Contact et usage des langues dans l'espace médiatique algérien: de la créativité au quotidien( Télécharger le fichier original )par Moussa LAHOUAM Université Badji Mokhtar Annaba - Master FLE 2015 |
Introduction généraleSoucieux d'éclairer les faits linguistiques émergeants et impliquant des situations de contact et de brassage socio-langagiers, plusieurs chercheurs ont tenté de comprendre, d'une part, les relations qu'entretiennent les médias et les langues en présence. D'autre part, de répertorier celles dont l'usage y est récurrent3(*). Dans le contexte algérien, nous pouvons citer Ibtissem Chachou (2011 : 160), qui sous le titre de « Langues et communication médiatique en Algérie », consacre une partie entière de sa thèse à la question des langues dans le paysage médiatique algérien. Dans cette partie, l'auteure a répertorié toutes les langues en usage dans l'espace médiatique algérien en trois catégories: La langue française, les langues algériennes (arabe dialectal et le berbère) et l'arabe institutionnel. Pour ce qui nous concerne, nous constatons d'une part que les chaines de télévision sont des lieux de circulation de plus d'une langue. Nous pouvons donc avancer qu'il s'agit d'une situation bilingue dans la mesure où les participants alternent, très souvent, l'arabe dialectal et le français. D'autre part nous constatons qu'avec l'émergence de l'espace audiovisuel, l'arabe dialectal gagne du terrain dans les chaines télévisées. Ainsi, de nombreuses émissions de variété sont diffusées dans ce parler. Certaines chaines proposent même des journaux d'information en arabe dialectal, c'est le cas par exemple d'El Djazairia. L'arabe dialectal ou la Derja est, comme le souligne A.Arezki, (2008 : 23), la langue parlée de la majorité des natifs algériens. Les nombreux accents qu'il génère ne constituent aucun obstacle à la communication et demeurent largement compréhensibles par la plupart des interlocuteurs. Ainsi, il s'impose en tant que première langue véhiculaire en Algérie, charriant toute une culture populaire. Il convient de mentionner que parmi les langues présentes, il est le plus révélateur sur l'identité du locuteur algérien. Le célèbre humoriste et comédien Mohamed Fellag décrit l'arabe dialectal comme étant sa langue qu'il « ... parle naturellement, et elle est comprise naturellement, parce que le public est comme moi, que ce soit au marché, dans la rue, dans le bus ou dans les milieux scientifiques, les gens parlent comme ça ! [...] Je ne suis pas linguiste, mais je pense que c'est comme ça que les langues sont faites, en se mélangeant à d'autres langues4(*)». Néanmoins, ce parler est fortement dévalorisé au plan officiel et inapte à véhiculer les sciences et à être enseigné à l'école. Il est souvent perçu comme langue stigmatisée qui n'est pas pure, truffée de mots étrangers venant de différentes langues et ne possède pas de grammaire fixe5(*). Dans l'un de ses discours lors d'une visite à travers les wilayas de l'est du pays, le président Abdelaziz Bouteflika déclare:« Je ne parviens pas à déterminer quelle langue parlent les Algériens. Ce n'est ni de l'arabe, ni du français ni même de l'amazigh [...] ce n'est qu'un mauvais mélange, des propos hybrides que l'on comprend à peine. Prenons l'exemple le terme mayixistiche (cela n'existe pas), qui ne peut être compris que par l'Algérien du XX1e siècle5(*) ». Le contact de l'arabe dialectal avec les langues qui coexistent en Algérie, notamment le français, a engendré plusieurs cas d'hybridité6(*). Procédé très présent dans les pratiques des locuteurs algériens qui, en mixant différents traits linguistiques propres à ces deux langues, font preuve d'une grande capacité de créativité lexicale. Cette créativité, ou néologie, se distingue entre autres par le recours à un emprunt très particulier, désormais « emprunt algérianisé »7(*), qui aboutit à la production de mots composites dont les radicaux appartiennent à la langue française alors que les préfixes et les suffixes sont en arabe dialectal. Les termes crées sont tout de suite intégrés dans la morphologie lexicale du système de l'arabe dialectal et ne sont plus ressentis et considérés comme mots étrangers au point où les locuteurs n'ont plus la conscience d'utiliser un mot français. Nous avons structuré notre travail en trois chapitres. Le premier chapitre sera réservé à la méthode de travail et au cadrage théorique. Nous y décrirons, dans un premier temps, la situation sociolinguistique en Algérie, tout en mettant l'accent sur l'arabe dialectal et les facteurs qui ont favorisé son émancipation. Par la suite, nous y exposerons les notions et les concepts de base qui serviront d'outils dans notre analyse. Nous donnerons également dans ce chapitre, un aperçu du paysage audiovisuel algérien et les langues qui y sont en usage. Il convient de noter que les médias seront abordés dans cette étude en tant que moyens contribuant à la vulgarisation et l'innovation de l'arabe dialectal, et non en tant que facteur ou fonction conversationnelle influençant les comportements langagiers des sujets parlants. I. CHACHOU, (2011: 11), considère que: « les médias, jouissant d'une puissance de diffusion qui va crescendo et d'une autorité à dire le monde [...] et à l'interpréter, ils contribuent fortement à l'évolution des langues et à leur dynamique »8(*). Nous terminerons ce chapitre par la présentation de notre corpus, les circonstances du recueil des données ainsi que les conventions de transcription utilisées. Le deuxième chapitre, pratique, sera consacré à l'étude des procédés de création lexicale et à l'analyse des structures morphosyntaxiques dans l'arabe dialectal. Cette étude sera illustrée par des lexies néologiques et des énoncés extraits de leurs contextes discursifs émanant de notre corpus. Elle portera sur des processus qui se résument principalement en : L'affixation préfixale et suffixale, la mutation sémantique, détournement de sens, et en fin de la simplification. Il s'agit d'abandonner certains phonèmes ou les remplacer par d'autres plus simples, processus que nous analyserons en nous basant sur le modèle insertionnel de Carol. Myers-Scotton: the Matrix Language Frame que nous expliquerons par la suite. Le troisième chapitre, récapitulatif, sera consacré à l'analyse des résultats obtenus, à les mettre en relation avec la problématique et à voir si les interrogations posées au début de la recherche ont pu avoir des éléments réponses. * 3- Camille Roger ABOLOU, langues, dynamiques des médias audiovisuels et aménagement médiato-linguistique en Afrique -M. SADI Nabil, thèse de doctorat, L'usage du français à la chaine III : Aspects syntaxico-sémantiques -KHELIFI Hanane, mémoire de master, L'alternance codique dans l'émission radiophonique "média mania "Jijel FMhttp://www.memoireonline.com/10/13/7486/L-alternance-codique-dans-l-emission-radiophonique-media-mania--de-Jijel-FM.html, consulté, le 01/02/2015 * 4 Fiche Algérie dans tlfq.ulaval.ca [ archive] http://fr.wikipedia.org/wiki/Arabe_alg%C3%A9rien 2 Foued LAROUSSI, (1997:711), Plurilinguisme et identités au Maghreb, publications de l'université de Rouen * 5 City- dz magazine:La langue arabe «matixistiche» en Algérie [ archive] http://fr.wikipedia.org/wiki/Arabe_alg%C3%A9rien * 6 Se dit de mots formés d'éléments issus de deux langues différentes * 7 Terme que nous avons emprunté àIbtissem I.Chachou, le mixage linguistique dans la publicité en Algérie, RÉSOLANG 6-7 - 2e semestre 2011, p :77, consulté le 05/052015 * 8 Ibtissem CHACHOU, thèse de doctorat, Aspect des contacts des langues en contexte publicitaire algérien : Analyse et enquête sociologique, 2011 P : 11 |
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