1.2. Méthodologie de la recherche
1.2.1. Cadre de la recherche
Nous nous inscrivons ici dans une démarche qualitative
: l'intérêt principal de cette recherche est d'observer et
d'analyser des pratiques qui peuvent se montrer très diverses, et non
pas de se contenter de générer des informations statistiques ;
cela ne nous empêchera pas de traiter certaines informations au travers
de chiffres, une recherche qualitative n'excluant pas des aspects quantitatifs
(Dumez, 2013 :11).
De par la nature du choix du sujet de cette recherche, notre
position était claire depuis les débuts de ce travail.
L'importance du développement d'une compétence plurilingue et du
décloisonnement des apprentissages langagiers est pour nous un fait
avéré. L'intérêt de cette recherche se situait donc
plutôt dans la confrontation de cette croyance aux pratiques
réelles des enseignants, ceci impliquant, bien évidemment, une
certaine remise en question. Cependant, donc, le caractère
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personnel de l'origine de cette recherche nous a poussé
à nous positionner avec un certain degré de subjectivité.
Si l'objectivité du chercheur est souvent glorifiée, il existe
toujours une part de subjectivité dans le domaine des sciences humaines
; « les chercheurs qualitatifs reconnaissent que la nature même des
données recueillies et les processus analytiques dans lesquels nous nous
engageons sont fondés sur la subjectivité2 »
(Morrow, 2005 :254). Malgré cette part de subjectivité, nous nous
engageons toutefois à garder un esprit ouvert, préparés
à remettre nos opinions en cause à l'étude des
témoignages d'enseignants.
1.2.2. Les techniques d'enquête
« Beliefs cannot be directly observed or measured but
must be inferred from what people say, intend, and do - fundamental
prerequisites that educational researchers have seldom followed »
(Pajares, 1992 :341)
a) Le questionnaire
Le but de ce présent travail est, comme nous l'avons vu
précédemment, d'étudier les pratiques langagières
d'enseignants quant à l'utilisation de la L2, et plus
précisément de l'anglais, dans le cadre du cours de
français langue étrangère. Nous considérons dans
cette recherche le norvégien comme langue première (ou L1) et
l'anglais comme langue seconde ou première langue
étrangère apprise à l'école (L2). Nous nous
référons ici à la notion de pratique langagière
comme à « une forme particulière de l'analyse des discours,
l'analyse des dialogues, [...] [et l'interrogation des] rapports de force
symboliques qui se tissent par le biais de l'exercice langagier »
(Véronique, 2012 :89), soit les modalités du contrat didactique.
Pour ce faire, le noyau de notre recueil de données comporte donc trois
éléments essentiels. Le premier est de déterminer si les
enseignants incorporent ou non l'anglais dans la classe de français. Le
second est de comprendre et d'étudier les emplois que les enseignants
ayant répondu positivement à notre première interrogation
attribuent à l'anglais. Enfin, notre troisième
préoccupation est d'analyser les raisons qui amènent certains
enseignants à écarter l'anglais de leurs enseignements.
2 Traduction personnelle. « In direct contrast
to quantitative research traditions, which view objectivity as a goal or, at a
minimum, as an aspiration, qualitative researchers acknowledge that the very
nature of the data we gather and the analytic processes in which we engage are
grounded in subjectivity. »
21
Il aurait été idéal de répondre
à ces interrogations à l'aide d'observations directes de classes
sur une longue période et avec différents enseignants, ainsi que
d'entretiens avec ces mêmes professeurs. Cette méthode nous aurait
permis de constituer un corpus du type d'interactions en langue anglaise
pouvant survenir dans la classe de français, en contexte naturel.
Cependant, nous étions au cours de cette recherche contraints non
seulement par le temps, mais aussi par l'espace.
Nous avons donc privilégié, pour répondre
à nos interrogations, le questionnaire d'enquête, en ligne, ou
questionnaire auto-administré par internet. Nous comprenons ici par
enquête un recueil d'informations réalisé « par
interrogation systématique de sujets d'une population
déterminée, pour décrire, comparer ou expliquer »
(Berthier, 2006 :8). Nous questionnons directement les enseignants, et ainsi,
engageons dès le départ une réflexivité de leur
part sur le sujet.
Le format choisi présente plusieurs avantages : la
garantie de l'anonymat, puisqu'il n'y a pas de contact direct entre
l'enquêteur et l'enquêté ; l'accessibilité de son
format, permettant de toucher un public plus vaste et donc plus varié et
représentatif ; l'automatisation de l'analyse chiffrée de
certains éléments, grâce à la plateforme Google
Forms. Il présente notamment quelques inconvénients, comme
la brièveté des réponses, ce qui aurait pu être
évité avec, par exemple, un entretien (Giroux et Tremblay, 2009
:126 ; Fenneteau, 2015 :65).
b) Le corps du questionnaire
Le but premier du questionnaire est de confronter nos
croyances aux pratiques d'enseignants de français langue
étrangère en Norvège, ce pour corroborer ou réfuter
les hypothèses que nous avons précédemment émises.
Nous avons donc défini les informations qu'il nous était
nécessaire de recueillir afin de déterminer si les enseignants
utilisent l'anglais dans leurs classes dans le but de faciliter l'apprentissage
du français (hypothèses 1 et 2, voir 1.1.2.).
De par notre expérience, nous savons qu'il peut
être fastidieux de répondre à des questionnaires trop longs
et trop répétitifs. Nous avons donc décidé de
proposer à la fois des questions fermées multichotomiques
à réponses multiples lorsqu'il s'agissait de classifier des
pratiques - toujours avec les options « Jamais » et « Autre /
à préciser » afin de ne pas forcer une réponse, et
des questions ouvertes - lesquelles doivent être posées de
manière à ne pas influencer la réponse de
l'enquêté, en bien
22
ou en mal. Le choix de proposer des questions ouvertes
était parfois nécessaire, et implique de ne pas pouvoir se
contenter de statistiques lors de l'analyse de ces questions, de par la
variété des réponses attendues. Ce type de questions
possède de nombreux avantages, et notamment celui de la
spontanéité des réponses. Il permet aussi de
repérer des indices relatifs à la formulation ou au vocabulaire
choisi, et de déterminer de quelle façon a pu être comprise
- ou non - la question (Fenneteau, 2015 :67).
Comme il était primordial de ne pas influencer les
réponses des enseignants, nous avons nommé le questionnaire
« L'utilisation de l'anglais en classe de FLE en Norvège ». Ce
titre nous permettait d'introduire le sujet sans pour autant dévoiler
notre problématique.
Questions posées
|
Objectif(s)
|
1. Quelle est votre nationalité ?
|
Déterminer la nationalité des
enquêtés pour analyser les réponses en fonction de deux
catégories (enseignant natif, enseignant non natif), et l'influence de
ces catégories sur le contrat didactique3.
|
2. Quelles matières enseignez- vous ?
|
Répertorier les différents sujets
qu'enseignent les enseignants, afin de déterminer si
l'enseignement du français et de l'anglais implique des pratiques
différentes de l'enseignement du
français et d'une matière
non linguistique.
|
3. Quel est votre niveau de compétences en anglais
?
|
Déterminer l'influence de la maitrise (ou
non) de la langue anglaise sur son éventuelle
incorporation en classe. Le niveau est déterminé selon les
niveaux de compétence du CECRL.
|
|
3 Nous faisons ici référence à
Danièle Moore, qui nous dit que « lorsque [l'enseignant] accepte
d'ouvrir une séquence bilingue, il s'octroie la possibilité
d'employer, lui aussi, la langue maternelle des apprenants et de briser
momentanément le contrat didactique », un concept sur lequel nous
reviendrons lors de l'analyse. (Moore, 1996 citée par Causa, 2002
:51-52).
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Questions posées
|
Objectif(s)
|
4. En quelle(s) langue(s) ont lieu les interactions en classe
de FLE ?
français
anglais
norvégien
autre (préciser)
|
Déterminer le contrat didactique mis en place par
l'enseignant.
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5. Avez-vous déjà remarqué l'influence de
l'anglais dans les productions (orales ou écrites) de vos
élèves ? Si oui, pouvez-vous donner des exemples ?
|
Créer un corpus à partir de l'expérience
d'enseignants sur les interférences les plus communes de l'anglais en
français.
|
6. L'anglais est-il présent dans le(s)
manuel(s) ou ressources pédagogiques que vous utilisez
en classe de français ?
|
Mettre en relation la présence ou non du
plurilinguisme dans les supports
pédagogiques avec les pratiques
d'enseignants
|
7. Vous arrive-t-il de communiquer
en anglais dans le but de
transmettre un message ?
Pour transmettre un message
important (règle, consigne)
Pour expliquer ou reformuler un énoncé
Pour expliquer un mot de vocabulaire ou une expression
Jamais
Autre (préciser)
|
Catégoriser les usages de l'anglais en
classe de français, en situation de
communication. Les catégories proposées ici nous
permettront d'établir
un classement des usages les plus communs, et sont
déterminées en nous
appuyant sur les multiples situations
possibles d'alternance codique, proposées par divers
théoriciens4.
|
|
4 Nous faisons particulièrement
référence à l'ouvrage de Maria Causa, L'alternance
codique dans l'enseignement d'une langue étrangère.
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Questions posées
|
Objectifs
|
8. Avez-vous déjà utilisé l'anglais pour
enseigner...
La syntaxe
La grammaire
Le lexique
Jamais
Autre (préciser)
|
Catégoriser les usages de l'anglais en cours de
français comme élément de référence ou de
comparaison.
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9. Faites-vous référence à la langue
anglaise en cours de français, sans pour autant
l'utiliser comme
moyen de communication ?
|
Déterminer les usages de l'anglais
comme élément de référence ou
de
comparaison, pour des instances spécifiques
plutôt que régulières.
|
10. Votre recours à l'anglais, s'il
existe, varie-t-il selon le niveau
des élèves (première
année, deuxième année, etc.) ?
|
L'offre de cours de français s'étendant de Year
8 à VG3, soit six années, cette question déterminera si
l'usage possible
de l'anglais est réservé à un certain
niveau d'apprentissage pour ces enseignants.
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11. Si vous n'utilisez pas du tout l'anglais dans vos
classes : pour quelles raisons ?
|
Donner la parole aux enseignants
n'incluant pas du tout l'anglais dans leurs classes, afin d'en
analyser les raisons.
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c) L'échantillon
Notre questionnement s'intéresse
particulièrement aux interactions langagières en classe de FLE.
Le public étudié est donc celui d'enseignants de français
travaillant en Norvège. Aux débuts de ce travail, l'objectif
était d'étudier les pratiques de deux enseignantes de
français d'un lycée norvégien d'Oslo, que nous avions pu
rencontrer durant la première phase de cette étude.
Cependant, la décision de proposer le questionnaire sur
une plateforme en ligne a permis d'élargir les possibilités de
cette enquête, et de viser un public plus varié et plus important.
Le questionnaire a donc été proposé à des
enseignants de français en Norvège, et ce par plusieurs moyens :
grâce aux groupes présents sur les réseaux sociaux, qui ont
permis de localiser un public spécifique, mais aussi grâce
à l'Association norvégienne des professeurs de
français5 - sa Présidente ayant accepté de
transmettre le questionnaire aux membres de l'association. Nous avons ainsi pu
recueillir 53 réponses. Ces réponses forment un
échantillon aléatoire, puisque comprenant des enseignants de tous
âges, parcours et de régions différentes, mais ainsi plus
représentatif de la diversité des pratiques enseignantes au sein
d'un même pays. Le mode d'administration de cet échantillon est
dit en grappe, puisque les enseignants ont été sollicités
par le biais de deux plateformes représentatives - sans pour autant
choisir nous-même les enquêtés (Martin, 2009 :20).
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