, nous avons examiné la longue marche de la
laïcisation de l'Etat français. Dès lors, voyons en quoi
cette France a pu être l'une des sources de la République
laïque au Cameroun.
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